« Personne ne l’a emporté » aux législatives anticipées. C’est le constat que dresse Emmanuel Macron dans un courrier adressé aux Français, publié ce mercredi 10 juillet. Le président de la République appelle « les forces républicaines » à faire preuve de responsabilité « pour bâtir une majorité solide, nécessairement plurielle, pour le pays », écrit-il. Le chef de l’Etat sait que la formation d’un nouveau gouvernement est contrainte par les rapports de force à l’Assemblée nationale. Mais de quels rapports de force parle-t-on ? Trois jours après le second tour des législatives, la situation reste toujours aussi floue.
S’il est trop minoritaire, un gouvernement peut être renversé à tout moment par l’adoption d’une motion de censure, un risque d’autant plus accru avec une assemblée tripartite, où l’écart entre les différents blocs se joue à quelques dizaines de députés. Néanmoins, un gouvernement privé de majorité absolue (289 sièges) peut réussir à se maintenir plus ou moins longtemps, à condition que les oppositions ne parviennent pas à joindre leurs voix pour le renverser. C’est ce qui a permis à Emmanuel Macron de gouverner depuis 2022, la gauche et la droite ayant globalement refusé de soutenir les motions de censure déposées par le RN, tandis que l’exécutif s’est appuyé à plusieurs reprises sur des majorités de circonstance, notamment en glanant des voix du côté des Républicains, pour continuer à réformer.
Selon toute vraisemblance, le groupement de forces politiques qui parviendra à s’imposer dans la nouvelle assemblée devra encore faire face au même type de configuration. L’hypothèse d’une large coalition, qui irait des écologistes aux LR, évoquée à mi-mot avant le second tour des législatives par certains responsables politiques comme l’ancien président de la République François Hollande, Xavier Bertrand, le président LR de la région des Hauts-de-France, François Bayrou, le patron du MoDem et même le Premier ministre Gabriel Attal, apparaît de plus en plus compromise au regard des premières tractations.
Hypothèse #1 : le statu quo jusqu’au 18 juillet
Emmanuel Macron a demandé au Premier ministre, Gabriel Attal, de conserver son poste pour « continuer à exercer ses responsabilités », le temps que les forces politiques s’organisent. Mais dans un contexte inédit, cette séquence ne menace-t-elle pas de s’éterniser ? Une date néanmoins, sur le calendrier parlementaire, fixe une première échéance, celle du 18 juillet, avec l’élection du ou de la présidente de l’Assemblée nationale.
À cette date, théoriquement, les groupes politiques se seront stabilisés. Alors que les nouveaux députés ont commencé à prendre leurs quartiers au Palais Bourbon, la question des rattachements occupe toutes les têtes. Elle est particulièrement prégnante du côté du Nouveau Front populaire où le Parti socialiste espère encore arriver devant La France insoumise et reprendre l’avantage à gauche, ce qui pourrait se jouer à quelques sièges. Chez les communistes, on lorgne notamment sur les 27 députés ultramarins, qui ont souvent fait campagne sous des étiquettes locales, pour sauver le groupe de la Gauche démocrate et Républicaine (GDR) qui siège depuis 1924.
La famille politique dont sera issu(e) le ou la président(e) élu(e) à l’Assemblée nationale permettra d’identifier l’éventuel centre de gravité de la nouvelle législature. « Cela devrait effectivement donner une direction. Traditionnellement, le président de l’Assemblée nationale est de la même couleur politique que le gouvernement », observe le politologue Olivier Rouquan, enseignant-chercheur associé au Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques (Cersa) de Paris. « Mais dans la situation actuelle, il n’est pas exclu que son élection soit permise par un accord de circonstance entre plusieurs groupes ». Il est en tout cas peu probable d’assister à la nomination d’un Premier ministre avant de voir une personnalité monter au perchoir.
