Il fait durer le plaisir. Plus de deux semaines après sa nomination à Matignon, Sébastien Lecornu continue de consulter, de réfléchir. Le premier ministre reste pour l’heure très discret sur ses intentions. A part une sortie à Mâcon sur l’accès aux soins, une interview à la presse régionale et l’annonce de la fin des avantages à vie des anciens premiers ministres et une réduction dans les dépenses de communication de l’Etat, pas grand-chose à se mettre sous la dent, ni de quoi assurer un budget.
« Une occasion manquée » déplorent les syndicats
Et ce n’est pas les consultations du jour, qui permettront d’en savoir plus. Les syndicats sont ressortis déçus de Matignon. « Le premier ministre n’a apporté aucune réponse claire aux attentes des travailleurs et des travailleuses. C’est une occasion manquée, le compte n’y est pas », a déploré Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT. Les syndicats ont annoncé une nouvelle journée de mobilisation, le 2 octobre. Quant au Medef, il donne lui rendez-vous le 13 octobre pour un meeting des patrons…
Emmanuel Macron, de retour de l’ONU où il a proclamé la reconnaissance par la France de l’Etat de Palestine, soutient ce drôle de rythme. « Il y a un travail qui est fait par le premier ministre Sébastien Lecornu, et il est normal qu’il prenne le temps, il a raison », a déclaré le Président, dans un entretien accordé à BFMTV depuis New York. Il fait « confiance dans nos responsables politiques » dont l’« échange » avec le premier ministre « doit permettre de trouver un chemin ». Des propos qui sonnent étrangement comme ceux que le chef de l’Etat aurait pu prononcer il y a un an… ou même en 2022.
Une prise de parole à la fin de la semaine ? « C’est possible »
Une éventuelle prise de parole est cependant évoquée d’ici la fin de la semaine. « C’est possible », lâche un pilier de la majorité. Mais rien de certain. « Ça dépendra ce qu’il a à dire ou pas. S’il ne dit rien pour le moment, c’est qu’il est extrêmement prudent. Il ne va pas parler pour le plaisir. Tout ce qu’il dit sera retenu contre lui », sourit ce chef à plumes de la majorité relative.
A l’Assemblée, faute de session parlementaire, les députés tournent en rond. « C’est comme un repas de mariage qui dure très longtemps. Vous avez envie de danser, mais la musique ne commence pas », en rit (jaune) une députée Renaissance, qui ne tient cependant pas grief au premier ministre de prendre son temps : « Il a raison de faire le quoi, avant de faire le qui ». Avec une volonté de bien caler les choses, avant de dévoiler son jeu. « La méthode Lecornu, soit une grande concertation, construire le socle de projet, avec quelque chose de descendant, est la bonne », soutient un membre de la majorité relative.
Pour ne rien arranger, ou plutôt rien accélérer, le premier ministre attend la date du 2 octobre, où les postes à responsabilité de l’Assemblée seront renouvelés, pour sortir sa feuille de match. Nommer des députés Renaissance affaiblirait en effet le groupe de Gabriel Attal dans ce rapport de force qui se joue selon le poids des groupes.
« Ça ne me choque pas que ça prenne 8 jours de plus, ça a pris 3 mois en Allemagne ! »
Il faudra donc prendre son mal en patience. « Pour l’instant, le chef de l’Etat lui a donné la mission de trouver un accord avec les partis politiques pour trouver un budget. Il est dans la mission. Il écoute beaucoup, cherche à faire la synthèse. Ça ne me choque pas que ça prenne 8 jours de plus, ça a pris 3 mois en Allemagne ! » lance un sénateur de la majorité. « J’apprécie son attitude qui est d’être avare de sa parole, de négocier, de chercher les voies. Et ça va durer sans doute jusqu’à la première semaine d’octobre. On aura un gouvernement entre le 4 et 6 octobre », pense un responsable de la majorité, qui ajoute que « ce n’est pas son rôle de dévoiler ses cartes aujourd’hui. Il écoute, prend des notes. Il fera des propositions budgétaires dans les jours qui viennent. Mais il ne parlera pas tant qu’il n’aura pas trouvé la clef, le sésame ».
Prévision que confirme un autre cadre de la majorité, encore plus précisément : « Il y aura certainement la mise en place d’un gouvernement, ou d’un début de gouvernement, le 3 ou le 4 octobre. Car la semaine d’après, c’est le début de la session ordinaire, il faudra des ministres au banc ». Quant au budget, il doit théoriquement être présenté en conseil des ministres avant le 7 octobre. Le discours de politique générale pourrait alors intervenir « dans la première semaine d’octobre ». Mais « le compteur tourne, il y a le budget et des textes qui attendent, comme la Nouvelle Calédonie. Tout ne peut pas s’arrêter », alerte un sénateur.
« Il est sur une piste noire avec des drapeaux et lui, il faut qu’il passe au milieu »
Mais pas facile de trouver la formule magique. « Il a affaire à des interlocuteurs qui disent des choses extrêmement différentes et souvent contradictoires, entre le PS et le Medef. Il est sur une piste noire avec des drapeaux et lui, il faut qu’il passe au milieu. Il continue à consulter. La première semaine il a fait un tour de chauffe, il a vu tout le monde. Là il passe à la deuxième phase, beaucoup plus exploratoire, et voir les compromis, dans telle ou telle direction », explique un acteur des discussions.
Preuve que le détail des annonces ne devrait pas être pour tout de suite, l’heure est encore aux propositions. Les présidents des groupes du socle commun du Sénat, soit Mathieu Darnaud (LR), Hervé Marseille (UC), François Patriat (RDPI), Claude Malhuret (Les Indépendants) et Véronique Guillotin (pour représenter le RDSE) sont invités à une réunion avec le président LR du Sénat, Gérard Larcher, le mercredi 1er octobre. Un « petit déjeuner de travail » pour « coordonner la réponse que nous devons donner au courrier du premier ministre en matière de décentralisation, envoyé vendredi dernier », confie-t-on. Autrement dit, le Sénat, qui représente les collectivités, compte apporter sa pierre au « grand acte de décentralisation », l’une des rares annonces déjà faite par le premier ministre, mais qui reste encore très flou.
« Il y a un peu un désintérêt des gens »
S’il faut encore attendre pour avoir un gouvernement et un discours de politique générale – certains évoquent même la possibilité qu’il se passe de l’exercice – les choses mettront encore davantage de temps à réellement reprendre. « Il faut nommer le gouvernement, mais aussi les cabinets, etc. Tout ça va être long. Il y en a pour un mois », grince un membre du groupe EPR (Ensemble pour la République) de l’Assemblée, condamné à attendre. « Quand vous êtes parlementaire, vous piaffez d’impatience, il y a des sujets qu’on aimerait faire remonter. Mais il y a un risque que ça se perde dans les méandres. C’est frustrant, mais pour les Français, ça ne passe pas plus mal », pense ce député Renaissance. Mais le pire, c’est que la population fait avec. « Il y a un peu un désintérêt des gens. Ils ne m’écrivent pas en disant, « c’est cool, c’est la fin des avantages des premiers ministres. Je n’ai pas l’impression que les gens attendent à cor et à cri que Sébastien Lecornu s’exprime. Peut-être plus un gouvernement, car il y a un sentiment d’immobilisme ». A moins que le premier ministre tombe à peine après avoir nommé son gouvernement. On ne serait pas à une surprise près.