C’est un changement majeur à la tête de l’armée française. Le général d’armée aérienne, Fabien Mandon, 55 ans, actuel chef d’état-major particulier du chef de l’Etat, a été désigné nouveau chef d’état-major des armées française (CEMA), soit le sommet de la hiérarchie militaire. Il remplace le général Thierry Burkhard, 60 ans. Dans ce jeu de chaises musicales, Vincent Giraud prend le poste de chef d’état-major particulier.
« Respect et gratitude de la Nation »
« Reconnaissance et remerciements au général d’armée Thierry Burkhard, qui a servi la France au plus haut niveau durant quatre années comme chef d’état-major des armées. Son commandement s’est distingué par une vision stratégique lucide des menaces et par sa volonté constante d’adapter nos armées pour y faire face. Sur décision du Président de la République, le général d’armée aérienne Fabien Mandon lui succédera », a annoncé le 23 juillet sur X le ministre des Armées, Sébastien Lecornu.
« Merci au général Thierry Burkhard d’avoir servi la France avec honneur, courage et hauteur de vue. Respect et gratitude de la Nation. Ma pleine confiance au général Fabien Mandon, nouveau chef d’état-major des armées, pour guider nos forces face aux grands défis, ainsi qu’au général Vincent Giraud pour se tenir à mes côtés comme nouveau chef d’état-major particulier », a salué sur le réseau social Emmanuel Macron.
Ce départ du général Thierry Burkhard intervient dix jours après la conférence de presse exceptionnelle qu’il a tenue le 11 juillet, sur l’état des menaces dans le monde. L’ancien chef d’état-major de l’armée de terre a alors expliqué que la Russie « constituera une vraie menace avant 2030 ».
« Thierry Burkhard a fait un an de plus que ce que le temps de commandement impose »
Si le grand public ne s’attendait pas à ces changements, « ce n’est pas une surprise », réagit Cédric Perrin, président LR de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. « Je rappelle que Thierry Burkhard a fait trois ans comme chef d’état-major des armées de terre, puis quatre ans comme CEMA. Il a fait un an de plus que ce que le temps de commandement impose. On sait que tous les trois ans, il y a du mouvement », explique le sénateur du Territoire de Belfort. « Dans les armées, quand un chef reste trop longtemps en poste, il bloque la chaîne. Là, son départ fait montrer Fabien Mandon et fait arriver Vincent Giraud, etc », relève le sénateur.
« C’est une surprise, oui et non », tempère la sénatrice PS Hélène Conway-Mouret, membre de la commission, « car il y avait une rumeur qui disait que Thierry Burkhard pouvait être prolongé, mais sans confirmation. Et comme c’est le fait du Président, il a décidé de ne pas prolonger d’un an de plus ».
« Ce n’est pas un épisode de Villiers 2 »
Mais la sénatrice représentant les Français établis hors de France, qui suit les questions de défense, tient à tordre le cou à toute rumeur. « Certains y voient un replay de l’épisode de Villiers (le général Pierre de Villiers, ex-CEMA, avait démissionné avec fracas en 2017, après avoir émis des réserves sur les économies réclamées aux armées par Emmanuel Macron, ndlr), car il a tenu une conférence de presse. Mais en fait, c’est à la demande du Président qu’il a eu cette expression le 11 juillet. C’était souhaité par l’Elysée. Ce n’est pas un épisode de Villiers 2 », souligne Hélène Conway-Mouret. La conférence de presse du CEMA avait en effet été annoncée aux journalistes en amont, par l’Elysée, lors d’un briefing « off » en vue du discours d’Emmanuel Macron sur la défense, le 13 juillet.
Par ailleurs, pour la sénatrice représentant les Français établis hors de France, « la période est plutôt propice à changer, comme on a une nouvelle revue stratégique, avec des ajustements de la loi de programmation miliaire (LPM) et donc quelqu’un à la manœuvre en début d’exercice et qui va le suivre dans le temps ».
« Il a été un grand chef d’état-major, avec une vision stratégique importante »
Cédric Perrin salue sans réserve l’action de Thierry Burkhard. « Il a été un grand chef d’état-major, avec une vision stratégique importante. C’est lui qui a théorisé la guerre de haute intensité, la nécessité de gagner la guerre avant la guerre, de faire des efforts sur le numérique notamment. Il a été assez visionnaire et c’était un chef assez charismatique. Il a fait l’unanimité dans les forces armées », soutient le président de la commission des affaires étrangères, avant d’ajouter : « Je lui ai dit qu’il laisserait sa marque dans l’histoire et le cœur des Français. Il s’est exprimé à la fin, je trouve ça très bien ».
