Elisabeth BORNE a la Reunion

Un an d’Elisabeth Borne à Matignon : quel bilan législatif pour la Première ministre ?

Entrée en fonction le 16 mai 2022, Elisabeth Borne arrive au terme d’une année où, en tant que cheffe de la majorité, elle a dû composer avec un morcellement inédit des forces politiques à l’Assemblée nationale. La Première ministre peut se targuer d’avoir réussi à construire sur certains textes, relativement consensuels, des majorités de circonstance. Néanmoins, elle est sortie affaiblie de la séquence des retraites, qui a signé l’échec de sa stratégie législative au cas par cas.
Romain David

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13 projets de loi ont été définitivement adoptés depuis le début de la législature. Des adoptions au forceps pour certaines, du fait d’une majorité relative, parfois turbulente, et d’oppositions chauffées à blanc. Pourtant, ce bilan est régulièrement mis en avant dans la bouche de la Première ministre Élisabeth Borne, une manière de réfuter toute idée de blocage, même si, depuis l’épisode des retraites, les pages de l’agenda parlementaire consacrées aux travaux du gouvernement se sont sensiblement vidées. Après une année secouée par des débats particulièrement houleux au Parlement, dont la crise des retraites a marqué le climax, l’exécutif cherche la parade pour relancer le train des réformes. « Avancer, c’est la seule chose qui m’importe », assure dans un long entretien accordé au Journal du Dimanche la Première ministre, qui soufflera mardi 16 mai sa première bougie à Matignon. L’occasion d’un retour sur une année législative qui, de l’aveu même de la cheffe du gouvernement, fut particulièrement « intense ».

Discours de politique générale

Exercice obligé pour tout nouveau Premier ministre : le discours de politique générale. Élisabeth Borne se présente le 6 juillet devant le Parlement, d’abord à l’Assemblée nationale puis au Sénat, pour dévoiler les grandes lignes de son action. La cheffe du gouvernement prend acte de la fragmentation inédite des forces parlementaires, à l’issue des législatives de juin : « Par le résultat des urnes, les Français nous demandent d’agir autrement », constate-t-elle. Elle promet d’œuvrer « dans un esprit de dialogue, de compromis et d’ouverture ».

Élisabeth Borne suit l’exemple de son lointain prédécesseur, Michel Rocard, également privé d’une majorité suffisante à l’Assemblée nationale, et renonce comme lui à demander un vote de confiance aux députés, manière de s’éviter un camouflet qui viendrait entacher sa légitimité à Matignon. Cette impasse sur un usage républicain, qui n’a rien d’obligatoire, lui vaut d’affronter une première motion de censure, portée par les élus de la Nupes. Quinze autres suivront au fil des mois et des textes.

Le paquet législatif en faveur du pouvoir d’achat

Les premiers mois d’Élisabeth Borne sont marqués par les préoccupations grandissantes des Français face aux effets de l’inflation et de la crise énergétique sur leur portefeuille. Dès le mois de mai, la Première ministre fait de la lutte contre la hausse des prix la première des priorités de son gouvernement, avec deux paquets législatifs qui seront adoptés au cours de l’été. Le premier, un projet de loi « pouvoir d’achat », prévoit différentes mesures en faveur des revenus des Français, notamment une hausse de la prime Macron, la revalorisation des pensions de retraite et de plusieurs allocations, et une baisse des cotisations sociales de certains travailleurs indépendants. Mais aussi la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés, à laquelle s’était pourtant fermement opposé l’exécutif sous la précédente mandature.

Le second texte, un projet de loi de finances rectificatives, porte la revalorisation du point d’indice des fonctionnaires, mais aussi plusieurs dispositifs destinés à limiter les dépenses des ménages : une série de ristournes sur les prix des carburants, la prolongation du bouclier tarifaire mis en place en 2021 pour limiter les hausses de prix sur l’énergie ou encore la suppression de la redevance télé, l’une des promesses de campagne d’Emmanuel Macron.

Le contexte inflationniste permet l’adoption de ces différentes mesures au Parlement, mais le gouvernement n’échappe pas aux critiques des oppositions, qui fustigent une politique des chèques venant alourdir le déficit, avec un simple effet ponctuel sur les finances des Français.

