French President Emmanuel Macron during a visit to Mathis, a company specialised in large wooden buildings, in Muttersholtz, eastern France

Un an après la réélection d’Emmanuel Macron : retour sur une « année horribilis »

Réélu le 24 avril 2022, Emmanuel Macron réussit une première historique. Mais vite, la machine se grippe, avant que le train ne déraille, lors des législatives. Privé de majorité absolue, il se retrouve contraint de négocier, texte par texte. Son pouvoir est entravé. 28 textes sont néanmoins adoptés au Parlement, dont en réalité seulement trois par 49.3 : les budgets et surtout la réforme des retraites, malgré la rue. Une impression de « fin de règne » plane, alors que son mandat s’achèvera dans quatre ans. Pour Emmanuel Macron, rebondir est une obligation.
François Vignal

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Il voulait être le maître des horloges. Il les subit. Un an qu’Emmanuel Macron a été réélu. Mais cette année paraît déjà compter double voire triple. A ce rythme, les quatre ans qui restent avant la fin de son mandat risquent d’être très longs. Si la perception du temps semble si distendue, c’est que depuis la réélection d’Emmanuel Macron, une première pourtant sous la Ve République, les choses ne se sont pas passées comme il pouvait l’espérer. Le train a déraillé à moitié, tout en continuant à avancer.

Comme une gueule de bois dès le soir de sa réélection

On rembobine. 24 avril 2022. Emmanuel Macron est réélu président de la République avec 58,5 % des voix, face à Marine Le Pen. Le plafond de verre s’est vérifié pour la candidate de l’extrême droite, et le réflexe républicain, grâce encore à une bonne partie de la gauche, s’est répété. « Ce vote m’oblige » dit le Président réélu à l’adresse de ceux qui ont voté pour lui « non pour soutenir (ses) idées, mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite ». Mais l’écart se resserre. Une réélection au goût amer. Même chez ses soutiens, rassemblés le soir du second tour sur le champ de mars, la fête semble un peu forcée, sans effusion de joie. Tout le monde rentrera tôt, avec déjà comme une gueule de bois.

Très vite, certains opposants à Emmanuel Macron vont lui intenter un procès en illégitimité, alors qu’il vient pourtant d’être élu. « C’est un discours qu’on a entendu dès le soir du deuxième tour, […] alors qu’il a progressé entre les premiers tours de 2017 et de 2022 de 5 millions de voix, c’est extrêmement fort », note sur Public Sénat Frédéric Dabi, directeur général opinion de l’institut de sondage Ifop. Mais « cette illégitimité s’est posée par les conditions de l’élection, cette campagne tronquée, à rebours de l’imaginaire des Français. […] La campagne a été phagocytée par le covid-19 et anesthésiée par l’invasion russe de l’Ukraine », rappelle le sondeur.

« Passage à vide » après sa réélection

Son élection est suivie d’une drôle de période, où Emmanuel Macron attend extrêmement longtemps avant d’annoncer le choix de son, ou plutôt de sa première ministre. On sent que ça commence à flotter. Il voulait d’abord nommer Catherine Vautrin, une élue locale de droite. Il va la rencontrer, lui en parle. Ce sera finalement Elisabeth Borne, une techno issue des cabinets ministériels de gauche.

« C’est un passage à vide. C’est un homme qui a réussi un exploit, un Président qui réussit à être réélu », souligne sur Public Sénat le journaliste Ludovic Vigogne, qui sort le livre « Les sans jours » (Bouquins Ed.), sur les débuts du second quinquennat. « Et en même temps, c’est un homme qui traverse un passage à vide, en prenant des décisions stratégiques qui se révéleront extrêmement mauvaises. En ne parvenant pas à nommer la première ministre qu’il avait initialement choisie, en ne parvenant pas à avoir une majorité absolue à l’Assemblée nationale », raconte le journaliste de L’Opinion. Regardez :

Le cataclysme des législatives

Car c’est là que les choses basculent. Ce retard à l’allumage pour donner un locataire à Matignon, ce sentiment – déjà ! – d’absence de cap va donner des législatives calamiteuses. Emmanuel Macron va certes obtenir une majorité, mais une majorité seulement relative, avec un total de 250 députés avec ses alliés du Modem et d’Horizons. Soit moins de la moitié des députés. Et ça change tout. Si tout le monde ne semble pas prendre tout de suite la mesure des résultats, à commencer par le chef de l’Etat lui-même quant à sa pratique du pouvoir, c’est bien un cataclysme. La logique majoritaire, qui veut que sous la Ve République, les législatives découlent de la présidentielle, avec des Français qui donnent une majorité claire au Président, est démentie pour la première fois.

Le Rassemblement national envoie 89 députés au Palais Bourbon, autre première historique, pendant que la Nupes permet d’élire 151 députés de gauche, mais surtout LFI. Un coup politique de Jean-Luc Mélenchon, qui arrive, aux côtés du PS, d’EELV et du PCF, à créer une union de la gauche inespérée pour ses électeurs, tout en leur demandant de l’envoyer à Matignon. Un accord politique qui va cependant profondément diviser le PS. Quant aux LR, après la catastrophe de la présidentielle, ils sauvent en partie la mise avec 62 députés et un rôle de groupe charnière qui se dessine. Car la politique d’Emmanuel Macron entretient plus sa jambe droite que sa jambe gauche.

