Décoré de la légion d’honneur par Emmanuel Macron en présence d’Olaf Scholz hier soir, et adoubé par Charles Michel, président du Conseil européen, ce jeudi matin avec un « bienvenue chez vous, bienvenue dans l’UE », c’est en héros que le président Ukrainien a été accueilli à Bruxelles. Après avoir célébré « l’European Way of Life » mis en danger par l’invasion russe au Parlement européen, Volodymyr Zelensky participe cet après-midi au conseil européen, pour aborder les dossiers stratégiques et militaires avec les membres de l’Union Européenne.
Le principal dossier sur la table en ce qui concerne l’Ukraine reste les livraisons d’armes, comme les chars lourds ou les avions de combat, qu’avaient déjà réclamé le président de la Rada devant le Sénat la semaine dernière. « Nous avons besoin d’artillerie, de munitions, de chars modernes, de missiles à longue portée, d’avions de chasse modernes. […] Merci de nous offrir le soutien militaire que vous nous offrez, merci d’en faire davantage. Nous devons aller plus vite que notre agresseur. Notre agresseur est en train de se mobiliser davantage », a de nouveau déclaré le président ukrainien devant le Parlement européen.
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En un an de guerre en Ukraine, c’est 10 fois le stock de chars français qui a été détruit
Mais la France peut-elle livrer ce type d’armement à l’Ukraine, même si elle en acceptait les « risques d’escalade », dont se dit par exemple « conscient » le gouvernement britannique ? Ce jeudi est justement publié un rapport sénatorial de Cédric Perrin (LR) et Jean-Marc Todeschini (PS) qui fait le point sur les enseignements à tirer pour la France un an après le début de la guerre. Ce rapport diagnostique, entre autres, un « retour de la guerre de haute intensité » qui « nous oblige à revenir aux fondamentaux des conflits armés. » À cet égard, les stocks et la capacité de production d’armement conventionnel doivent être revus à la hausse, au vu des pertes constatées sur le front ukrainien.
D’après le rapport, la France dispose par exemple de 222 chars de combat, 18 systèmes sol-air et 253 avions de combat, alors que la Russie et l’Ukraine ont respectivement déjà perdu, en un an de conflit, 1642 et 449 chars de combat, 88 et 86 systèmes sol-air, et 69 et 56 avions de combat. Dans une « guerre de haute intensité », c’est donc presque 10 fois les stocks français de chars, plus de 20 fois les stocks de systèmes de défense sol-air et la moitié des stocks d’avions de combat, qui ont été détruits.
On peut en conclure d’une part que d’éventuelles livraisons françaises en Ukraine devraient s’inscrire dans une action concertée avec l’ensemble des pays occidentaux pour avoir un réel impact sur le conflit. D’autre part, les rapporteurs Cédric Perrin (LR) et Jean-Marc Todeschini (PS) en tirent des conclusions sur « l’économie de guerre française », en estimant qu’il faut « passer des mots aux actes », puisque le complexe militaro-industriel français ne paraît pas « bénéficier de la visibilité nécessaire pour se préparer, le cas échéant, à monter en puissance. »
« Des engagements fermes de l’Etat » pour l’industrie militaire
« Si l’expression « d’économie de guerre « a le mérite d’impulser une dynamique, elle est excessive, voire trompeuse, au regard des objectifs poursuivis et, surtout, des résultats obtenus à ce jour », poursuivent-ils. Le rapport en appelle ainsi à des « engagements fermes de l’Etat » en termes de commandes, à relocaliser certaines productions stratégiques, comme les poudres propulsives, et à constituer des stocks stratégiques, tout en renouvelant les stocks existants. Pour remédier à la pénurie de main-d’œuvre et de financement des entreprises de la « BITD » (Base industrielle et technologique de défense), Cédric Perrin et Jean-Marc Todeschini misent sur la prochaine loi de programmation militaire (LPM), qui prévoit 413 milliards d’investissements de l’Etat dans la défense pour la période 2024-2030.
Christian Cambon, président de la commission des Affaires étrangères, rappelait à publicsenat.fr qu’il ne fallait pas « calquer » nos investissements sur la guerre en Ukraine, notamment parce que la France dispose de la dissuasion nucléaire. Pour autant, il faut quand même « tirer les enseignements » de la guerre en Ukraine, avec une consolidation de la lutte anti-drones et le lancement des programmes « concernant le futur du combat terrestre et de l’artillerie », « moins spectaculaires qu’un porte-avions », mais « déterminants pour notre autonomie stratégique. » Ainsi, « la dissuasion nucléaire n’a rien perdu de son actualité », mais « ne justifie pas de baisser la garde dans le domaine conventionnel. »
Intégrer la dissuasion nucléaire et l’OTAN à la réflexion
La dissuasion nucléaire « ne doit pas devenir notre nouvelle ligne Maginot », avertit le rapport, qui appelle à « repenser l’articulation » entre nucléaire et conventionnel pour arriver à se préparer à une guerre de haute intensité, tout en intégrant la dissuasion nucléaire – qui change la donne – au dispositif. L’implication dans l’OTAN, que le rapport enjoint à « investir encore davantage », commande aussi de disposer « de capacités conventionnelles suffisantes pour intervenir – le cas échéant – en coalition dans un contexte de haute intensité. »
D’après le rapport, la France dispose des compétences et des technologies nécessaires, « mais les quantités disponibles doivent être accrues. » Un constat qui semble valoir pour l’ensemble du complexe militaro-industriel français, une « force complète », mais « d’une faible épaisseur », diagnostiquait Christian Cambon pour publicsenat.fr l’été dernier. Un an après le début de la guerre en Ukraine, le constat semble toujours d’actualité, et la mise en œuvre de la prochaine LPM dira s’il perdure encore quelques années ou non.