Sur scène, la charge est sans appel. « L’Union européenne coche toutes les cases, c’est un empire marchand, wokiste et ultra-libéral. Et parce que c’est sa nature, sa volonté, c’est un empire contre nos nations. C’est un empire qui manipule et menace des désordres, impose et opprime. » Ce lundi 9 juin, à l’occasion d’un rassemblement organisé par le RN avec les principaux dirigeants de l’extrême droite européenne, à Mormant-sur-Vernisson, petit village du Loiret près de Montargis, Marine Le Pen a repris l’une des vieilles antiennes de sa famille politique en livrant un discours d’une vingtaine de minutes particulièrement offensif contre la Commission européenne, sa bureaucratie et ses règlements.
« Nous ne voulons pas quitter la table. Nous voulons finir la partie et la gagner, prendre le pouvoir en France et en Europe pour le rendre aux peuples », a-t-elle martelé. Si depuis 2017 elle n’appelle plus à quitter l’UE – ce qui a longtemps été l’un des principaux axes du programme politique de l’ex-FN -, préférant une refonte de l’intérieur, la députée du Pas-de-Calais ne s’était plus montrée aussi sévère, au moins sur la forme, depuis plusieurs mois. D’autant que cette prise de parole intervient après celles de onze autres leaders nationalistes, un an jour pour jour après la percée de leurs différentes formations aux élections européennes.
Deux heures durant, sous un soleil de plomb au milieu des champs de céréales, et devant plusieurs milliers de militants, ils ont multiplié les coups de boutoir contre l’Union européenne, ciblant principalement la politique migratoire et les enjeux de sécurité. Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, a notamment dénoncé « un échange organisé de populations pour remplacer le socle culturel de l’Europe », reprenant à son compte la théorie complotiste du grand remplacement.
» REPORTAGE – Au milieu des champs du Loiret, le RN réunit l’extrême droite européenne pour défendre le soldat Le Pen
« Le discours anti-européen reste un classique du RN »
« Marine Le Pen était entourée d’un bel échantillon des leaders pro-Poutine à l’intérieur de l’Europe, qui tiennent habituellement des discours plus agressifs qu’elle. Elle ne pouvait pas faire moins, ce qui pourrait expliquer ce sentiment de durcissement vis-à-vis de l’Union européenne », décrypte auprès de Public Sénat Erwan Lecoeur, politologue spécialiste de l’extrême droite.
L’Immigration traitée sur le thème de l’invasion, l’Union européenne comparée à un système autoritaire, ses dirigeants qualifiés de technocrates… Bref un retour aux fondamentaux pour la fille de Jean-Marie Le Pen ? « Rien de nouveau sous le soleil. Le discours anti-européen reste un classique du RN. Il y a une ligne de fond qui ne bouge pas », nuance Safia Dahani, docteure en science politique du LaSSP de Sciences Po Toulouse, spécialiste du RN. « À partir de là, ils se positionnent en fonction du contexte. Le procès et la condamnation de Marine Le Pen ont pu redéfinir ce qu’ils avaient envie de dire et peut-être que, dans le contexte actuel, revenir à un type de discours plus offensif, comme on a pu en entendre il y a quelques années, leur paraît plus pertinent », ajoute-t-elle.
Une extrême droite coalisée
En apparaissant entourée de ces différents chefs de partis et responsables politiques européens, notamment Viktor Orban, qui l’a gratifiée d’un baisemain et qualifiée de « présidente », Marine Le Pen soigne sa stature internationale et joue à plein sa partition de présidentiable face à la condamnation judiciaire qui hypothèque sa candidature pour 2027. Organisé dans une commune d’une centaine d’habitants, à plus d’une heure de route de Paris, ce meeting a pris des allures de démonstration de force, permettant aussi de faire oublier le rassemblement raté aux Invalides après la condamnation de Marine Le Pen à cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire.
« Elle a besoin de tous les soutiens possibles. Il serait gênant pour elle que ces différents leaders en viennent à soutenir Jordan Bardella, pressenti pour la remplacer en 2027, et qui pilote déjà le groupe Patriotes pour l’Europe au Parlement européen », décrypte Erwan Lecoeur. « En durcissant son discours, elle cherche à se poser en cheffe de file d’une extrême droite européenne coalisée, et du même coup elle s’assure la prééminence au sein de son parti, notamment vis-à-vis des 29 eurodéputés que l’on sait plutôt bardelliste. »
Union de façade
Quitte aussi à renoncer à la prudence dont elle avait pu, à l’occasion, faire preuve vis-à-vis de certains partenaires, car derrière l’unité affichée sur la scène lundi se cachent aussi des dissensions plus ou moins fortes. « Au sein du groupe au Parlement européen, on sait que les accords sont difficiles et qu’ils ne travaillent pas toujours en bonne entente », observe Safia Dahani.
« On assume d’avoir des désaccords en politique interne avec nos alliés », démine le député RN Thomas Ménagé, l’un des chefs d’orchestre du rassemblement dans le Loiret. « Nous sommes d’accord sur une chose : les Hongrois ne sont pas des Français, qui ne sont pas des Polonais, qui ne sont pas des Espagnols. Les peuples de chacun de ces pays peuvent avoir des lignes différentes », explique l’élu. « C’est vrai que Monsieur Orban, son parti le Fidesz et les Hongrois sont plus conservateurs que nous le sommes en France. Nous n’avons pas les mêmes positions, très clairement, mais nous sommes d’accord pour une Europe des Nations qui soit libre. »
« Marine Le Pen veut aller plus vite et plus fort »
La réélection de Donald Trump avait aussi été l’occasion d’une certaine prise de distance. Marine Le Pen s’est montrée un peu moins enthousiaste que ses partenaires continentaux sur le milliardaire. Elle avait critiqué la « brutalité » du retrait de l’aide à l’Ukraine, et répliqué à J.D. Vance sur X lorsque celui-ci avait qualifié la France de « pays quelconque qui n’a pas fait la guerre depuis trente ou quarante ans ». Mais depuis, le locataire de la Maison Blanche et son bras droit lui ont aussi apporté leur soutien, dénonçant sur leurs réseaux sociaux « une chasse aux sorcières » après sa condamnation.
En mettant de nouveau en avant sa radicalité, la triple candidate à la présidentielle risque aussi de venir bousculer la stratégie de normalisation adoptée depuis 2022 à l’Assemblée nationale pour tenter d’élargir le socle électoral du RN. Mais pour Erwan Lecoeur, il est évident que cette approche « ne tient plus depuis plusieurs mois ». « On voit bien que la stratégie de la cravate a laissé place à une stratégie de la cravache. Elle veut aller plus vite et plus fort pour frapper l’imaginaire, récupérer les fâchés, capitaliser sur les colères. » Un objectif qui s’inscrit dans la ligne populiste qu’elle défend, quand d’autres autour d’elle comme Jordan Bardella, misent davantage sur « l’union des droites » comme levier d’accession au pouvoir.