Ukraine : deux sénateurs décryptent en cinq questions les enjeux de la crise avec la Russie

Ukraine : deux sénateurs décryptent en cinq questions les enjeux de la crise avec la Russie

Le président de la commission sénatoriale des affaires étrangères, Christian Cambon (LR), et son vice-président André Gattolin (LREM), répondent aux questions de Public Sénat sur la crise qui oppose russes et occidentaux autour de l'Ukraine, alors que plusieurs diplomates se retrouvent mercredi à Paris.
Romain David

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Les tensions entre la Russie et les Occidentaux autour de l’Ukraine ne retombent pas. Elles menacent désormais de fracturer une unité européenne déjà fragile. Depuis l’automne dernier, Kiev, soutenue par Washington et Bruxelles, accuse Moscou de masser des troupes dans la région frontalière du Donbass, où s’affrontent déjà forces ukrainiennes et séparatistes pro-russes depuis l’annexion de la Crimée en 2014. Selon les autorités ukrainiennes, la Russie serait également à l’origine de plusieurs opérations massives de déstabilisation menées à l’intérieur du pays, entre cyberattaques et autres alertes à la bombe. Des pourparlers se sont ouverts en décembre entre Washington et Moscou, mais les deux puissances se renvoient la balle et continuent de camper sur leurs exigences mutuelles. Vladimir Poutine s’oppose notamment à l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan et à l’installation de bases militaires américaines dans les pays de l’ex-URSS. De son côté, Joe Biden demande à la Russie des garanties selon lesquelles elle n’est pas en train de préparer une invasion, et menace d’intervenir le cas échéant.

Bref, une véritable guerre des nerfs face à laquelle les Européens affichent des positions discordantes. Alors que Berlin et Paris sont partisans d’un maintien du dialogue, certains États d’Europe centrale et d’Europe du nord réclament davantage de fermeté vis-à-vis du géant russe. Interrogés par Public Sénat, le sénateur LR Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, et son collègue le sénateur LREM (RDPI) André Gattolin, également vice-président de cette commission mais aussi membre du groupe France-Ukraine au Sénat, livrent leur analyse de la crise.

On a appris mardi que le Kremlin avait lancé une nouvelle série de manœuvres militaires à proximité de la frontière ukrainienne, impliquant quelque 6 000 hommes, selon l’agence de presse russe Tass. Rien ne semble enrayer la montée des tensions dans la région, au point que l’on se demande si la volatilité de la situation ne sert pas le Kremlin.

Christian Cambon. « C’est le jeu de toutes les grandes puissances que de veiller à ce qu’elles n’aient pas de voisins susceptibles de leur nuire. La Russie a toujours contesté à l’Ukraine le droit d’exister en tant que pays. Pour Vladimir Poutine, cette entité n’a pas lieu d’être ! Faire monter la pression sur cette région est une manière pour Moscou de remettre en cause l’équilibre précaire qui s’est construit après la chute du mur de Berlin. Sans aller, du moins pour le moment, à une remise en place de ce qu’étaient les rapports de force durant la guerre froide. Il y a toutefois une volonté de rétablir une certaine influence russe sur les anciens pays de l’espace soviétique, face à l’élargissement de l’UE et de l’Otan.

André Gattolin. Effectivement, Vladimir Poutine cherche à construire un espace qui soit à la fois une zone tampon entre la Russie et les Occidentaux, mais aussi une nouvelle zone d’influence pour la Russie. On peut le soupçonner de vouloir déstabiliser le régime ukrainien pour favoriser, en sous-main, la nomination d’un pro-russe à la tête du pays. Par ailleurs, il y a aussi une instrumentalisation politique de la crise. Il espère probablement en tirer un bénéfice personnel, en redorant une popularité qui a commencé à s’effriter en Russie. À cette fin, déclencher un conflit lui permet d’agiter le sentiment national, de passer pour le restaurateur d’une fierté russe bafouée.

Le risque d’une invasion russe de l’Ukraine est-il vraiment crédible, ou s’agit-il d’un épouvantail agité par Washington pour pousser les Européens à serrer les rangs et affermir leur position vis-à-vis de la Russie ?