À l’automne, des discussions budgétaires houleuses

La présentation du budget 2023 ramène au cœur des débats un sujet qui avait déjà agité le Parlement au moment des discussions sur le pouvoir d’achat : l’hypothèse d’une taxation des superprofits réalisés par les grands groupes à la faveur de la crise sanitaire. La gauche y est favorable, mais pas seulement. Cette idée fait aussi des émules du côté des centristes. L’adoption, contre l’avis du gouvernement, d’un amendement de Jean-Paul Mattei, chef de file des élus MoDem, visant à augmenter la « flat tax » sur les superdividendes – grâce aux voix de l’opposition de gauche, du Rassemblement national mais aussi de 19 membres du groupe Renaissance -, montre que la majorité relative d’Emmanuel Macron est loin d’afficher un front uni. Elle est aussi traversée par des divergences susceptibles de compliquer le travail d’élargissement confié à Élisabeth Borne.

Si l’amendement « Mattei » ne reste pas dans la copie finale du budget, l’exécutif se targuera toutefois d’avoir transposé deux mécanismes européens, avec la mise en place d’une « contribution temporaire de solidarité » de 33 % sur les raffineurs, et une taxation des bénéfices réalisés par les producteurs d’énergie lorsqu’ils vendent leur électricité au-delà d’un certain seuil.

De son côté, le Sénat adopte en première lecture le projet de loi de finances après l’avoir largement remanié, avant de le rejeter en seconde lecture après seulement deux petites heures d’examen. La majorité sénatoriale de droite et du centre dénonce le niveau élevé du déficit, et renvoie ainsi le texte au Palais Bourbon.

Finalement, la Première ministre engagera la responsabilité de son gouvernement à cinq reprises pour faire adopter ce budget, en première et en seconde lecture, à la fois sur la partie « recettes » et la partie « dépenses » du projet de loi, puis sur l’ensemble du texte. En l’absence de majorité absolue, le gouvernement ne semblait pas pouvoir échapper à un recours au 49.3 : le vote du budget est traditionnellement un marqueur, qui permet aux différents groupes politiques au Parlement de se ranger soit dans l’opposition soit du côté du camp présidentiel, à plus forte raison au début d’une mandature.

Bis repetita avec l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), qui contraint à nouveau Élisabeth Borne à engager la responsabilité de son gouvernement. Après deux années de dérapage budgétaire du fait de la crise sanitaire, l’exécutif table sur un déficit social ramené à 7,1 milliards d’euros, et fixe un objectif de 244 milliards d’euros pour les dépenses d’assurance-maladie. Si le budget de l’hôpital, mis sous pression durant le covid-19, est préservé, des économies sont envisagées pour plus de 1,5 milliard sur les médicaments, les laboratoires d’analyse, l’imagerie médicale et les complémentaires-santé. Ce PLFSS porte également la création d’une quatrième année d’internat pour les futurs généralistes, une mesure en partie destinée à lutter contre les déserts médicaux et soutenue par la droite qui a fait adopter, quelques semaines plus tôt, une proposition de loi similaire au Sénat.

Les oppositions de gauche reprochent néanmoins à l’exécutif de faire du budget de la santé une variable d’ajustement, et prennent rapidement la main sur les débats. Elles donnent le ton en faisant rejeter la première partie du projet de loi, un volet strictement formel censé approuver les comptes des exercices 2021 et 2022. Le 20 octobre, le gouvernement déclenche une première fois le 49.3 sur ce texte. Là encore, il y aura recours à cinq reprises : en première et seconde lecture, sur les parties recettes et dépenses, puis sur la totalité du projet de loi. Le Sénat, qui ne se faisait guère d’illusion sur l’usage du 49.3 pour faire adopter ce PLFSS, l’avait également rejeté en seconde lecture après un examen express.

Energies renouvelables et relance du nucléaire : deux exemples de majorité de circonstance

Le projet de loi sur les énergies renouvelables et celui sur la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, deux textes techniques, visant à faire tomber les barrières administratives et accélérer les procédures permettant l’implantation de nouvelles infrastructures de production d’électricité, ont largement profité du consensus qui s’est établi dans la classe politique ces derniers mois sur la nécessité pour la France de renforcer sa souveraineté dans ce domaine.

Pour autant, le parcours législatif a été laborieux, allant dans les deux cas jusqu’à la commission mixte paritaire – l’accord élaboré sur la relance du nucléaire doit encore être soumis au vote de l’Assemblée nationale, ce mardi -, et marqué par des débats animés, notamment sur l’acceptabilité sociale des parcs éoliens ou encore sur la marge de manœuvre accordée aux édiles lorsque leur commune est concernée par un projet d’implantation. Mais l’exécutif y voit l’aboutissement d’une méthode de travail qui consiste à avancer au cas par cas, et à aller chercher des soutiens ici ou là en fonction des thématiques abordées. Une stratégie tenable sur cinq ans ? Le projet de loi relatif aux Jeux Olympiques et Paralympiques 2024, et la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) ont suivi le même cheminement. En tout cas, le débat sur la réforme des retraites va rapidement éprouver les limites de l’exercice.

