Ukraine : « Si le pire des scénarios, c’est l’attaque d’un pays de l’Otan par la Russie, il faut s’y préparer », selon la chercheuse Anna Colin Lebedev

Ukraine : « Si le pire des scénarios, c’est l’attaque d’un pays de l’Otan par la Russie, il faut s’y préparer », selon la chercheuse Anna Colin Lebedev

L’attaque d’ampleur lancée par Vladimir Poutine contre l’Ukraine montre que « la Russie est capable d’actes au-delà de ce que nous pensons raisonnable », selon Anna Colin Lebedev, spécialiste des sociétés post-soviétiques. « On lit certainement mal le jeu de Vladimir Poutine », pointe la chercheuse, « il raisonne dans le cadre d’une mission à accomplir ».
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L’attaque d’ampleur lancée par Vladimir Poutine contre l’Ukraine montre que « la Russie est capable d’actes au-delà de ce que nous pensons raisonnables », selon Anna Colin Lebedev, spécialiste des sociétés post-soviétiques et maître de conférences à l’Université de Paris Nanterre. « Avec Vladimir Poutine, on voit que le pire se réalise », constate-t-elle. « On lit certainement mal le jeu de Vladimir Poutine », selon la chercheuse de l’Institut des sciences sociales du politique, « il raisonne dans le cadre d’une mission à accomplir qu’il s’attribue ». « Par une manipulation de l’histoire », le président russe « écrit le récit de sa propre gloire », analyse Anna Colin Lebedev. Si l’armée russe devrait prendre le dessus militairement, la spécialiste pense que « la population ukrainienne est prête à la guerre. La résistance sera forte ». Entretien.

Vladimir Poutine est entré en guerre contre l’Ukraine. Personne ne semblait vraiment s’attendre à une attaque de cette ampleur. La capitale Kiev a été touchée. Comment l’expliquer et que nous apprend cette attaque ?

C’est faux de dire que personne ne s’attendait à cette attaque. Une attaque massive sur plusieurs endroits en Ukraine faisant partie des scénarios. C’était le scénario le plus pessimiste. D’aucun disait le plus alarmiste. C’est celui-là qui a été mis en œuvre. Et je pense qu’on peut en tirer un certain nombre d’enseignements. Le premier, c’est que sans doute les services secrets américains avaient effectivement des informations. On s’est un peu moqué des annonces d’invasions chaque jour, car nous ne sommes pas habitués à penser la pire option comme l’option la plus probable. Ce n’est pas dans nos logiciels.

Second enseignement : c’est une confirmation de ce que nous savons depuis 2014, que la Russie est capable d’actes au-delà de ce que nous pensons raisonnable. Et au-delà de ce que nous pensons être son intérêt. On lit certainement mal son jeu. Et on lit son jeu du point de vue de notre rationalité. Je pense que nous faisons des erreurs en essayant de nous mettre dans la tête de Poutine. On n’est pas du bon côté de la tête.

Les Etats-Unis et les Européens ne sont pas prêts à intervenir en Ukraine. Quelle est alors l’utilité d’une attaque aussi large ? Poutine en avait-il besoin ?

C’est peut-être là qu’on introduit notre biais. Besoin pour quoi ? Pour la négociation ? Non. Si on raisonne en termes de coûts/avantages de gains à tirer, on ne comprend rien à cette attaque. J’ai une hypothèse aujourd’hui, un peu trop rapide pour être précise, car on réfléchit un peu trop à chaud. Mais je pense que Vladimir Poutine raisonne dans le cadre d’une mission à accomplir qu’il s’attribue. De notre capacité à préciser cette mission, dépendra notre capacité à anticiper les prochaines étapes. Mais qui dit mission, dit être prêt à des sacrifices. La Russie a beaucoup à perdre dans ce qu’elle est en train de faire. Mais aux yeux de Poutine, la mission est plus grande. Ça justifie de sacrifier les autres, des choses pour son pays et peut-être de se sacrifier. Il y a quelques semaines, je disais que si Vladimir Poutine souhaitait envahir intégralement l’Ukraine, ce sera une mission suicide. Et j’ai tendance à penser peut-être que la mission suicide fait partie des options.

La Russie serait-elle capable d’attaquer un pays de l’OTAN ?

