A l’heure où les questions de transparence et de moralisation de la vie publique sont un sujet majeur de la campagne présidentielle, un pneumologue de renom va devoir rendre compte devant la justice pour avoir menti sous serment devant le Sénat. C’était en 2015. Dans le cadre de la commission d’enquête de la Haute assemblée sur le coût de la pollution de l’air, Miche Aubier avait omis de déclarer ses liens avec l’industrie pétrolière, en l’occurrence Total.
Après les révélations de Libération et du Canard Enchaîné selon lesquels le pneumologue était employé depuis une dizaine d’années par Total en tant que médecin-conseil des cadres du groupe, pour une rémunération comprise entre 55.000 euros et 60.000 euros par an, le bureau du Sénat avait décidé de transmettre à la justice le cas du pneumologue pour « faux témoignage ».
Un faux témoignage fait sous serment devant une commission d’enquête parlementaire est passible de 75.000 euros d’amende et 5 ans de prison. Après l'enquête préliminaire, le pôle santé publique du parquet de Paris a estimé que le signalement pour « faux témoignage » était recevable, comme le révèle Le Monde ce mardi. Michel Aubier est cité à comparaitre devant le tribunal correctionnel de Paris, le 14 juin.
« Un bon signe pour la démocratie et une démonstration que le Sénat a fait son travail »
Une décision saluée par les anciens président et rapporteure de la commission d’enquête, le sénateur LR Jean-François Husson et la sénatrice Modem (ex-EELV) Leila Aïchi. « Pour qu’une démocratie fonctionne bien, il faut que ses institutions fonctionnent bien. (…) Cette décision veut dire que la justice fait son travail, de manière indépendante et sereine. C’est un bon signe pour la démocratie et une démonstration que le Sénat a fait son travail en toute impartialité » selon Jean-François Husson, contacté par publicsenat.fr.
Le bureau du Sénat, représentant les différents groupes de la Haute assemblée, avait en effet décidé que son cas pouvait être transmis à la justice. Dans un autre dossier, celui de l’ex-PDG de la Société générale, Frédéric Oudéa, les sénateurs avaient en revanche estimé qu’il n’était pas nécessaire de demander à la justice de trancher sur un éventuel faux témoignage de l’ancien patron devant le Sénat, suite aux révélations des Panama papers.
« Il minimisait l’impact du diesel sur la santé en tant que pneumologue »
Dans le cas de Michel Aubier, le Sénat n’avait pas voulu laisser passer les déclarations du pneumologue. Au mieux un oubli fâcheux et pour le moins étonnant, au pire un mensonge. « Pour moi, s’il y a faute, si c’est avéré, c’est important qu’il y ait une sanction. C’est le travail de la justice de le dire » ajoute le sénateur de la Meurthe-et-Moselle.
La sénatrice Leila Aïchi salue pour sa part « une bonne décision ». « Je n’ai pas coutume de commenter les décisions de justice. Mais compte tenu du mensonge devant la commission d’enquête du professeur Aubier, en ayant omis volontairement de nous faire état de ses liens économiques avec Total notamment, alors qu’il savait pertinemment qu’il travaillait pour eux, et qu’il minimisait l’impact du diesel sur la santé en tant que pneumologue, alors que l’ensemble des études disent que c’est un cancérigène, je trouve que c’est un beau signal qui est envoyé pour la suite » souligne Leila Aïchi. La sénatrice de Paris ajoute : « Ce n’est pas acceptable qu’un spécialiste mente devant une commission d’enquête sur un sujet aussi important que la santé, c’est même honteux ».
Leila Aïchi, qui avait entendu à nouveau le professeur, à huis clos, avec Jean-François Husson après les révélations de ses liens avec Total, va revoir Michel Aubier. Mais devant le tribunal correctionnel de Paris. « J’irai au procès » dit-elle.
Lors de son audition devant la commission d’enquête, Michel Aubier avait déclaré, en levant la main : « Je n'ai aucun lien d'intérêts avec les acteurs économiques ». La justice devra dire si travailler pour Total comme médecin conseil, constitue ou non « un lien » avec un acteur économique.