La réforme des retraites : une victoire à la Pyrrhus

Pour mettre en œuvre le grand chantier social promis par Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle : repousser l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans, Élisabeth Borne mise essentiellement sur le soutien des Républicains, qui défendent depuis plusieurs années, notamment au Sénat, le principe d’une réforme similaire. Avec les partenaires sociaux, en revanche, c’est une autre paire de manches : malgré la rallonge qu’elle a pu obtenir sur les concertations, la Première ministre ne parvient pas à rallier le réformiste Laurent Berger (CFDT) et voit face à elle une intersyndicale – la première depuis 2010 – déterminée à ne rien lâcher sur la durée du travail. Il faut dire qu’entre l’exécutif et les partenaires sociaux, les irritants se sont multipliés, notamment avec les nouvelles règles de l’assurance-chômage.

Le 10 janvier, le gouvernement présente un projet à 64 ans au lieu de 65, ce qui ne suffit pas à faire tomber les réticences. Par ailleurs, une partie des députés LR, rassemblés autour du député du Lot Aurélien Pradié, menace de ne pas voter la réforme et fait monter les enchères, obligeant le gouvernement a apporté plusieurs concessions autour du dispositif carrières-longues. Au palais Bourbon, l’examen en séance publique s’ouvre le 6 février dans une atmosphère électrique. Le gouvernement a choisi comme véhicule législatif un texte budgétaire, ce qui lui permet de mettre fin aux débats au bout d’une semaine, et de transmettre le texte au Sénat, où il espère une discussion plus sereine.

La déflagration parlementaire se produit en deux temps : craignant que la stratégie d’obstruction des sénateurs de gauche n’empêche, comme à l’Assemblée, d’arriver au bout de l’examen du projet de loi, le ministre du Travail déclenche le 10 mars la procédure dite de « vote bloqué ». Elle permet à l’exécutif de ne conserver que les amendements de son choix et de soumettre aux voix le texte d’un seul tenant, et non article par article. La droite sénatoriale se félicite de voir voter un texte dont elle s’estime être la principale instigatrice : « C’est notre réforme ! », lance Bruno Retailleau, le président du groupe LR, depuis la tribune.

Deuxième choc neuf jours plus tard, lorsque l’accord élaboré en commission mixte paritaire est présenté à l’Assemblée nationale. À ce stade, la fronde d’une partie des députés LR laisse peu d’espoir quant à l’obtention d’une majorité de circonstance. Élisabeth Borne, qui s’est entretenue quelques minutes plus tôt avec le président de la République, monte à la tribune sous les sifflets pour annoncer le déclenchement du 49.3. C’est la onzième fois en moins d’un an qu’elle a recours à cette procédure. La motion de censure « transpartisane » déposée dans la foulée échoue à 9 voix près, (278 voix favorables sur les 287 requises), l’un des scores les plus serrés sous la Cinquième République.

Le jour d’après

En validant le cœur de la réforme – la mesure d’âge – et en rejetant les deux demandes de référendum d’initiative partagée sur les retraites déposées par la gauche, le Conseil constitutionnel a mis un point final au parcours législatif du texte. Mais la crise politique et sociale qui s’est ouverte devrait marquer durablement le quinquennat. À la demande d’Emmanuel Macron, Élisabeth Borne a remis à plat, fin avril, l’agenda des réformes à venir, davantage accès sur le plein-emploi, la réindustrialisation et la refonte des services publics. Un projet de loi sur l’industrie verte sera d’ailleurs présenté mardi en Conseil des ministres. Par ailleurs, le projet de loi immigration, déja examiné en commission au Sénat, fera l’objet de nouvelles consultations avant la présentation d’un nouveau texte cet été.

Mais pour mener à bien ce programme, la Première ministre devra ramener les partenaires sociaux autour de la table. Reçus à Matignon les 16 et 17 mai, les syndicats se présenteront forts des treize journées de mobilisation organisée contre la réforme des retraites – une quatorzième est prévue le 6 juin prochain -, mais aussi d’une image redorée dans l’opinion, quand la cote de confiance de l’exécutif reste à la peine dans les sondages. Selon une enquête Odoxa-Backbone Consulting pour Le Figaro publiée dimanche, 62 % des Français souhaitent qu’Emmanuel Macron change de Première ministre.

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