Près de 10 ans après, il en reste interloqué. Jamais il n’aurait cru assister à ça. Un matin du début de l’année 2011, vers 8 heures et demie, Marc-Philippe Daubresse se rend au château de l’Elysée. Il est alors parlementaire chargée d’une mission et ancien ministre des Solidarités actives et de la Jeunesse de Nicolas Sarkozy. Objectif du petit-déjeuner programmé : obtenir un arbitrage que le Premier ministre, François Fillon, lui refuse et présenter les conclusions de son rapport.
Test présidentiel
Le sujet est particulièrement technique. « Je venais lui expliquer qu’il fallait absolument expérimenter un nouveau système qui permettait de conduire beaucoup plus rapidement, sans charge supplémentaire pour les départements, les personnes qui étaient dans la case RSA et RMI pour les amener vers le RSA activité », se souvient aujourd’hui, dans son bureau de sénateur Les Républicains, Marc-Philippe Daubresse. Ancien ministre, spécialiste des questions sociales, il tient particulièrement à cette disposition « vertueuse » pour les départements.
« Comme toujours », Nicolas Sarkozy commence à l’interroger, entre croissants et café, sur un « tas d’éléments du dossier ». Une sorte de « test » auquel le président de la République aime soumettre ses ministres. « Il vérifiait que, vous ministre ou parlementaire, vous connaissiez le dossier aussi bien que lui. » Jusqu’ici, tout se passe bien. Marc-Philippe Daubresse défend sa mesure face au chef de l’Etat et son conseiller technique à l’emploi, alors même que pour Matignon, « c’est hors de question ». « François Fillon a toujours été mon grand ami », sourit Marc-Philippe Daubresse, qui s’empresse d’ajouter : « C’est une litote ».
« Ecoute Nicolas, ce n’est pas le jour… »
Mais soudain, l’entretien bascule. Le ministre de la Défense, Gérard Longuet (devenu sénateur LR), puis le Premier ministre britannique David Cameron, et le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé appellent successivement le président de la République. « C’est le jour où Sarkozy déclenche la guerre à la Libye », souffle encore « épaté » Marc-Philippe Daubresse. « Ils commencent à parler des conditions dans lesquelles les chasseurs français peuvent larguer des bombes sur Tripoli, sachant que la France devait se coordonner avec les Anglais ».
Marc-Philippe Daubresse se retrouve à défendre une mesure très « compliquée et ciblée » face à un Nicolas Sarkozy constamment interrompu par les coups de fil. « Ecoute Nicolas, ce n’est pas le jour, je ne pouvais pas deviner. On verra ça plus tard… », finit-il par lâcher à Sarkozy. La réponse ne se fait pas attendre. « Non, on va aller au bout de ce dossier ! »
Et l’entretien continu. « C’est du Sarkozy. Le joueur d’échecs en Blitz (jeu éclair) sur plusieurs échiquiers ! » Marc-Philippe Daubresse observe donc le chef de l’Etat continuer à gérer au téléphone son opération militaire en Libye, tout en lui posant des questions précises sur la mesure qu’il est venu défendre. « Et au final je suis sorti avec de l’argent pour expérimenter sur dix départements ce qu’on appelait le RSA activité ! » Marc-Philippe Daubresse quitte l’Elysée avec 360 millions supplémentaires.
« Sarkozy connaissait ses dossiers par cœur »
Il faut dire qu’à cette période, la relation entre les deux hommes est « extrêmement bonne ». Tous deux ont été ministres de Jacques Chirac. Le Logement social pour Daubresse, les Finances pour « Sarko ». Quand ce dernier procède à un remaniement en 2010, il pense donc à Marc-Philippe Daubresse. Coup de fil présidentiel. « Marc-Philippe, j’ai réfléchi, ce serait bien que tu prennes le ministère de l’Immigration et de l’identité nationale », rapporte Daubresse dans une imitation de Sarkozy digne de Laurent Gerra. Il pose son veto et estime incarner à l’époque « l’aile centriste et humaniste de l’UMP ». Marc-Philippe Daubresse obtient finalement le ministère de la Jeunesse et de la Solidarité active, ce qui lui correspond « bien mieux ». Sept mois plus tard, il quittera le gouvernement, refusant à François Fillon – avec qui il ne « s’entend pas bien du tout » - le poste de ministre de la Fonction publique. Et récupérera dans la foulée son siège de député.
L’anecdote est l’occasion pour ce fervent soutien de Xavier Bertrand à la prochaine présidentielle de rectifier ce qu’il estime être une légende populaire : « Sarkozy n’était pas un Deus ex machina comme Macron décidant de tout, tout seul. Il connaissait ses dossiers par cœur. Quand vous arriviez avec un dossier bien ficelé et que vous étiez convaincant – mais il fallait aller vite -, vous repartiez avec l’arbitrage favorable. » Et dans cette guerre à trois bandes, entre les ministres, Matignon et l’Elysée, Marc-Philippe Daubresse s’est révélé redoutable. « Comme j’en avais l’habitude, je suis passé au-dessus de la tête de Matignon et j’ai demandé directement à Sarkozy ». Réduisant François Fillon au statut de simple « collaborateur »…