« Le maintien prolongé de Gabriel Attal à la tête du gouvernement pourrait sonner comme une tentative d’effacer le résultat de dimanche », avertissent les principales formations de gauche dans un communiqué commun publié mardi. « S’il n’était qu’un moyen détourné de ne pas proposer une personnalité du Nouveau Front populaire au poste de Premier ministre, ce serait démocratiquement inacceptable. »
Néanmoins, et comme nous vous l’expliquions dans cet article, rien dans la Constitution, pas même un revers électoral, ne peut contraindre le président de la République à se séparer de son Premier ministre. Rien non plus ne l’oblige à désigner un chef de gouvernement issu de la majorité. Toutefois, passé le 18 juillet et l’ouverture de la XVIIe législature, si Gabriel Attal est toujours en poste, les députés pourront toujours déposer une motion de censure dont l’adoption forcerait de facto le gouvernement à la démission. À partir de là, il ne serait plus en charge que des affaires courantes, jusqu’à la nomination d’un nouveau Premier ministre.
Hypothèse #2 : le Nouveau front populaire parvient à confirmer son assise
Depuis le second tour des législatives, le Nouveau Front populaire revendique la victoire et considère qu’il lui revient de gouverner. Mais avec seulement 182 sièges, le bloc de gauche ne semble pas devoir disposer de l’assise nécessaire pour pouvoir appliquer son programme et échapper à une motion de censure. Depuis le début de semaine, les réunions s’enchaînent à l’intérieur des partis et entre représentants du NFP pour tenter de résoudre cette équation : quelle méthode de gouvernement pour naviguer dans une assemblée aussi fracturée ? Et surtout, quel Premier ministre ?
Les tensions entre partis, notamment entre les insoumis et les socialistes, se sont ravivées autour de cette question et d’une candidature de Jean-Luc Mélenchon, poussée par ses fidèles mais fermement rejetée par le reste de la gauche. Clémentine Autain et Olivier Faure se sont dits prêts à assumer cette fonction. Mais les noms de François Ruffin, Clémence Guetté, Manuel Bompard, ou encore de Mathilde Panot ont également été cités. « Les noms sortent, mais à ce stade aucun d’entre eux n’est associé à une solution… », nous résumait mardi le sénateur de Paris Rémi Féraud.
Chez une partie des socialistes, la nécessité d’un élargissement vers le bloc central fait son chemin. Sacha Houlié, le président sortant de la commission des Finances, annonce quitter Renaissance, et cite l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, président de Place publique, comme le plus proche de sa ligne. À l’AFP, Sacha Houlié précise vouloir « créer un groupe qui aille de la droite sociale à la gauche socialiste pour que la France soit gouvernable ». Selon des informations du Monde et de Libération, l’élu pourrait rassembler une quinzaine de députés, qui viendraient potentiellement constituer une force d’appoint pour le NFP. Le bloc de gauche atteindrait ainsi la barre des 200 élus, ce qui reste toutefois bien maigre pour construire un socle de gouvernabilité suffisamment stable.
Par ailleurs, la possibilité que d’anciens macronistes, même issus de l’aile gauche de Renaissance, acceptent de collaborer avec La France insoumise semble à écarter, tant les deux camps se sont affrontés ces sept dernières années. « Le problème de ce scénario, c’est que le NFP pourrait perdre d’un côté ce qu’il gagnerait de l’autre en se rapprochant du centre gauche », relève Olivier Rouquan. « À moins de négocier une forme de soutien sans participation de la part des insoumis… ce qui ne semble pas vraiment envisageable. Rappelons néanmoins que c’était la position adoptée par le Parti communiste dans le vrai Front populaire. »
Le temps perdu par la gauche pour accorder ses violons ne jette pas seulement une forme de discrédit sur sa capacité à gouverner, il offre aussi au camp présidentiel, bien que sorti laminé des législatives, une marge de manœuvre pour se réorganiser et tenter de reprendre l’avantage. Ce qui nous amène à notre troisième scénario.
Hypothèse #3 : un bloc central allié aux LR
Une partie des soutiens d’Emmanuel Macron mise désormais sur un rapprochement avec Les Républicains pour pouvoir gouverner. Les macronistes ont perdu une centaine de députés, mais ils ont tout de même réussi à déjouer les pires pronostics en conservant 168 sièges. Un peu plus à droite, les LR devraient également sauver l’essentiel de leur groupe avec le rattachement des divers droite, et ainsi maintenir une cinquantaine de députés.
