Que pense Marine Le Pen de la rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine en Alaska ? Bien que cette séquence signe le retour sur la scène internationale occidentale du président russe déclaré persona non grata depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la présidente du groupe Rassemblement national (RN) à l’Assemblée nationale n’y a apporté aucun commentaire.
Silence de Marine Le Pen
Ni la députée du Pas-de-Calais ni le président du parti Jordan Bardella n’ont communiqué suite au sommet organisé vendredi dernier entre les deux présidents qui ont pourtant discuté des conditions pour mettre un terme à la guerre en Ukraine. Des commentaires que ne se sont en revanche pas privés de publier certains de leurs alliés européens sur X.
Le vice-président du Conseil des ministres d’Italie et président de la Lega Matteo Salvini a salué un « pas en avant vers la paix » et une « bonne nouvelle ».
Manière pour elle de critiquer la démarche de la délégation européenne qu’elle juge affaiblie par cette séquence. « C’est en existant par eux-mêmes et en affirmant leur puissance souveraine que chaque État du vieux continent peut, ensuite, coopérer dans une Europe des peuples. Jamais l’inverse », poursuit la triple candidate à l’élection présidentielle. « C’est l’Europe qui aurait dû lancer les négociations pour arriver à un accord vers la paix », déclarait la veille, dans la même veine, le député européen RN Matthieu Valet.
« La solution facile, c’est de s’en prendre à Emmanuel Macron »
Celui qui a été élu à Bruxelles et Strasbourg il y a un an est le seul membre du Rassemblement National à être intervenu publiquement sur ce sujet avant le tweet de Marine Le Pen. L’ancien policier déclarait sur France Inter lundi 18 août : « Marine Le Pen a toujours dit qu’il fallait une conférence de la paix avec tous les pays européens, l’Ukraine, pays agressé et la Russie, pays agresseur. » Le porte-parole du RN plaidait également pour que « l’Ukraine retrouve le territoire qui est celui qu’elle a toujours eu avant cette guerre. »
Plus particulièrement concernant le sommet entre Donald Trump et Vladimir Poutine, Mathieu Valet dit observer que « M. Poutine est ressorti [gagnant] de cet échange parce qu’il impose ses conditions, son tempo et sa vision […] Aujourd’hui il faut discuter avec M. Poutine pour rétablir la paix [aux] conditions des Ukrainiens et de Volodymyr Zelensky. ». Sur l’accueil que lui a réservé le président américain : tapis rouge, applaudissements, le parlementaire préfère tacler Emmanuel Macron qui avait reçu le président russe à Versailles en 2017 et au Fort de Brégançon en 2019. « La solution facile, c’est de faire profil bas et de s’en prendre à Emmanuel Macron, mais ce n’est pas une critique de fond », relève Eric Sangar, maître de conférence en sciences politique à Sciences Po Lille.
« Il y a des gens qui trouvent qu’on nous emmerde beaucoup avec l’Ukraine »
Si certains au RN expliquent l’absence de réaction par les congés estivaux, le silence de Marine Le Pen sur cette rencontre entre le président russe et le président américain traduit tout de même un choix. Car en l’absence de parole publique, un parlementaire RN joue la prudence : « En matière de politique internationale, ce sont les deux grands chefs qui parlent même s’il y en a toujours qui pensent qu’ils ont le droit de parler de tout. »
D’autant qu’au Rassemblement national, derrière la ligne officielle qui condamne l’agression russe en Ukraine, plusieurs voix cohabitent. « Sur tous les sujets, il y a plusieurs lignes, ça n’existe pas un parti qui fait plus de 30% avec une seule ligne sur un seul sujet, avance le même parlementaire. Il y a des gens qui trouvent qu’on nous emmerde beaucoup avec l’Ukraine, mais il n’y a pas trop de russophile poutinien. »
L’ombre du soutien du RN à la Russie
Ce qui n’a pas toujours été le cas. En pleine campagne présidentielle de 2022, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le RN avait été obligé de jeter des tracts sur lesquels Marine Le Pen serrait la main de Vladimir Poutine. Le RN, qui s’appelait en 2014 Front National avait aussi bénéficié cette année-là de deux prêts russes pour un montant de 11 millions d’euros. Marine Le Pen défendait et défend toujours l’annexion de la Crimée par la Russie. Et le parti compte dans ses rangs un député européen depuis 2019 qualifié de pro-russe. « La russophilie de Thierry Mariani n’est pas inventée mais il l’a quand même mis sous le boisseau », note un de ses collègues au Parlement européen. Nos confrères du Monde relèvent qu’il avait été choisi par son groupe au Parlement européen pour défendre le rejet du mécanisme de coopération pour les prêts à l’Ukraine dont font partie les intérêts d’avoirs russes gelés. Dans le même article, Le Monde rappelle également qu’au Parlement européen, les élus du RN ont voté trois fois contre des résolutions d’aide à l’Ukraine et se sont abstenus deux fois.
Le silence de Marine Le Pen s’expliquerait-il par la nécessité de ménager son propre camp ? « Le RN est confronté à un dilemme. Son électorat et ses cadres sont divisés avec certains qui veulent continuer de soutenir la Russie et dénoncer le soutien à l’Ukraine tandis que d’autres préfèrent dénoncer la violation d’une nation souveraine », ajoute Eric Sangar. Selon le chercheur, la volonté de normalisation du RN peut aussi expliquer ce qu’il qualifie « d’ambigüité » sur ces sujets : « Le RN veut être élu par un électorat bourgeois conservateur et pas uniquement contestataire pour conquérir la présidence de la République. »