Pour son premier anniversaire à la tête du ministère de la Justice, Éric Dupond-Moretti a reçu un drôle de cadeau : une vérification fiscale. Selon les informations de Mediapart et l’Opinion, le garde des Sceaux a omis de déclarer 300 000 euros de revenus en 2019, liés à ses droits d’auteur. « La rectification fiscale a eu lieu, la situation fiscale du ministre est totalement réglée et sa bonne foi a été démontrée », a répondu son entourage. Certes, mais voilà un pépin de plus sur le chemin de croix tortueux de l’ancien ténor du barreau depuis qu’il a été nommé ministre, au cours de l’été 2020.
« Il va être mis en examen. Pas de doute »
La semaine prochaine, le 16 juillet, le garde des Sceaux est convoqué devant la Cour de Justice de la République (CJR) en vue d’une mise en examen, pour des soupçons de conflit d’intérêts. Convocation qui lui a été remise en marge d’une très longue et exceptionnelle perquisition menée au ministère de la Justice jeudi dernier. Ce qui fait grogner, en off, jusqu’au plus haut sommet de l’Etat depuis une semaine. « Il va être mis en examen. Pas de doute. Prenez la liste de tous les ministres de la Justice et regardez combien n’ont pas eu affaire aux juges. Soit tous les politiques sont pourris. Soit le système est complètement zinzin et on a une république des juges », s’agace un membre du premier cercle d’Emmanuel Macron. D’autant que cette affaire pourrait lui coûter son siège de ministre, les rumeurs de remaniement se faisant de plus en plus pressante. Déjà avant lui, Richard Ferrand ou François Bayrou avaient été éjectés du gouvernement avant d’être mis en examen. « Je pense qu’il est inquiet », admet un cadre de la majorité présidentielle. Qui ajoute dans la foulée : « La jurisprudence Balladur, je comprends qu’on la récuse, mais elle est aujourd’hui acceptée. Elle est importante dans le rapport de confiance avec les Français. »
« On a un échange direct avec lui »
Pour « Acquittator », star des tribunaux autrefois adulé par les étudiants en droit, rien n’est facile en politique. Ses premiers pas au Parlement ont été poussifs. Dès sa première séance de questions au gouvernement en juillet 2020 à l’Assemblée nationale, il est chahuté par l’opposition et perd l’éloquence qu’on lui connaît. Au Sénat en particulier, il s’est écharpé à de multiples reprises avec les socialistes, comme Laurence Rossignol, David Assouline ou Marie-Pierre de La Gontrie. Plusieurs fois aussi, il s’est brouillé avec la commission des lois du Sénat, sur la réforme de la Justice des mineurs par exemple. Dernier épisode en date, la passe d’armes entre le garde des Sceaux et l’emblématique ancien président de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas, ce mercredi. Le sénateur LR a dénoncé le procès fait au Sénat en matière de protection de l’environnement. Le garde des Sceaux a répliqué en estimant que les sénateurs s’étaient arc-boutés sur un texte sans « aucun effet juridique ».
Un an de Dupond-Moretti à la tête de la Justice ? « Je distingue les qualités de l’homme et celles du ministre. J’apprécie l’homme. Il n’est pas responsable de tout en matière politique. On a un échange direct avec lui. Comme sur le texte Climat ! », se marre le président LR de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet, à la sortie des questions d’actualité au gouvernement. Les sénateurs ont par exemple pu trouver des compromis comme pour la proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste portée par la sénatrice centriste, Annick Billon. Mais pour François-Noël Buffet, il n’y a pas encore de « marque Dupond-Moretti ».
Le ministre, lui, fait pourtant déjà valoir son bilan. « Un an plus tard, nous n’avons pas à rougir de notre action », clame Éric Dupond-Moretti dans une brochure éditée par son ministère pour l’occasion. Il y fait l’éloge de l’augmentation « historique » - contesté par le Sénat - du budget de la Justice, 17 textes défendus devant le Parlement, dont la réforme de la justice des mineurs engagée par sa prédécesseure Nicole Belloubet, et son projet à lui, pour la « confiance dans l’institution judiciaire ». « On lui prédisait un destin à la (Nicolas) Hulot. Un an après, il n’en est rien, l’avocat, l’homme de la société civile, a parfaitement enfilé le costume de ministre », se félicite son entourage qui rappelle que le secret professionnel des avocats, les droits des détenus, la durée des enquêtes préliminaires évoquée dans son discours de passation de pouvoir à la Chancellerie avaient trouvé leur place dans le projet de loi du ministre.
« Il doit quand même se demander ce qu’il est venu foutre ici »
Reste que son projet de loi a reçu un accueil glacial du monde judiciaire et Éric Dupond-Moretti a fait face aux accusations de « laxisme » des syndicats de policiers et a surtout essuyé une fronde inédite des magistrats avec qui les relations étaient déjà plus que fraîches. Nommer une « personnalité aussi clivante et qui méprise à ce point les magistrats » est une « déclaration de guerre à la magistrature », avait jugé à l’époque la présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) Céline Parisot. A peine deux mois plus tard, les syndicats accusaient le ministre de profiter de son poste pour régler des comptes dans des dossiers dans lesquels il avait été impliqué en tant qu’avocat, en ordonnant des enquêtes administratives sur plusieurs magistrats dont trois du Parquet national financier (PNF). En décembre, ils déposaient contre le ministre la plainte qui a conduit à l’enquête ouverte à la CJR en janvier.
Sur le volet politique, le ministre, opposé de longue date au Front national puis au Rassemblement national, a tenté sa première expérience électorale lors des élections régionales dans les Hauts-de-France. Résultat : la liste sur laquelle il figurait a été éliminée dès le premier tour. Même son village d’enfance, Cousolre, dans le Nord, a voté majoritairement pour le RN. Une défaite qui a entraîné une prise de bec devenue publique avec son collègue de l’Intérieur, Gérald Darmanin. En cause, le message de soutien adressé par le locataire de Beauvau à son « ami » Xavier Bertrand, « récompensé pour son bilan ». Accusé de « trahison » par Éric Dupond-Moretti, le locataire de la Place Beauvau est monté dans les tours et a renvoyé l’ex-ténor du barreau dans les cordes. « Commence déjà par gagner une élection », lui a-t-il lancé. « C’est du Premier ministre et du président de la République que je tiens ma légitimité, et d’eux seuls », a rétorqué Éric Dupond-Moretti la semaine dernière au JDD.
« Il doit quand même se demander ce qu’il est venu foutre ici. Il se fait dégommer par son ministre de l’Intérieur. Il se fait balayer aux régionales… », observe un dirigeant de la majorité présidentielle. « Mais je n’appréciais pas l’avocat médiatique et j’ai rencontré un vrai homme de conviction ». Le compliment vient d’un membre de l’aile gauche des Marcheurs.