C.C. Si je raisonne avec rationalité, je dirai que la Russie n’a pas du tout intérêt à se lancer dans une aventure pareille. Ce serait coûteux, et très dangereux pour ses relations avec les autres pays européens. Sans compter le risque d’enlisement : on a bien vu ce qu’a donné l’occupation de l’Afghanistan par les Américains.

A.G. La tentation de faire un coup dans le Dombass, à l’image de ce qui s’est passé avec l’annexion de la Crimée en 2014, me paraît réelle. D’autant que Vladimir Poutine peut miser sur le fait que les Américains, malgré la fermeté qu’ils affichent et les menaces de représailles, veulent surtout se concentrer sur leur bras de fer avec la Chine. Ils n’ont pas du tout intérêt à ouvrir un nouveau front en Europe de l’Est.

On a l’impression d’un dialogue qui se déroule essentiellement entre Washington et Moscou, et auquel l’Union européenne assiste, silencieusement, sans avoir vraiment le droit au chapitre. Pourquoi cette mise en retrait ?

C.C. Les Européens subissent tout simplement la stratégie de Vladimir Poutine, qui ne s’adresse qu’aux Américains. Mais je pense qu’il fait une grave erreur stratégique en considérant l’UE comme quantité négligeable. Car l’UE, ce sont aussi les pays baltes et la Pologne, des voisins proches de la Russie, et donc une capacité de perception assez fine des enjeux locaux.

A.G. L’UE est la grande absente de cette crise, qui se joue pourtant à sa porte. Effectivement, il y a une volonté de Vladimir Poutine d’exclure les Européens, pour lesquels il manifeste une forme de mépris. L’absence de défense européenne explique que l’UE ne soit pas considérée par la Russie comme un interlocuteur à ménager, même si, d’un point de vue commercial, elle représente le premier débouché des exportations russes.

Une réunion entre conseillers diplomatiques français, allemands, russes et ukrainiens se tient mercredi à Paris. Emmanuel Macron a indiqué qu’il allait s’entretenir durant les prochains jours avec son homologue russe. Il parle d’un « chemin de désescalade » à proposer à Vladimir Poutine. La France est-elle en mesure de peser dans ce dossier ?

C.C. J’aurais aimé que les relations franco-russes, qui avaient pris un bon départ au début du quinquennat, notamment avec la réception de Vladimir Poutine à Versailles, restent denses. Force est de constater que nous n’entretenons plus beaucoup de rapports. Je veux croire que la France peut retrouver un rôle de premier plan, même si une démarche européenne a assurément plus de force. Paris peut, tout du moins, jouer un rôle d’entraînement du reste de l’UE.

A.G. Dans les couloirs des instances internationales, les Russes nous font régulièrement comprendre qu’ils voient la France comme une puissance sur le déclin, et ce malgré le fait qu’elle soit le seul pays de l’UE avec une force armée significative. J’ai quelques doutes sur les capacités d’Emmanuel Macron à imposer quoi que ce soit à Vladimir Poutine. D’autant qu’il connaît la capacité du Kremlin à semer le trouble par des moyens non-conventionnels, comme des piratages informatiques. À quelques semaines de la présidentielle, c’est un risque qu’il ne cherchera pas à courir.

Cette crise pourrait-elle constituer une menace pour l’unité européenne ? On voit déjà que les vues divergent sur la posture à adopter vis-à-vis de Moscou. Les pays baltes et la Pologne appellent à une réponse ferme, Paris et Berlin restent plus prudents et veulent maintenir le dialogue diplomatique.

C.C. La Pologne et les pays baltes ont connu dans leur histoire récente la domination de l’URSS. On comprend que leur réaction soit un peu plus épidermique. En Allemagne, les hésitations politiques autour du gazoduc Nord Stream 2 (achevé en septembre mais pas encore entré en service, ndlr), rappellent que ce pays dépend largement du gaz russe. Il est assez difficile de tenir un langage de fermeté à des gens qui sont aussi vos fournisseurs d’énergie.

A.G. Et la France, de son côté, doit composer avec le partenaire allemand… Le discours de dialogue prôné par Emmanuel Macron intègre la présidence française du Conseil de l’Union européenne, même si je pense qu’il serait plus enclin à la fermeté. Mais pour faire avancer certains dossiers, Paris ne peut pas se permettre de froisser Berlin. »

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