Pas encore officiellement lancée, la candidature de Gabriel Attal pour prendre la tête de Renaissance ne fait plus beaucoup de doute en interne. Une bataille d’ex-premiers ministres, face à Elisabeth Borne, déjà candidate, va s’engager, au risque de tomber dans la guerre des chefs. Mais certains, à commencer par Emmanuel Macron, prônent un accord pour avoir un seul candidat.
Thierry Paquot : « on découvre à quel point nous sommes mal préparés à des situations extrêmes »
Par Rebecca Fitoussi
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-Le Covid-19 nous interdit tout contact avec l’autre, nous n’avons plus le droit de nous toucher, de nous approcher à moins d’un mètre, l’autre devient une menace… Ce virus est-il en train de modifier profondément et pour longtemps nos liens sociaux et nos modes de communication ?
Le confinement qui est une mesure de sécurité que l’on a développée dès le siècle dernier pour protéger les uns les autres de toute forme de contamination d’épidémies a des conséquences sur les relations interpersonnelles. La ville qui est le lieu de tous les échanges va se trouver profondément modifiée et je crois que nous sommes partis pour un long moment à la fois de précaution et de suspicion. On ne peut pas généraliser mais, une fois le confinement terminé, on peut penser que certaines personnes continueront de garder leurs distances et que d’autres auront au contraire envie d’aller vers autrui, de le toucher, de l’embrasser, de le prendre par le cou, de fraterniser… Mais il y aura quand même toujours un petit moment d’hésitation parce que, ce qu’on est en train de vivre et qui va durer encore plusieurs semaines, ne sera pas facilement oublié.
-Il reste des espaces possibles d’échanges : les fenêtres, les balcons, sur lesquels nous nous retrouvons tous les soirs à 20h pour applaudir et soutenir les soignants… Un moment de communion ?
Oui, c’est un moment de communion entre personnes qui décident de manifester ce qu’ils ne peuvent pas faire physiquement, c’est-à-dire congratuler l’autre, en disant « merci pour ce que vous faites, merci d’être présents dans les hôpitaux, merci de ramasser nos poubelles, merci de faire fonctionner la machine économique sans laquelle on serait encore plus isolés». Mais le balcon ou la fenêtre sont des extensions de notre dedans dans le dehors, donc c’est aussi une manière de dire au virus « on te craint, mais on a quand même un moyen d’exprimer notre indépendance ou notre liberté »
-Ce moment sur les balcons ou les fenêtres… Est-ce une surprise dans ce contexte de confinement ? Avez-vous été surpris par ce reflexe ?
Non parce que le désir de communiquer avec autrui est quelque chose de permanent dans la ville, et même si on est parfois dans une sorte d’indifférence polie envers l’autre lorsqu’on se croise dans un parc ou lorsqu’on fait la queue dans une boutique, et bien lorsqu’il y a danger alors là, on est capable de manifester sa présence à l’autre de cette manière.
-Les comportements au balcon varient selon les pays. En Italie, ils chantent, en France nous applaudissons… C’est selon la culture et selon le type d’habitat ?
En France, le balcon est beaucoup moins fréquent qu’en Italie. Le mot balcon vient d’ailleurs de l’italien, qui lui-même vient d’un terme allemand qui désigne une poutre, c’est-à-dire une excroissance de la façade, quelque chose qui sort de la maison vers l’extérieur. Le balcon a là-bas une présence physique dans la ville beaucoup plus importante que chez nous. Même dans le vocabulaire du théâtre où l’on parle du « balcon » pour des sièges bien placés, cela vient aussi du théâtre à l’italienne. Le balcon est plus banal, plus fréquent en Italie que chez nous. En France on a plutôt des portes-fenêtres ou des balcons riquiquis qui font tout le tour d’un immeuble et qui vont surtout essayer de donner un mouvement à la façade, mais ce n’est pas véritablement une pièce. Or, en Italie, les balcons sont quasiment des loggias, ce sont des terrasses et je pense toujours à cette architecte française Renée Gailhoustet qui considérait que la terrasse-jardinet, le balcon-jardinet était la politesse de la maison.
