Le faux suspense aura été de courte durée, tant les nuages sombres se sont accumulés au-dessus du projet de loi de finances en fin de semaine. Il n’aura fallu qu’une demi-heure pour que les acteurs de cette commission mixte paritaire (CMP) – cette instance de conciliation chargée de rédiger à huis clos un texte commun aux deux chambres parlementaires – officialisent l’échec de cette étape pourtant capitale sur le budget.
Un communiqué du rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Philippe Juvin (LR), annonce la mauvaise nouvelle à la presse, alors même que le tour de table est encore en cours dans cette salle du palais Bourbon. À la sortie, le député des Hauts-de-Seine explique que les sept députés et les sept sénateurs de la CMP étaient « près d’un compromis. Toutefois, « nous ne sommes pas assurés que le texte sur lequel nous aurions pu aboutir, aurait eu, et le vote positif de l’Assemblée nationale, et le vote positif du Sénat », ajoute-t-il. Théoriquement, un texte pouvait sortir de cette commission sachant que les anciens partis du socle commun y étaient majoritaires, l’enjeu était bien de s’assurer que le texte soit adopté ensuite par l’Assemblée nationale.
« Aucune réunion préparatoire »
Rapidement, le Premier ministre dit « prendre acte » de l’échec de la commission mixte paritaire et annonce des consultations politiques lundi pour la suite des évènements. Sébastien Lecornu égratigne au passage « l’absence de volonté d’aboutir de certains parlementaires », sans les nommer. Déjà mercredi, sur fond de tensions entre la droite sénatoriale et Bercy au sujet de l’aggravation du déficit au terme de la lecture au Sénat, le chef du gouvernement avait fait part de son agacement devant le manque de contacts entre députés et sénateurs, pour aboutir à une voie de passage.
Une CMP « à blanc », à titre préparatoire autrement dit, devait se tenir mardi après-midi mais a été annulée. « Il n’y a eu aucune réunion préparatoire, en tout cas pas avec les deux assemblées comme nous l’avions demandé », constate le sénateur Horizons Emmanuel Capus. Les deux rapporteurs généraux, Philippe Juvin et son homologue au Sénat Jean-François Husson (LR) ont également été à la manœuvre tout au long de la semaine dans leurs assemblées nationales respectives. Ils se sont retrouvés avec le Premier ministre et la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin mercredi soir.
« La copie qu’on a présentée hier comme une copie d’atterrissage du consensus de l’Assemblée nationale hier matin n’était pas recevable »
La journée de jeudi va confirmer que la convergence des deux hémicycles est inatteignable pour le moment. « La copie qu’on a présentée hier comme une copie d’atterrissage du consensus de l’Assemblée nationale hier matin n’était pas recevable. Il ne restait rien du texte du Sénat », affirme Christine Lavarde, cheffe de file de la droite sénatoriale sur le budget. C’est notamment, la hausse de six milliards d’euros de l’impôt sur les sociétés pour les grandes entreprises (surtaxe IS) qui ne passe pas, sachant que le Sénat avait supprimé la hausse prévue par le gouvernement, dans sa version à quatre milliards d’euros. « Je ne sais pas si c’est au Sénat de faire un pas dans l’autre direction », observe la sénatrice.
De leur côté, les socialistes renvoient la balle dans le camp de la droite. Un membre du parti à la rose a le sentiment que dans le bloc central, certains groupes proches des Républicains n’étaient « pas sur une ligne aussi dure ». « Ce qui a achoppé c’est toute la fiscalité, et notamment la surtaxe IS, qui était l’un des principaux enjeux. On paye une forme d’irresponsabilité de la part des Républicains, et une position extrêmement dogmatique », reproche le sénateur PS Thierry Cozic. « Ça a bloqué des deux côtés, économies et impôts », constate en guise d’arbitre le centriste Michel Canévet, allié des Républicains au Sénat. Ce dernier considère qu’il « aurait fallu avoir un peu plus de temps, et de volonté des uns et des autres de se mettre en phase ». « Il y avait sûrement moyen de trouver un compromis entre les deux », estime le sénateur Emmanuel Capus (Horizons), entre d’un côté les socialistes qui réclamaient initialement dix milliards d’euros » de recettes et de dépenses supplémentaires, et la droite qui souhaitait privilégier les économies et alléger les hausses de prélèvements au strict minimum.
« Ce qui a manqué aujourd’hui, c’est d’avoir un point d’atterrissage éclairé par le gouvernement »
La droite n’a pas seulement dans son viseur les socialistes, mais aussi le cadre posé par le gouvernement, bref les règles du jeu. « Ce qui a manqué aujourd’hui, c’est d’avoir un point d’atterrissage éclairé par le gouvernement. Je regrette qu’il ait choisi de renoncer aux dont la Constitution est dotée pour provoquer cette stabilité. » Comprendre, le refus de recourir au 49.3, qui permet une adoption sous la condition d’un rejet d’une motion de censure. Or, le patron des socialistes Olivier Faure, avait prévenu dès hier que ses troupes ne voteraient « jamais » le projet de loi de finances. « Dès que le Premier ministre a brandi le fait qu’il ne l’utiliserait pas, c’était le signe d’une stratégie qui était claire depuis le début : rendre les autres responsables », se remémore le sénateur LR Jean-Raymond Hugonet, qui parle d’un « gâchis » concernant cette CMP.
Selon un membre de la CMP, les deux rapporteurs généraux se sont mis d’accord sur 45 articles sur les 167 que compte le texte sorti du Sénat. Les convergences se font aussi sur 42 des 45 millions budgétaires, dans la partie dépenses. « Pendant des heures, nous avons rapproché les points de vue », estime Jean-François Husson. Les points les plus conflictuels resteront toujours au menu au mois de janvier. Avec la règle de l’entonnoir, qui restreint les discussions au fur et à mesure de la navette parlementaire, certains sujets seront clos et ne pourront plus être rediscutés.
Après l’adoption d’un projet de loi spéciale, qui devrait être une formalité pour garantir le fonctionnement des services publics et la levée de l’impôt, les parlementaires sont dans le flou le plus total pour cette nouvelle lecture. « Je ne vois pas comment on peut atterrir », lâche Jean-Raymond Hugonet. D’autres évoquent la difficulté du calendrier, avec la proximité des élections municipales, en mars. « Le début d’année devrait être consacré à autre chose que trouver un budget, j’espère que ça se décoincera rapidement », lance le sénateur Thierry Cozic.