Le texte sur l’énergie fait son retour au Sénat. Avec un texte bien connu à la Haute assemblée. Car le gouvernement s’est de nouveau appuyé sur une proposition de loi (PPL) issue du Sénat, la PPL de Daniel Gremillet, pour porter un sujet qui était attendu depuis longtemps : la programmation pluriannuelle de l’énergie. Son principal objectif, sa « colonne vertébrale », comme dit le sénateur LR des Vosges, Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi, « est bien de relancer la politique du nucléaire en France ». Avec comme « objectif de mix énergétique d’avoir deux tiers d’énergie nucléaire d’ici 2030 et un mix majoritairement nucléaire d’ici à 2050 », rappelle Dominique Estrosi Sassone, présidente LR de la commission des affaires économiques.
Parcours parlementaire mouvementé
Le texte connaît un parcours parlementaire pour le moins mouvementé. Adopté à la Haute assemblée en octobre 2024, son examen à l’Assemblée nationale ne s’est pas tout à fait passé comme prévu. Un amendement LR fixant un moratoire sur les énergies renouvelables a été adopté avec les voix du RN. Pour limiter la casse face à un texte dénaturé, le bloc central, où on trouve Renaissance, a préféré user d’une motion de procédure, arme du règlement qui permet de rejeter l’ensemble d’un texte. L’Assemblée s’est ainsi fait harakiri, repassant le bébé au Sénat.
Si la procédure d’urgence, qui limite l’examen à une lecture par chambre, est depuis des années monnaie courante, le gouvernement n’a pas jugé utile de décider de la procédure accélérée sur cette proposition de loi, au grand dam de son auteur ou des rapporteurs du Sénat. C’est pourquoi le texte revient en seconde lecture au Sénat, avant de passer à nouveau entre les mains des députés.
Pour mettre toutes les chances du côté de l’adoption du texte à l’Assemblée, où le temps sera limité et les amendements nombreux, les sénateurs ont élagué la PPL lors de son passage en commission, la semaine dernière, « avec un resserrement du texte sur le volet programmatique », explique Daniel Gremillet.
« On n’est pas pour le moratoire sur l’éolien »
Suite au rejet du texte à l’Assemblée, c’est le texte tel que voté par le Sénat en première lecture qui est arrivé sur la table de la Haute assemblée. Et la règle « de l’entonnoir » limite les possibilités de modification. Car seuls les amendements ayant un lien direct avec le texte peuvent être acceptés. Concrètement, « les dispositions de l’Assemblée ne peuvent pas figurer dans le texte de cet après-midi », souligne la sénatrice LR des Alpes-Maritimes.
En commission, les sénateurs de la majorité sénatoriale LR-Union centriste, attachés à « l’équilibre » du texte, n’ont pas repris le moratoire voté par leurs collègues députés. Pour une simple raison : « On n’est pas pour le moratoire », rappelle Dominique Estrosi Sassone, comme elle l’expliquait fin juin à publicsenat.fr.
« Aucune contradiction » entre la tribune de Bruno Retailleau et la PPL Gremillet
Mais pour suivre la position des LR, il faut un peu d’énergie. Difficile d’y voir clair dans la ligne. Car entre les LR de l’Assemblée, les LR du Sénat et le parti, les sons de cloche changent. Car pour compliquer la compréhension des choses, une tribune s’est invitée entre temps, signée d’un certain Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur et surtout président des LR. Elle appelle à stopper le financement public de l’énergie éolienne et du photovoltaïque. Le texte juge que l’intermittence de ces deux sources d’énergie « fait courir le risque de black-out » au réseau électrique.
Le corapporteur du texte, le sénateur LR Alain Cadec, assure qu’il n’y a « aucune contradiction », car « pour le financement des énergies renouvelables, c’est le projet de loi de finances, ce n’est pas la PPL Gremillet », avance le sénateur des Côte-d’Armor, qui insiste : « La tribune, c’est une chose, la PPL en est une autre ».
« Le programme nucléaire ambitieux porté par cette loi a un coût. Il doit être maîtrisé »
Si les sénateurs LR n’entendent pas mener le combat contre l’éolien, les rapporteurs du texte ont néanmoins déposé un amendement, qui sera examiné ce mardi en séance, qui reprend l’esprit de la fameuse tribune, du moins en partie, ou plutôt pas seulement. Cet amendement a pour objectif d’évaluer « l’impact financier du développement de telle énergie, plutôt que de cibler sur les énergies renouvelables », explique le sénateur centriste Patrick Chauvet, l’autre corapporteur du texte. Il ajoute :
« Ont été stigmatisées un peu les énergies renouvelables, sur un coût final de l’électricité. Il faut en faire l’analyse. Il faut faire aussi du nucléaire. Le programme ambitieux porté par cette loi a un coût. Il doit être maîtrisé », insiste le sénateur de la Seine-Maritime (voir la vidéo). Un coût que beaucoup jugent considérable, notamment en cas de retard et dépassements de budget, comme avec l’EPR. Quant à l’évaluation, charge « au gouvernement » d’étudier l’impact financier de chaque énergie.
A noter que le texte de l’amendement ne parle pas à proprement parler de l’éolien, du nucléaire ou de l’hydraulique, mais du coût de la « transition énergétique » en général. « De fait, ça veut dire toutes les énergies », assure Dominique Estrosi Sassone. La formule a aussi l’avantage de ne citer, et donc viser, aucune énergie en particulier.
« Que la priorité soit donnée au renouvellement des implantations d’éoliennes existantes, plutôt qu’à l’implantation de nouvelles »
Si les sénateurs se sont attachés à prendre en compte la tribune du patron des LR, tout en conservant leur ligne qu’ils veulent d’équilibre, on sent au passage deux visions un peu différentes entre les deux rapporteurs, quand Alain Cadec pointe « l’éolien, qui s’arrête quand il n’y a pas de vent », le rendant « très difficilement pilotable », alors que Patrick Chauvet souligne que « le nucléaire a besoin des renouvelables pour être plus réactif. Ça plaide pour un équilibre », sans oublier l’importance de « l’hydraulique ». Mais comme souvent au Sénat, où les LR n’ont pas de majorité sans l’Union centriste, il faut composer. « La PPL votée ne sera pas la PPL des LR mais la PPL du Sénat », souligne Alain Cadec.
Les sénateurs ont aussi réintroduit un amendement du sénateur LR Didier Mandelli et du centriste Jean-François Longeot, président de la commission du développement durable, qui concerne l’éolien terrestre, afin que « la priorité soit donnée au renouvellement des implantations existantes, plutôt qu’à l’implantation de nouvelles », explique Dominique Estrosi Sassone, avec « une planification territoriale ». L’éolien oui, mais pas trop.
« Tout décret sans une assise législative sera très fragile juridiquement »
Après l’adoption dans la nuit du texte, qui ne devrait pas faire de doute, la proposition de loi repartira à l’Assemblée et y sera examinée les 22 et 23 septembre, une date « confirmée par Patrick Mignola », ministre en charge des Relations avec le Parlement, à la présidente de commission. Sauf adoption conforme par les députés, la commission mixte paritaire où députés et sénateurs tenteront de trouver un texte commun est attendue pour aux alentours de la mi-octobre. Reste à voir si le gouvernement attendra l’adoption définitive de la PPL pour prendre son décret sur la programmation pluriannuelle de l’énergie, alors qu’il avait d’abord visé l’été. « Je suis persuadé qu’il y aura une CMP », soutient Daniel Gremillet, qui prévient : « Tout décret sans une assise législative sera très fragile juridiquement ».