Invité mardi soir du 20 heures de TF1, l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, dont le parti Horizons compte 25 élus, évoquait une entente de circonstance « au centre, composée de Renaissance, du MoDem, d’Horizons et des LR ». Cette alliance pourrait rassembler 220 députés, selon l’ex-chef du gouvernement, dont le calcul risque cependant d’être bousculé par le départ de Sacha Houlié. « Là encore, l’équation est la même que pour la gauche : ce que les macronistes espèrent gagner avec la droite, ils risquent aussitôt de le perdre avec leur aile gauche. Dans des proportions moindres, toutefois, qu’un NFP sans LFI ».
Cette piste, qui viendrait barrer la route de la gauche, est également appuyée par Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur et sa collègue Aurore Bergé, la ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. « J’entends des députés LR, divers droite, UDI et même divers gauche prêts à nous rejoindre, ce qui veut dire que l’on pourrait numériquement dépasser le bloc de gauche. En tout cas, on est les seuls à pouvoir s’élargir », a expliqué cette dernière sur France 2.
Reste à convaincre les LR, ce qui n’est pas une mince à faire. Olivier Marleix et Xavier Bertrand réclament la nomination d’un Premier ministre de droite, arguant de la nécessité d’une respiration après sept années de macronisme. « Pour que ça change, ça ne peut pas être un premier ministre du camp présidentiel », a estimé le président du Conseil régional des Hauts-de-France sur France 2.
Mais Laurent Wauquiez, qui vient juste de prendre la présidence du groupe à l’Assemblée nationale, et Bruno Retailleau, chef de file des sénateurs LR, campent sur une ligne d’indépendance. « Nous ne croyons pas que nous pouvons répondre à la crise d’un pays par des combinaisons d’appareils », a estimé le tout nouveau président des députés LR lors d’une prise de parole sur le perron de l’Assemblée national. Il se dit en revanche favorable à la mise en place de majorités de circonstance « sur des propositions de fond ».
Invité ce mercredi de la matinale de Public Sénat, Hervé Marseille, patron des centristes au Sénat et président de l’UDI, qui a fait la campagne des européennes aux côtés des macronistes, a taclé la rigidité affichée par certains responsables de droite. « Bien sûr qu’il y a des contacts [entre LR et la majorité sortante], le problème c’est qu’il y a des responsables sur une ligne isolationniste. J’ai vu un certain nombre de députés qui n’étaient pas sur cette ligne et envisagent de créer un groupe distinct », a-t-il confié.
Hypothèse #5 : la mise en place d’un gouvernement technique dans l’attente d’une nouvelle dissolution
Si aucune majorité claire ne parvient à se mettre en place à l’Assemblée nationale dans les prochaines semaines ou les prochains moins, il y a fort à parier que le chef de l’Etat opte pour une nouvelle dissolution d’ici un an, le laps de temps imposé par la Constitution. En attendant, la mise en place d’un gouvernement technique permettrait de gérer les affaires courantes et de proposer a minima quelques réformes, sur des thématiques susceptibles d’emporter une large adhésion au Parlement. Comme nous vous l’expliquions dans cet article, il s’agit de nommer aux différents portefeuilles ministériels des personnalités sans affiliation politique, généralement des hauts fonctionnaires ou des personnes issues de la société civile.
Mais Olivier Rouquan croit peu à cette hypothèse : « Nous avons des députés élus avec une très forte légitimité au regard du taux de participation aux législatives, et une assemblée particulièrement politisée. Comment un gouvernement de technocrates et de fonctionnaires pourrait domestiquer de tels parlementaires ? », interroge-t-il.
Par ailleurs, un gouvernement technique n’est pas exempt du risque de censure. Le cap du budget semble difficilement surmontable pour le politologue : « Des techniciens voudront vraisemblablement appliquer les recommandations européennes. Comment vont-ils négocier cela avec la gauche et le RN ? »