Deux ans de plus. C’est le temps qu’ont donné les sénateurs aux élus locaux pour déclarer à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) leurs rencontres avec les représentants des lobbys, dans un registre.
Créé par la loi « Sapin II » pour la transparence et la lutte contre la corruption, le répertoire numérique des représentants d’intérêts, en vigueur pour les parlementaires, devait être étendu en 2018 aux décideurs publics des collectivités territoriales. Un premier report à 2021 avait déjà été décidé. Les sénateurs, de gauche comme de droite, ont voté un report supplémentaire de deux ans, à 2023. Ils ont largement adopté jeudi soir un amendement du sénateur LR Jérôme Bascher, dans le cadre de l’examen d’un texte très fourre-tout, le projet de loi « relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire ».
« Ce n’est pas possible de continuer comme cela. C’est une loi d’incantation »
« Nous demandons un report de deux ans pour une mise en pratique. Il faut tester l’affaire. Ce n’est pas possible de continuer comme cela. C’est une loi d’incantation » dénonce Jérôme Bascher, « donnons-nous du temps ». Le sénateur LR de l’Oise remarque que la Haute autorité elle-même souligne dans son rapport annuel que « c’est problématique ». Il imagine mal « un village de 200 habitants » mettre en place la procédure, tout comme « les 35.000 communes de France », « ce n’est pas sérieux ». Des maires qui, faut-il le rappeler, éliront la moitié des sénateurs lors des sénatoriales de septembre prochain.
« On peut penser que l’idée est juste » admet Jérôme Bascher, qui semble cependant prendre ses distances :
Parfois, les ayatollahs de la transparence nuisent en réalité à l’économie locale.
« Une fois qu’on s’est fait plaisir, on voit que c’est un peu plus dur à mettre en pratique », insiste l’élu, « commençons par bien tester l’affaire au niveau des parlementaires, avant de l’étendre aux collectivités territoriales » demande le sénateur. Pour la commission, Muriel Jourda a soutenu l’amendement car « le Covid-19 a reporté la possibilité de faire entrer en vigueur ce texte ».
« On a déjà reporté de trois ans »
Le gouvernement s’est opposé en revanche à ce report. Le ministre chargé des Relations avec le Parlement, Marc Fesneau, ne voit pas vraiment de lien avec l’épidémie. Surtout, il souligne que « nous sommes à un deuxième report. Le gouvernement avait entendu, en 2018, les difficultés à la mettre en œuvre. On était déjà sur 2021. Et vous proposez un nouveau report de deux ans. (…) On ne peut pas reporter de deux ans, alors qu’on a déjà reporté de trois ans, au motif que nous avons cette crise ». Et d’insister : « C’est une loi de 2016. Ça ferait un report de sept ans pour la mise en œuvre ».
Marc Fesneau souligne que ce report mènerait « quasiment à mi-mandat des maires (…) si ce n’est à dire qu’au fond, le temps donné serait tellement long que cette réforme ne serait jamais appliquée… Sans être ayatollah, il ne serait pas inconcevable que cette réforme soit appliquée ».
Soutien des sénateurs LR et PS
Pas de quoi convaincre les sénateurs présents. Ils ont défendu l’amendement de Jérôme Bascher. Arnaud Bazin, sénateur LR du Val-d’Oise, remarque que la Haute autorité « va crouler sous une masse d’informations ». Il ajoute que la transparence sur les lobbys fait sens pour l’élaboration de la loi par les parlementaires, pas pour les élus locaux en revanche.
Même soutien du sénateur socialiste Eric Kerrouche, selon qui « les arguments portés par nos collègues sont les bons et nous voterons l’amendement ». « Il faut faire les choses progressivement pour qu’elles soient bien faites » ajoute le sénateur PS Jean-Yves Leconte. D’autant que la HATVP « n’a déjà pas les moyens financiers » pour gérer ses nouvelles fonctions sur la déontologie de la fonction publique.
« Prétexte à la remise en cause de mesures essentielles à la transparence de la vie publique » dénonce Transparency international
Des remarques qui amusent Marc Fesneau. « Je ne résiste pas à l’idée de vous rappeler que c’est une loi qui n’a pas été votée par ce gouvernement » lâche-t-il… Comprendre, sous François Hollande. « En 2016, vous aviez prévu 2018 et vous dites qu’au fond, 2023 c’est mieux. C’est toujours un moment intéressant… »
Dans un communiqué, l’ONG Transparency international a dénoncé cet amendement. Selon l’ONG, le but est d’« utiliser ce texte législatif dont la vocation officielle est de répondre à la crise sanitaire, comme prétexte à la remise en cause de mesures essentielles à la transparence de la vie publique ». « Il est indispensable qu’un travail de consultation soit engagé sans délai avec les collectivités locales » ajoute l’ONG, qui reconnaît que le dispositif doit être amélioré.
Retrait d’un amendement relevant à 100.000 euros les procédures pour les marchés publics
Transparency international pointe aussi un autre amendement déposé par le président du groupe LREM, François Patriat. Il propose de relever temporairement de 40.000 à 100.000 euros le seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence pour la conclusion des marchés publics, en raison de la « gravité de la crise ».
« En dessous de ce seuil (de 100.000 euros), les acheteurs publics pourront conclure librement un marché de gré à gré avec le prestataire de leur choix. Or, ce type de marché peut favoriser des arrangements opaques alors même que l’usage de l’argent public se doit d’être exemplaire et transparent » craint Transparency.
Le gouvernement soutient l’idée de relever le seuil des procédures pour les marchés publics
En séance, l’amendement a finalement été retiré, le sujet étant d’ordre réglementaire et non législatif. Mais le ministre Marc Fesneau s’y est montré favorable dans l’esprit, saluant « un amendement d’appel qui est juste ». Il soutient « la nécessité de faire en sorte que nous assouplissions les procédures pour faire en sorte que la commande publique s’active de façon puissante pour la relance des travaux publics ». Marc Fesneau l’assure, « on y sera vigilant, par la voie réglementaire ».