La situation peut paraître paradoxale dans un pays qui veut tourner le dos aux énergies fossiles. Et pourtant, la consommation finale d’électricité stagne dans le pays. Elle a même régressé depuis 2010. Sobriété des usages, dans un contexte de montée des prix, meilleure efficacité énergétique ou encore ralentissement de l’activité du secteur industriel : les raisons qui expliquent cette modération de la demande nationale ne manquent pas.
Un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), sur les conséquences de l’évolution du mix énergétique en France, formule ce 3 décembre plusieurs recommandations, alors le pays doit encore se doter d’une nouvelle stratégie pluriannuelle énergétique. Ses auteurs, le sénateur Patrick Chaize (LR) et du député Joël Bruneau (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires) appelle en premier lieu le gouvernement à « orienter prioritairement la politique énergétique vers l’électrification de la demande ».
Risque de « surcoûts considérables pour les contribuables »
Face à une demande atone, les parlementaires soulignent les risques de surproduction et les conséquences financières qui pourraient en découler. En effet, avec la remise en disponibilité du parc nucléaire et la croissance rapide des énergies renouvelables, en particulier le photovoltaïque, le risque actuel d’une surproduction « conduit à la multiplication des périodes de prix négatif sur le marché de l’électricité ». Ce type de problème a été exposé devant les rapporteurs en juillet par le Haut-Commissaire à l’énergie atomique Vincent Berger. Le rapport de l’Opecst rappelle par exemple que les prix de marché ont été négatifs pendant 29 jours au mois de mai dernier, de 11 heures à 17 heures.
Le risque serait alors que la valeur de ces investissements dans les énergies renouvelables soit dévalorisée, ce qui se traduirait par « des surcoûts considérables pour les contribuables ». Vincent Berger l’expliquait dans une note datée du 10 juillet. « Si cette surcapacité de production augmente encore, le coût pour le contribuable sera considérable pour une électricité qui ne sera ni produite, ni consommée, l’État indemnisant les producteurs d’électricité solaire et éolienne même lorsqu’ils ne produisent pas », mettait-il en garde.
« Ce n’est ni la faute des énergies renouvelables, ni du nucléaire »
« Cette surabondance, si elle devait perdurer, aurait des conséquences assez délétères, pour le système énergétique, la fiabilité du réseau, et nos finances », a expliqué ce mercredi le député Joël Bruneau, lors d’une conférence de presse. Et d’ajouter : « Ce n’est ni la faute des énergies renouvelables, ni du nucléaire, c’est la conséquence directe de l’insuffisance du rythme d’électrification de notre économie tout entière ». « Il faut faire en sorte que la courbe de consommation, et de production, soient les plus proches possibles », a également appelé son collègue sénateur Patrick Chaize.
La situation actuelle n’est pas non plus idéale pour l’émergence des nouvelles formes de nucléaire. On pense aux réacteurs de petite taille et de faible puissance, les fameux SMR (small modular reactor, ou petits réacteurs modulaires). Cet écosystème fait face à des difficultés financières « car la stagnation de la consommation électrique dans l’industrie et la désindustrialisation freinent les investissements ».
Dans la reconfiguration du mix énergétique, les enjeux sont aussi techniques, avant d’être budgétaires. La croissance des sources de production d’origine solaire et éolienne, décentralisées et intermittentes, accroît les « risques de surtension, de congestion et de déséquilibre », relèvent les parlementaires. La flexibilité du réseau devient alors fondamentale, mais son intensification se heurterait à des limites. Pour les parlementaires, la modulation de la production avec le parc nucléaire « soulève des interrogations », notamment un « risque de vieillissement accru ».
La forte part du nucléaire dans la production totale impose aussi des limites physiques. Selon le Haut-commissaire à l’énergie atomique « le parc nucléaire peut descendre au plus bas à une puissance d’environ 20 GWe, peut-être un peu moins » (sur une capacité installée de 63 GWe). « L’essor massif du solaire photovoltaïque pourrait ainsi conduire à des effacements et provoquer des déséquilibres économiques et industriels », écrivent les deux sénateurs.
Demande d’un débat annuel au Parlement
Pour le pilotage du réseau et donc sa résilience, le rapport préconise d’accélérer le déploiement de stockage électrique, par batteries, mais aussi par les STEP, des centrales de pompage-turbinage, ou stations de transfert d’énergie par pompage. Le député et le sénateur appellent à étudier les conditions dans lesquelles les producteurs d’électricité non-pilotables (les renouvelables) pourraient contribuer à l’équilibrage du réseau.
Alors que la péninsule ibérique a été marquée par un black-out spectaculaire en avril dernier, l’Opecst appelle aussi à tirer toutes les leçons de cet évènement, dans la définition de la stratégie du gestionnaire de réseau (RTE) et de celle de la politique énergétique nationale. Le rapport demande également qu’ait lieu au Parlement un débat annuel, pour « dépassionner » les choses, et réévaluer plus régulièrement des sujets, soumis aux aléas géopolitiques et technologiques.
Le gouvernement, de son côté, a annoncé le lancement d’une mission pour évaluer le coût des énergies renouvelables pour les finances publiques et leur impact sur le système électrique. Les conclusions sont attendues dans trois mois.