-Que dire des autres pays qui n’ont pas le même type d’habitat que le nôtre ? Je pense par exemple à l’Inde, dont le confinement a aussi été décrété.
L’Inde, c’est quelque chose de terrible parce qu’il y a là-bas une question de surpopulation, de sur-densification des villes et il y a un habitat qui est beaucoup plus chahuté par cette densité et qui fait que le bruit devient quelque chose d’agressif. Dans d’autres types d’architectures, je pense au Maghreb par exemple, il se pourrait que le toit devienne un peu une sorte de balcon généralisé, parce qu’on se parle d’un toit à l’autre, on y étend le linge, on y fait sécher des condiments, parfois même on y dort lorsqu’il fait très chaud. En Inde on n’a pas cela, on a une plus grande promiscuité et un habitat beaucoup plus traditionnel qui n’est pas ouvert sur l’extérieur.
-Dans un pays comme l’Inde, où peuvent-avoir lieu ces moments de communion ?
Dans la rue principalement mais comme c’est interdit, on va être face à une situation terrible. L’Inde est très diverse, il y a plusieurs Etats. Pour le Maharashtra que je connais très bien, si on ne peut pas avoir accès à l’extérieur, c’est-à-dire aux parcs, aux jardins ni à la rue, la situation va être celle d’un véritable enfermement.
-Cela signifie que tous les peuples ne peuvent pas forcément réinventer le lien social sans risque ?
Oui, cela dépend des configurations spatiales, cela dépend de la forme de l’habitat, cela dépend aussi des pratiques culturelles ancestrales. Il y a des cultures où le toucher est quelque chose d’évident. Vous parliez de l’Inde, là-bas, on ne sert pas la main, on n’embrasse pas sur les deux joues les amis qu’on rencontre dans la rue, on se salue en étant déjà à 80 cm de distance, donc il n’y a pas ce rapport physique que nous avons nous. En France, on aime bien se prendre par le cou, il suffit de regarder un adolescent arriver au lycée, automatiquement, tout le monde fait la bise à l’autre. En Inde, non !
-On parle du milieu urbain, quid du milieu rural ?
Depuis de longues années, je travaille sur le thème de l’urbanisation des mœurs et des comportements, et je suis amené à considérer que la vie des urbains est la même aussi bien dans un village de Touraine qu’en haut de la montagne des Alpes. Il y a simplement moins de monde, c’est tout, le rapport à l’autre, les signes élémentaires de politesse passent par des saluts, par le fait de se serrer la main, et tout cela est perturbé de la même manière par les consignes sanitaires.
-Vous voulez dire que ce confinement est aussi difficile à vivre en milieu urbain qu’en milieu rural ?
Oui, je le pense. Evidemment le confinement pour ceux qui résident dans des villes assez denses, débouche sur le télétravail, ce n’est pas la même chose que pour un agriculteur qui continue à s’occuper de ses champs et qui se trouve à l’extérieur, c’est vrai, mais quand il rentre chez lui le soir et qu’il écoute la radio et la télévision, il est comme un urbain.
-Nos villes telles qu’elles ont été constituées sont-elles adaptées à ce confinement total ?
Non pas du tout ! L’urbanisme tel qu’il est apparu à la fin du XIXème siècle et qui a organisé les territoires urbains tout au long du XXème et du XXIème siècle, est un urbanisme fait pour une population active, en bonne santé, solvable, c’est ce que j’ai appelé « la ville productiviste ». On n’a évidemment jamais pensé à son accident, c’est-à-dire au fait que tout s’arrête à un moment donné à cause d’une épidémie, d’une guerre ou d’un tremblement de terre. Là on est dans une situation d’exception qui ne correspond pas du tout à la manière dont fonctionne cette ville par rapport aux attentes qu’on avait lorsqu’on l’a conçue.
-Entre les canicules, les inondations, et maintenant ce virus qui nous force à rester éloignés, on se demande si nos villes sont encore adaptées aux phénomènes naturels du XXIème siècle… Serons-nous poussés à revoir notre modèle d’urbanisme ?