La France ne va pas devenir en quelques semaines l’Allemagne, habituée aux compromis

Face à cette situation inédite, Elisabeth Borne se met à consulter dans l’espoir d’élargir la majorité. Mais aucune formation ne veut, ni n’est prête à rejoindre la macronie, qu’elles ont pourfendue pendant la campagne. Question de culture politique aussi. La France ne va pas devenir en quelques semaines l’Allemagne, habituée aux compromis et aux coalitions.

Ce sera finalement du « texte par texte ». L’exécutif ne peut pas espérer mieux. Soit des majorités de circonstance à construire, au cas par cas, selon les sujets. Premier exercice pratique dès l’été, avec le projet de loi portant des mesures d’urgences pour le pouvoir d’achat et contre l’inflation galopante, qui s’envole et entretenue par les conséquences de la guerre en Ukraine. Le texte est adopté, avec une bonne partie des voix LR et RN.

D’autres textes seront adoptés avec l’aide de la droite, comme la réforme de l’assurance chômage, la loi Lopmi sur la sécurité, quand d’autres le seront avec la gauche, comme celle sur les énergies renouvelables, ou encore avec la droite et une partie de la gauche, pour l’examen du texte de relance du nucléaire, adopté avec les LR et le PCF à l’Assemblée. Au total, ce sont 11 projets de loi et 12 propositions de loi (qui sont d’origine parlementaires) adoptés.

Un « texte par texte » qui fonctionne

Ça, c’est pour le côté face. Côté pile, c’est le recours au 49.3, qui permet de passer en force, sur le projet de loi de finances (PLF) et le budget de la Sécurité sociale (PLFSS). Pas une surprise, puisque le vote d’un budget est traditionnellement synonyme d’appartenance à une majorité. La première ministre doit recourir 10 fois au 49.3 rien que sur le PLF. Normal, en raison de toutes les parties du texte et des lectures successives.

Du côté de l’exécutif, on préfère voir le verre à moitié plein. « On a toujours privilégié l’absence de 49.3. Mais ça ne se fait pas en un claquement de doigts, il y a du boulot », avance cette semaine un ministre à l’heure du bilan. Il souligne que seuls « trois textes ont été adoptés par 49.3, le PLF, le PLFSS et les retraites », on va y revenir. Le même, ajoute :

  Depuis juin, 28 textes ont été adoptés et 25 sans 49.3. 

(un ministre)

On voit qu’en réalité, les choses ne fonctionnent pas si mal, bon an mal an. L’effet loupe des tensions à l’Assemblée nationale, où LFI électrise souvent les débats, rend la vision des choses trompeuse. Dans ce contexte, le Sénat, à majorité LR et centriste, chercher à tirer son épingle du jeu. Pour l’exécutif, dont les relations avec le Sénat ont été très tendues au moment de l’affaire Benalla, la Haute assemblée devient un appui sur lequel compter. En s’entendant avec Gérard Larcher et Bruno Retailleau, à la tête du groupe LR, il peut espérer faciliter la recherche de majorité avec les LR au Palais Bourbon. Ça se tient sur le papier. Dans la réalité, les calculs du gouvernement viennent s’éclater contre la division de la droite à l’Assemblée, où les LR ressemblent plus à un groupe d’autoentrepreneurs, sans ligne directrice, avec des chefs manquant d’autorité sur leurs troupes.

Les retraites éclipsent tout le reste

On va le voir sur la réforme des retraites, qui va éclipser tout le reste. Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, qui voulait reporter l’âge légal à 65 ans, le chef de l’Etat accepte, poussé par Elisabeth Borne, de négocier en amont avec les LR et de reprendre le principe de l’amendement sénatorial, voté chaque année lors du budget de la Sécu : un report à 64 ans couplé à l’accélération de la réforme Touraine, sur le passage à 43 annuités. Au Sénat, la majorité sénatoriale votera en toute logique le texte, non sans apporter quelques modifications.

Mais le gouvernement « vend » mal sa réforme, avec une communication à géométrie variable : un coup pour financer des mesures sur l’école et la santé, un autre pour assurer l’équilibre du système, ou encore pour éviter de faire peur aux marchés financiers, avant de revenir sur le premier argument… François Bayrou, l’allié du Modem, avait mis en garde sur une réforme mal expliquée. Il y avait sûrement du vrai.

S’ajoute le flou sur la retraite minimale à 1.200 euros, qui concerne finalement beaucoup moins de monde qu’annoncé initialement par le ministre du Travail Olivier Dussopt, qui porte la réforme avec abnégation, tel un moine soldat de la Macronie. Ou encore le cafouillage sur les mesures complexes pour les carrières longues, où personne ne comprend plus rien. Un certain Aurélien Pradié, député LR du Lot, qui se rêve un destin présidentiel, n’y est pas étranger, en voulant mettre la barre haute et conditionnant son vote sur ce sujet.