Une fois de plus, la leçon que nous tirons, après 2014, avec l’annexion de la Crimée, puis en 2022, c’est que le pire des scénarios est celui qui se réalise. Donc si le pire des scénarios de demain, c’est l’attaque d’un pays de l’Otan, il faut se préparer, y compris à ce scénario-là. Avec Vladimir Poutine, on voit que le pire se réalise. L’attaque d’aujourd’hui nous a appris qu’on est sortie de la zone des probabilités, pour voir en fait jusqu’où il est capable d’aller.

Vladimir Poutine s’appuie beaucoup sur l’histoire pour justifier son action. Comment comprendre ce rôle donné à l’histoire ?

L’histoire est un instrument qui lui permet de donner du sens à ce qu’il est en train de faire. Et de le justifier par l’histoire. Il le justifie par une manipulation de l’histoire, une nécessité historique. Quelque part, Vladimir Poutine est en train de dire, ce n’est pas mon choix, c’est le chemin de l’histoire. C’est la logique historique qui me pousse. Ça rejoint l’idée de la mission. Il ne convainc pas grand monde par cette analogie historique, en tout cas pas en Occident, parce que nous sommes convaincus que le passé ne détermine pas forcément le présent. Mais il écrit le récit de sa propre gloire.

La population russe soutient-elle le bellicisme de Vladimir Poutine ?

La population russe n’a pas considéré sur ces derniers mois, voire sur ces dernières années, que l’Ukraine était un sujet prioritaire. Les Russes sont préoccupés aujourd’hui par la baisse de leurs revenus, par la baisse de leur pouvoir d’achat, par l’effet de la pandémie. Certains sont préoccupés par les politiques de plus en plus répressives de leur Etat. La préoccupation des Russes est dans la politique intérieure. Quand on leur a posé la question ces dernières semaines, via les sondages, « êtes-vous pour accueillir les réfugiés en provenance du Donbass ? » Les Russes ont dit oui. Quand on leur demande « êtes-vous pour l’indépendance des Républiques séparatistes ? » Ils disent oui, par compassion. Quand on demande aux Russes « qui est responsable de la crise actuelle ? » Ils répondent l’Otan et l’Occident. Car c’est le message qui leur est transmis depuis des années. Mais on ne voit pas du tout pour l’instant en Russie de soutien massif à la guerre, sachant que l’attaque a commencé ce matin. On est très loin de l’euphorie de 2014 au moment de l’annexion de la Crimée.

Si ce manque de soutien de la population russe se confirme, cela pourra-t-il jouer ?

Ce n’est pas un sujet qui va freiner Vladimir Poutine. Néanmoins, des cercueils vont revenir en Russie. Et il y a déjà des tués du côté russe, et coté ukrainien. Mais on sait aussi que les sanctions seront là. Elles vont toucher notamment les milieux d’affaires.

Les sanctions financières et économiques prononcées par les Occidentaux peuvent-elles avoir un impact ?

Difficile à dire. L’Etat russe a eu le temps de se préparer aux sanctions. Ils ont rapatrié des capitaux. Ils ont mis en place une alternative possible au réseau Swift (réseau international d’échanges bancaires, ndlr). Mais il est fort possible que les sanctions provoquent une fuite massive des entreprises, des forces vives. Les milieux entrepreneuriaux n’ont pas intérêt à la guerre. Ça peut bousculer de ce côté, ou pas.

La prochaine étape est-elle l’installation d’un pouvoir pro-Russe en Ukraine ?

L’armée Russe est en capacité aujourd’hui d’occuper l’Ukraine rapidement. En revanche, je pense que ça ne sera pas facile pour la Russie d’installer un gouvernement pro-Russe et de contrôler le territoire. La population ukrainienne est prête à la guerre. La résistance sera forte. Et ce sera meurtrier. Au niveau de la population, du contrôle des villes, même dans l’Est, ça va être très compliqué.

Il y a un deuxième élément : envoyer un missile ou bombarder un aéroport, comme ils le font, c’est une chose. Mais quand le conducteur d’un blindé russe se retrouvera face à des civils ukrainiens qui lui ressemblent, parlent la même langue, qui pourraient être ses cousins, ça va être plus compliqué, y compris pour les troupes russes.

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