Ukraine : Hubert Védrine pointe une responsabilité des Occidentaux par leur « arrogance désinvolte »
Invité de notre matinale, Hubert Védrine est revenu sur la situation actuelle en Ukraine. D’après l’ancien ministre des Affaires étrangères, l’attitude belliqueuse de la Russie prend source dans une mauvaise gestion des années post-URSS par les Occidentaux, mais doit maintenant être combattue.

Ukraine : Hubert Védrine pointe une responsabilité des Occidentaux par leur « arrogance désinvolte »

Invité de notre matinale, Hubert Védrine est revenu sur la situation actuelle en Ukraine. D’après l’ancien ministre des Affaires étrangères, l’attitude belliqueuse de la Russie prend source dans une mauvaise gestion des années post-URSS par les Occidentaux, mais doit maintenant être combattue.
Louis Mollier-Sabet

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« C’est presque gênant d’avoir ce débat maintenant avec ce que l’on voit en Ukraine. » Hubert Védrine reste précautionneux, mais au moment d’évoquer la guerre actuelle entre l’Ukraine et la Russie, il ne manque pas de rappeler que les racines du conflit sont à chercher dans les 30 dernières années, et notamment dans l’attitude des Occidentaux après la dissolution de l’URSS en 1992. Celui qui était secrétaire général de l’Elysée entre 1991 et 1995, puis ministre des Affaires étrangères de 1997 à 2002 était en effet en première ligne lors de ces années mouvementées pour l’ancien bloc de l’Est : « Après 1992, et la fin de l’URSS, on dit aux Russes que les années Eltsine, ça va être la démocratie, mais pour eux, c’est l’effondrement du niveau de vie et la corruption. L’Occident a d’abord accumulé les erreurs et les maladresses, par désinvolture. On n’a pas été assez inclusifs avec la Russie au début. Même Kissinger [diplomate et théoricien des relations internationales américain, ndlr] l’a reconnu, on aurait dû inclure la Russie dans une architecture de sécurité plus globale. À partir du troisième mandat de Poutine, il y a une évolution vraiment nationaliste et un danger évident. Dans les dernières années on n’a pas été assez dissuasifs et assez fermes. »

« Ce n’est pas parce qu’on a contribué à réveiller le monstre qu’il ne faut pas le combattre »

Hubert Védrine n’oublie pas de prendre des pincettes, mais pointe une « responsabilité » des Occidentaux dans la situation : « Dans un colloque historique, on pourrait dire que les Occidentaux ont une responsabilité, mais c’est difficile à manier. » D’après l’ancien ministre des Affaires étrangères, « l’arrogance désinvolte » des Occidentaux les a amenés à faire des erreurs d’analyse : « 140 pays ont condamné l’agression à l’ONU, mais une quarantaine de pays représentant 60 % de l’humanité a refusé de condamner. Il faut que les Occidentaux réfléchissent à l’idée qu’on est les maîtres du monde. Cette arrogance désinvolte a conduit à faire rentrer la Chine dans l’OMC alors qu’elle ne respectait aucune règle, car on pensait que ça la rendrait démocratique. Il faut qu’on atterrisse. »

Pour Hubert Védrine, l’Occident devra revoir son attitude à l’égard des autres puissances mondiales comme la Russie ou la Chine : « On va devoir réinventer la coexistence pacifique. Un jour ou l’autre, il y aura une Russie différente, mais pas telle que les Européens l’ont souhaitée. Ce ne sera jamais un petit pays secondaire qui s’alignera sur nos normes et fera ce qu’on lui demande. Ce sera toujours un pays compliqué, cela dure depuis des siècles. La Russie ne sera jamais une social-démocratie scandinave, il faut arrêter l’approche missionnaire et normalisatrice. » « Mais l’urgence n’est pas là », ajoute Hubert Védrine. Malgré cette responsabilité historique de l’Occident, « ce n’est pas parce qu’on a contribué à réveiller le monstre qu’il ne faut pas le combattre, on n’a pas le choix. »

« Alors que des excités à Washington veulent faire de l’Ukraine un nouvel Afghanistan, il ne faut pas embrayer derrière le discours américain »

Si « l’obsession ukrainienne aurait pu ne pas tout envahir », à la fois chez les dirigeants russes et la population, elle est maintenant bien là d’après Hubert Védrine : « Il y a une obsession ukrainienne chez Poutine, qui est partagée par beaucoup de gens en Russie. Il a réussi à capter un nationalisme russe virulent. Quand il y a des minorités dans les pays voisins, soit proches des Russes, soit russophones, qui sont en opposition avec le pays où ils sont, Poutine saisit les opportunités. Mais il est maintenant concentré sur la question de re-russifier l’Ukraine, je ne crois pas qu’il attaquera d’autres pays. » Il reste difficile de savoir à quel point l’agenda de Poutine est partagé en Russie, mais l’ancien ministre des Affaires étrangères n’exclut pas une certaine adhésion de la population : « Il y a plein de gens dans le monde qui ne pensent pas comme nous. On en est ramené à des spéculations sur ce que pensent les Russes, comme l’information est spécialement verrouillée. » Pour autant, « des discours de propagande dominant, il y en a partout, même dans les démocraties. À l’époque de la guerre en Irak, il n’y a presque pas eu de voix dissonantes aux Etats-Unis », rappelle Hubert Védrine.

Et précisément, d’après lui, le discours dominant est de plus en plus « excité » aux Etats-Unis depuis plusieurs semaines : « Alors que des excités à Washington veulent faire de l’Ukraine un nouvel Afghanistan, il ne faut pas embrayer derrière le discours américain de ces dernières semaines, qui dit qu’il faut en profiter pour affaiblir la Russie et que Poutine ne peut pas continuer. Je pense que ce discours est dangereux. Il faut garder l’unité des Occidentaux, mais je suis plus à l’aise avec la ligne française ou allemande : on aide par tous les moyens l’Ukraine sans entrer dans la guerre nous-même, mais on ne se lance pas dans une opération antirusse. » Concrètement, « il faut renvoyer le maximum de fermeté qui soit tenable », ce qui veut dire d’après Hubert Védrine qu’il faudra atténuer les sanctions : « Vu les effets contreproductifs en matière énergétique, il y a une crise énorme qui se prépare. Il faudra affiner les sanctions économiques, et organiser les choses pour que le blé d’Ukraine et de Russie puisse sortir. Personne n’a intérêt à ce qu’il y ait des émeutes de la faim dans les pays de la rive sud [de la Méditerranée]. Les sanctions économiques ce n’est pas la Bible, il faut travailler un peu dessus. »

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