Dynamiser les alternatives à l'incarcération, renoncer aux grandes structures, adapter les établissements aux profils des détenus: un livre blanc sur l'avenir des prisons a été remis mardi au ministre de la Justice, moins de trois semaines avant la présidentielle.
La remise de ce livre blanc intervient dans une période tendue pour l'administration pénitentiaire (AP) avec la démission vendredi de son directeur Philippe Galli, en désaccord avec le ministre Jean-Jacques Urvoas, et un nouveau record du nombre de détenus dans les prisons en mars, avec 69.430 personnes incarcérées en France.
Face à la surpopulation carcérale, la directrice de la maison d'arrêt de Villepinte, en banlieue parisienne, vient même d'annoncer qu'elle n'accueillerait pas de nouveaux détenus, son taux d'occupation ayant atteint le record de 201%.
"Nous sommes de manière durable dans une surpopulation hors norme", a confirmé Jean-Jacques Urvoas devant la presse, redoutant que le seuil symbolique des 70.000 détenus soit franchi dans les prochaines semaines.
Sur les remous dans la pénitentiaire, le garde des Sceaux s'est montré également direct: "Avec les responsabilités qui sont celles de l'AP", "l'engagement ne peut être que total. Donc il est légitime pour moi d'avoir une exigence avec tous ceux qui servent dans l'AP, des surveillants au directeur", a-t-il lâché sans nommer Philippe Galli.
La remise d'un livre blanc si près d'une présidentielle ne le condamne-t-il pas à finir dans un placard? Selon son auteur, l'ex-sénateur Les Républicains Jean-René Lecerf, l'objectif est de fournir à la majorité qui sortira des urnes "un nouvel outil lui permettant de disposer d'un éclairage pour agir rapidement".
"Il y a dans chaque formation politique des personnes intéressées par l'évolution de l'univers carcéral", a-t-il assuré. "La question des prisons ne peut être qu'une cause nationale", a abondé Jean-Jacques Urvoas.
Le ministre avait présenté fin février les premières villes d'implantation des nouveaux établissements pénitentiaires promis pour lutter contre la surpopulation pénale. Ce programme comprend 32 maisons d'arrêt, un centre de détention et 28 quartiers de préparation à la sortie (QPS) -- sachant qu'il faut dix ans en moyenne pour construire une maison d'arrêt, deux ans pour un QPS (jusqu'à 120 places).
Pour atteindre l'objectif de 80% d'encellulement individuel, il faudrait construire entre 10.309 et 16.143 places d'ici à 2025, selon M. Urvoas.
- 24 propositions -
Pour Jean-René Lecerf, les QPS sont une opportunité pour des aménagements de courtes peines. Les détenus sélectionnés passeraient "directement du quartier des arrivants au QPS en évitant la maison d'arrêt, la cassure familiale, sociale et professionnelle" et "cela contribuerait à désengorger les prisons".
"Mais jamais un plan de construction, fut-il de 40.000 places, ne suffira. Il va de soi qu'un programme de construction n'a de sens que s'il est accompagné d'une politique pénale sur la limitation des incarcérations", juge l'ex-rapporteur de la loi pénitentiaire de 2009, prônant notamment le développement des assignations à résidence avec bracelet électronique.
Au total, vingt-quatre propositions sont développées dans le livre blanc, rédigé en deux mois par une commission composée de personnalités qualifiées, parlementaires, magistrats et responsables pénitentiaires.
Il contient notamment un appel à "dynamiser la recherche d'alternatives à l'incarcération" et "les aménagements de peine", ainsi qu'à réguler les "flux d'incarcération, d'orientation et d'affectation (...) afin de respecter les capacités d'accueil des nouveaux établissements et d'accompagner la résorption de la surpopulation".
La commission propose également de concevoir les nouveaux établissements "autour d'une journée de détention principalement organisée en dehors de la cellule" avec, comme norme à atteindre, cinq heures d'activités par jour pour chaque détenu.
Elle souhaite privilégier les petites structures (maximum 600 places) et moduler les niveaux de sécurité en fonction du profil des détenus.
MM. Urvoas et Lecerf ont enfin plaidé pour "une loi de programmation" pour la justice, "unique outil capable de donner au ministère les moyens pour conduire un projet réellement ambitieux".