Le « deal » avec les LR sur les retraites explose en vol

Au final, le « deal » avec les LR explose en vol. Eric Ciotti, nouveau président des LR, a beau soutenir une réforme qu’il juge nécessaire, trop de voix manquent dans son groupe, entre Aurélien Pradié et ses amis, ou les proches de Xavier Bertrand et de Laurent Wauquiez. Ce dernier se réserve pour 2027 également et n’a pas bougé le petit doigt pour faire pencher la balance. Les hésitations de quelques membres de la majorité, au Modem, à Horizons ou même au groupe Renaissance, avec l’ex-ministre Barbara Pompili, n’ont rien arrangé. On connaît la suite : faute de majorité certaine – le vote se serait joué à 2 ou 4 voix – le gouvernement décide d’engager sa responsabilité par le 49.3. Une motion de censure est déposée. Le gouvernement frôle alors la catastrophe. Elle n’est rejetée qu’à neuf voix près. La coagulation des oppositions réunie pourrait faire tomber le gouvernement, entraînant probablement une dissolution. Mais en réalité, personne n’est prêt à retourner aux urnes, tout le monde craignant de voir le RN en profiter.

En parallèle, la France voit dans la rue un mouvement de protestation puissant contre la réforme. Un des plus grands des 25 dernières années. Emmanuel Macron réussit à unir tous les syndicats contre lui, la CGT de Philippe Martinez et la CFDT de Laurent Berger bras dessus, bras dessous. Douze journées de mobilisations, des millions de Français dans la rue, des sondages qui disent tous le rejet sans équivoque de la réforme. Résultat : un Président qui reste sourd, droit dans ses bottes, et maintien son texte, coûte que coûte.

49.3, black blocs et violences policières

Si les premières manifestations se sont bien passées, après le recours au 49.3, c’est un tournant. La jeunesse va dans la rue, et les casseurs et black blocs aussi. Des petits groupes organisés, dont le but est plus de faire effondrer l’Etat. La réponse de la police ne se fait pas dans la dentelle. Les forces de l’ordre vont multiplier les actions musclées… et les violences policières. Sur les réseaux sociaux, les vidéos se multiplient, avec des charges qui paraissent souvent disproportionnées et sans discernement, contre de simples manifestants. A Sainte-Soline, c’est le point d’orgue de ces tensions. Deux manifestants se retrouvent dans le coma.

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, sort du bois, non sans arrière-pensées politiques pour celui qui se verrait bien candidat en 2027, ou plus rapidement, à Matignon à la place d’Elisabeth Borne. Il dénonce le « terrorisme intellectuel » de l’extrême gauche. Devant le Sénat, il s’interroge sur les subventions que l’Etat donne à la Ligue des droits de l’Homme, entraînant un tollé à gauche.

Tout le monde attend la décision du Conseil constitutionnel, saisi pour se prononcer sur la constitutionnalité de la réforme des retraites. Malgré une accumulation de mesures visant à accélérer les débats et une absence de vote à l’Assemblée, les Sages valident l’essentiel de la réforme, à l’exception notable de l’index senior et du CDI senior, un apport des sénateurs LR.

Boucle temporelle

Emmanuel Macron, qui reste à distance durant toute la séquence, laissant sa première ministre prendre les coups à sa place – c’est aussi son rôle – tente de reprendre la main. Il prend la parole pour fixer les chantiers à venir, autour du travail, de l’école, de la santé, et parle de « 100 jours ». Sur le fond, rien de très nouveau en réalité. Comme l’impression d’être dans une boucle temporelle et d’être revenu après sa réélection.

Après de nouvelles consultations qui n’ont rien donné de probant, Elisabeth Borne va annoncer la semaine prochaine le détail de la feuille de route, alors que le Parlement est en mode pause. Emmanuel Macron tente de son côté, depuis quelques jours, de retourner sur le terrain, à portée d’engueulade, comme pour exorciser les tensions et retisser le lien avec les Français.

« Le problème, c’est que ce n’est pas une fin de règne, il reste 4 ans de mandat »

Le bilan de cette première année est lourd. Ce qui est terrible pour Emmanuel Macron, c’est qu’il n’est qu’au début de son second mandat, mais il paraît déjà usé. « On voit très bien à quel point cette année horribilis, cette réforme des retraites classiques, dans le sens où le Président paie le prix de l’impopularité, donne une structure d’image qui rappelle une fin de règne. Le problème, c’est que ce n’est pas une fin de règne, il reste 4 ans de mandat », pointe Frédéric Dabi.

« Maintenant, Emmanuel Macron peut-il rebondir ? » s’interroge le sondeur. Il rappelle que « lors du premier mandat, il a déjà rebondi trois fois », après le recours « aux ordonnances travail, qui ont arrimé une partie de la droite », après « les gilets jaunes, avec le grand débat, le parti de l’ordre, le rempart face à la chienlit » et lors du covid-19, où « sa cote de popularité ne bouge pas », « c’est le Président des crises, le capitaine dans la tempête ». Mais pour l’heure, un nouveau rebond ne semble pas se dessiner pour Emmanuel Macron, « car pour les Français, la page des retraites n’est pas soldée ».

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