La porte-parole du gouvernement Maud Bregeon a assuré ce mercredi à la sortie du Conseil des ministres qu’Emmanuel Macron a acté qu’il n’y avait pour le moment pas « de socle plus large que celui qui est en place aujourd’hui » pour gouverner. Mais, après les consultations des responsables de partis mardi, « le président continue à écouter et à tendre la main ».
« Travailler davantage » : des mots qui inquiètent
Par Fabien Recker
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La phrase n’est pas sans rappeler la formule du « travailler plus, pour gagner plus » d’un certain Nicolas Sarkozy. Dimanche 14 juin, dans son allocution télévisée, Emmanuel Macron a appelé les Français à « travailler et (...) produire davantage pour ne pas dépendre des autres » alors que le pays va « connaître des faillites et des plans sociaux multiples en raison de l’arrêt de l’économie mondiale ».
« J’accueille cette phrase avec une méfiance extraordinaire » réagit Monique Lubin, sénatrice socialiste des Landes. « Cela peut vouloir dire beaucoup de choses. Est-ce qu’on revient sur le temps de travail, est-ce qu’on décale l'âge de départ à la retraite ? » Pour la sénatrice, cette formule « sibylline, au détour d’un discours présidentiel où l’on sait que chaque mot est pesé, aurait mérité d’être développée ».
« La question du temps de travail est posée » pour Philippe Dallier
Même interrogation teintée de méfiance chez le patron du syndicat Force Ouvrière Yves Veyrier. « S’il s’agit, dans un contexte de reconstruction industrielle, de relocalisations, de souveraineté dans certains secteurs d’activité de faire en sorte qu’on crée des emplois, OK. Mais s’il s'agit de nous resservir de vieilles lunes, comme rogner sur les congés et les jours de repos, cela ne nous paraît pas acceptable (...) Je veux croire qu’il s’agit bien d’une stratégie de reconquête industrielle et de services ». « Si le “travailler plus” c'est travailler tous et mieux (...) on peut discuter » a réagi de son côté Laurent Berger au micro de RTL. Mais pour le leader de la CFDT il serait « totalement inepte » de demander à « ceux qui ont gardé leur travail (de) travailler plus longtemps en termes de durée ».
Les mots du Président de la République ravivent en tout cas le débat sur les 35 heures. « Revenir sur les 35 heures serait une régression sociale extraordinaire » avertit Monique Lubin. Une partie de la droite, dont le patron des LR au Sénat Bruno Retailleau, en réclame pourtant la suppression et l’instauration de la semaine de 37 heures. Pour le sénateur (LR) de la Seine-Saint-Denis Philippe Dallier, « la question du temps de travail est posée, mais ne peut passer que par des mesures sélectives, au cas par cas et en fonction des secteurs d’activité et des entreprises. Arrêtons de se focaliser spécifiquement sur les 35 heures ou s’il faut les supprimer ou pas ».
Travailler moins ?
Une approche « au cas par cas » défendue également par le patron du Medef. Dimanche 14 juin, Geoffroy Roux de Bézieux a appelé « à ne pas refaire l’erreur des 35 heures, c’est-à-dire de considérer que toutes les entreprises sont dans une situation similaire. Il y a des entreprises qui ont besoin de travailler plus cette année pour rattraper ce qui a été perdu, et d’autres où il n’y a pas assez de demande, et là le problème c’est de réduire le temps de travail sans pénaliser les salariés. Ne faisons l’erreur d’imposer une mesure nationalement ».
« Ces jours-ci la discussion était plutôt sur des baisses d’activité associées à des baisses de salaire, en contrepartie d’assurances sur l’emploi » note d’ailleurs Yves Veyrier de FO. Une allusion aux « accords de performance collective ». Issu des « ordonnances Travail » de 2017, ce dispositif permet à l’entreprise de modeler le temps de travail et les salaires pour préserver l’emploi quand l’activité baisse. « Ils sont utilisés manifestement de manière assez importante. C’est toujours mieux que le dialogue social prime sur des décisions unilatérales » se félicite Philippe Dallier.
« Chantage à l'emploi »
« C’est du chantage à l’emploi » tranche un autre sénateur de la Seine-Saint-Denis, le communiste Fabien Gay. Son groupe au Sénat défend l’interdiction des licenciements face à la crise, en contrepartie des mesures de relance en direction des entreprises. Dès lors, « la question n’est pas de travailler plus » affirme Fabien Gay. « Il faut partager le temps de travail, et aller sur 32 heures. Il y a des pays comme la Nouvelle-Zélande qui y réfléchissent. On nous dit qu’il n’y a pas assez de travail, on demande par exemple aux salariés de la FNAC de travailler 42 heures par semaine, et à côté on va licencier. On marche sur la tête ! S’il n’y a pas assez d’activité il faut baisser le temps de travail ».
« C’est délirant d’entendre des propositions de cette nature » s’emporte Philippe Dallier, pour qui ce n’est pas le moment de mettre des bâtons dans les roues des entreprises. « Il va falloir prendre des décisions qui concourent à relancer l’activité économique et générer de la croissance. On n’a pas d’autres moyens que celui-là de s’en sortir » affirme le sénateur, alors que la France entre en récession et que la dette atteint les 120% du PIB. Et la taxation des plus riches n'est pas une alternative pour Philippe Dallier. « Rétablir l’ISF ça rapporterait quoi, 2 milliards de plus que l’IFI (Impôt sur la fortune immobilière, n.d.l.r.) ne rapporte aujourd’hui ? Vous croyez que c’est à la hauteur des problèmes ? »
« Du sang et des larmes »
A gauche et chez les syndicats, on redoute justement que ce ne soient les plus modestes qui fournissent le gros de l’effort. « J’ai noté que le 13 avril, Emmanuel Macron adressait un vibrant hommage aux caissières, aux routiers… Deux mois plus tard, plus rien, sauf qu’on nous annonce qu’on va devoir travailler plus. Mais qui va devoir travailler plus ? Ces gens-là, qui travaillent déjà beaucoup, sans considération et avec des salaires de misère ? » Pour Fabien Gay, le discours présidentiel relevait plus « du sang et des larmes que des jours heureux ».