Une alerte sur l’état de la menace russe, bienvenue, car émanant d’un militaire, estime Cédric Perrin. « A force de faire de la com’, de crier au loup, on ne vous croit plus. La parole du chef de l’Etat est démonétisée. Il y a une masse de Français qui ne prennent plus en compte ce qu’il dit. C’est pour ça que c’est bien que ce soit le CEMA qui s’exprime », soutient le sénateur LR.
Pour Hélène Conway-Mouret, « il a fait le job. Il a rappelé toutes les menaces », confirme la socialiste, qui ajoute qu’« il faut lui rendre hommage car il y a quelques années, il parlait de la guerre de haute intensité à laquelle il fallait se préparer. C’était avant la guerre en Ukraine. C’est un exemple de cette capacité du CEMA d’avoir une vision globale mais également une vision stratégique et prospective ».
« C’est bien d’avoir un exécutif qui fonctionne bien, avec un Président qui a une entière confiance en son conseiller »
Fabien Mandon va maintenant prendre la suite. Pilote de chasse à l’origine, il est le premier aviateur à accéder à la fonction depuis le général Jean-Philippe Douin, il y a trente ans (entre 1995 et 1998).
« François Lecointre et Thierry Burkhard étaient de l’armée de terre. D’un seul coup, c’est un aviateur qui arrive. Dans la répartition, les marins étaient plutôt proches du pouvoir et les aviateurs à Norfolk, aux Etats-Unis, auprès de l’Otan. Là, c’est un aviateur », relève la sénatrice PS. Ce qui n’est pas gênant, ajoute la sénatrice : « Ce ne sont pas les mêmes façons d’agir, de penser, mais ce sont tous des militaires qui ont tous fait les mêmes écoles de guerre. Ce sont des gens qui sont capables d’une vision globale ».
« On n’arrive pas général 5 étoiles pour rien »
« Il a toute la confiance du Président », remarque par ailleurs la socialiste. Un point important, souligne Hélène Conway-Mouret : « Il a été son chef d’état-major particulier. Dans la période où nous sommes, qui est d’une grande fragilité, versatilité, c’est bien d’avoir un exécutif qui fonctionne bien, avec un Président qui a une entière confiance en son conseiller le plus proche sur le plan militaire ».
Ce sera aussi un changement de style, à la tête de l’armée française. « Le grand public ne le connaît pas forcément, car c’est quelqu’un de discret, qui est en permanence auprès du Président. Il a beaucoup d’expérience et sans doute beaucoup de compétence. On n’arrive pas général 5 étoiles pour rien », remarque Cédric Perrin.
« C’est lui qui va devoir batailler pour obtenir les crédits auprès du Parlement »
Le nouveau CEMA sera celui qui conduira la suite de la loi de programmation militaire, marquée par un effort financier supplémentaire, comme l’a annoncé Emmanuel Macron le 13 juillet. « C’est lui qui va devoir batailler pour obtenir les crédits auprès du Parlement, et pas du Président, je le rappelle. Car c’est in fine le Parlement qui vote le budget. Le président Macron l’a un peu oublié. Il devra comprendre à un moment donné que le Parlement existe », pointe Cédric Perrin, qui ajoute que « pour faire droit à ses demandes, parfaitement légitimes, il aura besoin de l’Assemblée et du Sénat ».
Plus en détail, « d’un point de vue capacitaire, c’est lui qui va orienter les choses, que ce soit sur le feu en profondeur, le spatial, la masse. Il y a beaucoup de défis qui sont devant nous. Il sera à la manœuvre », relève le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Un chef d’état-major des armées que la commission devrait, en toute logique, auditionner à la rentrée, a priori plutôt à huis clos. Celle de Thierry Burkhard était dans les tuyaux autour de la mi-octobre. « On verra s’il maintient la date », glisse Cédric Perrin. Et surtout, quelle est sa vision de l’état des menaces dans le monde et le rôle qu’entend jouer l’armée française.