Un gros coup de pouce. Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances 2020, le Sénat a décidé une augmentation de 322 millions d’euros des crédits alloués à l’installation du très haut débit en France. La Haute assemblée a adopté deux amendements identiques des sénateurs LR de l’Ain, Patrick Chaize, et de la sénatrice UDI de Côte-d’Or, Anne-Catherine Loisier, visant à renforcer le plan « France très haut débit ». Une décision prise contre l’avis du gouvernement, qui pourra donc revenir dessus grâce à sa majorité à l’Assemblée, qui a le dernier mot.
Fermé en 2017, le gouvernement a pris l’engagement de rouvrir le guichet de « France très haut débit », dans l’objectif de l’installer sur tout le territoire à l’horizon 2025. Une décision saluée par les sénateurs. Mais pour ces spécialistes des questions locales, le compte n’y est pas avec les 140 millions d’euros prévus par l’exécutif. D’où les 322 millions d’euros supplémentaires, transférés au détriment d’autres missions (voir le détail dans l’amendement). « Si on veut respecter le nouvel objectif de généralisation de la fibre jusqu’à l’abonné dès 2025, il faut dès 2020 ouvrir de nouvelles autorisations de paiement » fait valoir Anne-Catherine Loisier, sinon, « toutes les collectivités ne pourront pas lancer leur projet. Elles ne seront pas au rendez-vous de 2025 ». A terme, c’est même 600 à 700 millions d’euros qui seront nécessaires pour les collectivités, selon les sénateurs.
« Il est tout à fait vrai que le gouvernement a fait beaucoup, mais pourquoi vous ne voulez pas finir le travail ? »
« Il est tout à fait vrai que le gouvernement a fait beaucoup pour le plan France très haut débit » a salué de son côté Patrick Chaize, « mais pourquoi vous ne voulez pas finir le travail ? Cet amendement fait en sorte d’avoir des autorisations d’engagement et pas des crédits de paiement, (…) sinon on bloque le système ». Regardez le sénateur LR :
Très haut débit : « Il est tout à fait vrai que le gouvernement a fait beaucoup, mais pourquoi vous ne voulez pas finir le travail ? » demande le sénateur LR Patrick Chaize
Patrick Chaize, qui est aussi président de l’Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel, qui fédère les actions des collectivités sur le numérique) ajoute, à l’adresse du gouvernement : « Notre proposition est là pour vous aider. Ne refusez pas cette main tendue pour faire en sorte que ce plan très haut débit soit une réussite pour tous ».
La secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie, Agnès Pannier-Runacher, n’a pas du tout la même lecture. « Nous avons tenu notre engagement de réouvrir le guichet. Ensuite, nous n’avons pas besoin, dès 2020, des autorisations d’engagement, compte tenu des délais (…) et du montant d’autorisation d’engagement dont nous disposons. Nous sommes en réalité très large. Nous tenons le rythme » assure-t-elle (voir la première vidéo). « Le point de blocage » se situe plutôt, selon la secrétaire d’Etat, « sur la capacité à recruter les personnes qui installent le très haut débit ».
Le ton monte
Les débats auraient pu en rester là. Mais Patrick Chaize a aussitôt repris la parole pour reprendre la secrétaire d’Etat (voir la première vidéo). « Ce que vous venez de dire est totalement faux » lance le sénateur LR, « exemple très précis » à l’appui : « Je suis membre du comité de concertation du plan France très haut débit. Nous regardons tous les dossiers. (…) Je vais vous citer le dossier de la Bretagne. A lui seul, il nécessite 200 millions d’engagements. Avec les 140 millions que vous avez retrouvés, déjà, on n’y arrive pas ».
Le ton monte. Agnès Pannier-Runacher apprécie peu :
« Nous tenons les engagements. Nous avons suffisamment d’argent pour le faire. Je trouve un peu détestable de laisser penser que ce n’est pas exact »
Les sénateurs ont décidé de ne pas lâcher la secrétaire d’Etat. Jérôme Bascher, sénateur LR de l'Oise, en remet une couche et attaque à son tour : « Il n’y a plus d’argent. Tout a déjà été préengagé. Le comité n’a déjà plus les moyens. (…) Très bien, vous direz à Jean-Yves Le Drian que pour la Bretagne, ce n’est pas tellement nécessaire le très haut débit. (…) Vous vous êtes laissée abuser ». Victorin Lurel, sénateur PS de la Guadeloupe, y va aussi de son exemple pour montrer que « les crédits sont rares et insuffisants ». Dominique de Legge, sénateur LR d'Ille-et-Vilaine, plante la dernière banderille :
« On a l’illustration, une fois de plus, du en même temps. On affirme une priorité, on fait un joli discours, et quand il faut passer aux actes, on a des états d’âme. Moi, j’en n’ai absolument aucun ».
Dominique de Legge continue. « En effet, les collectivités sont dans les starting-blocks mais hésitent à y aller aujourd’hui, car il y a une incertitude sur la position du gouvernement. En votant cet amendement, nous envoyons un message très clair » soutient le sénateur breton.
Du très haut débit au très haut déni ?
La représentante du gouvernement tient tête et ne lâche rien. « C’est une priorité du gouvernement » répète-t-elle en boucle, « c’est un engagement que nous avons pris et que nous tenons. Il y a 5,4 millions de prises déployées, c’est le double des années antérieures ». Elle ajoute que seulement « 37% des Français sont connectés. Il faut se battre sur ce sujet pour les amener à le faire ».
C’est « le problème du dernier kilomètre » des réformes, comme dit un autre membre du gouvernement, qui suit ces sujets de près, et semble y croire : « 4 millions de maisons vont être raccordées. C’est un truc de dingo ! » Les sénateurs ne voient pas les choses avec le même enthousiasme. A leurs yeux, le gouvernement excelle plutôt… dans le très haut déni.