Vous avez absolument raison, et je m’en réjouirais si la situation n’était pas aussi tragique. On ne peut pas imaginer une ville qui ne prenne pas conscience du ménagement, c’est-à-dire du fait de prendre soin des gens, des lieux et des choses, donc cette ville doit se reconfigurer totalement. Elle doit donner moins de place à l’automobile, plus de place à la végétation, aux arbres. Les épisodes de canicule par exemple, nous obligent à protéger la qualité de notre air et pour cela, il faut changer l’organisation physique de la ville.
-Est-ce qu’au cours de l’histoire, les modèles d’urbanisme se sont adaptés aux évolutions naturelles, économiques, sociétales ou sociologiques ? Se sont-elles adaptées à ce que nous vivions ?
Très lentement et toujours avec un décalage excessivement important. Cela m’a toujours frappé de voir à quel point une ville qui vivait un traumatisme très puissant comme un tremblement de terre ou un incendie se reconstruisait quasiment à l’identique. Ce qui changeait, c’était la législation. Par exemple, lorsqu’il y a eu le grand incendie de Londres en 1666, on a changé les règlements de mitoyenneté afin d’éviter que l’incendie se propage d’une parcelle à une autre et puis on a modifié les matériaux de construction, on a construit en pierre et non plus en bois. Mais ce sont des modifications très lentes.
-Pendant ce confinement, on s’aperçoit (si toutefois on ne le savait pas déjà) que l’habitat est une grande source d’inégalités… On ne vit pas le confinement de la même manière selon que l’on vit en maison, en appartement, en zone pavillonnaire ou en cité HLM…
Dans les cités, c’est une situation qui devient même à mon avis intolérable. L’être humain a besoin d’un certain espace pour pouvoir se déployer, il a besoin d’un coin à soi pour pouvoir rêver, travailler, se reposer. La sur-densification d’un appartement devient une cause de conflit et surtout de mal-être, cela ne fait aucun doute. Mais il faut aussi penser à ceux qui n’ont pas du tout de logement. Ceux qui sont dans la rue vivent ce drame de manière encore plus dure. Être protégé, confiné à l’extérieur est une chose qu’on n’a pas du tout encore envisagée.
-Les forces de l’ordre ont du mal à surveiller tout le monde… Nos villes sont pleines de petites rues, de recoins… Une surveillance absolue de la ville telle qu’elle a été construite, est impossible ?
Elle est impossible dans l’état actuel des choses et l’inverse me choquerait. Ce qu’on décrirait alors serait ce qu’on a vu dans la science-fiction, c’est-à-dire des villes totalement contrôlées avec une sorte de Big Brother qui remarque tout ce qu’on fait. Moi je crois qu’il vaut mieux essayer d’inciter les citadins à prendre leurs responsabilités et d’eux-mêmes à marquer les limites.
-Et pourtant, on envisage la géolocalisation, certaines villes commencent à utiliser des drones… Qu’est-ce que cela vous inspire ?
J’en suis affligé pour ne pas dire désolé. Je comprends le danger de propagation de l’épidémie mais peut-être que l’effort pédagogique n’est pas assez bien fait. C’est vrai que des gens pensent que c’est un moment de vacances alors qu’il y a une certaine gravité de la situation, mais peut-être que cette gravité n’est pas bien perçue parce que le discours politique dominant et notamment le terme de « guerre » n’est peut-être pas la bonne métaphore. Parler de la guerre, c’est pour parler ensuite de l’union sacrée et éviter que la droite et la gauche se divisent. Moi je parlerais plutôt de la santé tout simplement. On a un bien précieux qui est la santé, il est ébranlé par l’épidémie, voilà ce qu’il faut faire en l’état actuel de nos connaissances et de nos moyens se confiner et essayer de cohabiter le plus pacifiquement possible.
-Cette crise nous fait-elle entrer dans une nouvelle ère à tous points de vue ? Humains, sociaux, technologiques, philosophiques…
Oui parce que là on découvre à quel point nous sommes mal préparés à des situations extrêmes et à quel point une épidémie peut venir perturber quelque chose qu’on croyait d’une grande solidité. La société se reproduisait tant bien que mal à l’identique d’années en années et là on s’aperçoit que les inégalités économiques se doublent d’inégalités sanitaires et d’inégalités de modes de vies.