La France en a théoriquement bientôt fini avec l’état d’urgence sanitaire. En partie seulement. Instauré par la loi du 23 mars 2020, cet état d’exception, renforçant les pouvoirs de l’exécutif pour lutter contre l’épidémie du coronavirus, expirera le 10 juillet prochain. « Les conditions sanitaires sont extrêmement différentes de ce que nous connaissions en mars et le 11 mai. Elles conduisent le gouvernement à proposer la fin de l’état d’urgence sanitaire », a expliqué la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, à l’issue du Conseil des ministres.
Néanmoins, l’exécutif n’entend pas lâcher complètement ce régime dérogatoire dans l’immédiat. Un projet de loi a été présenté ce 10 juin pour maintenir certaines mesures permises par l’état d’urgence sanitaire, en matière de restriction des déplacements et de l’accès aux transports, de gestion de certains établissements ou de rassemblements. Ces dispositions, qui seraient conservées pour quatre mois, permettent au gouvernement d’être « armé » face à un virus qui « continue à circuler, même à bas bruit », a souligné Sibeth Ndiaye.
Pour la porte-parole, il ne s’agit pas « d’une sortie sèche » de l’état d’urgence, mais « une sortie en biseau, pour une période transitoire ». La décision du gouvernement a été accueillie avec beaucoup de scepticisme au Sénat, à commencer par Philippe Bas, président LR de la commission des Lois. « Il ne faut pas jouer sur les mots. Ou bien on prolonge l’état d’urgence parce que la situation sanitaire le justifie, ou bien on ne le prolonge pas. On n’est pas dans un entre-deux ni même dans un en même temps. »
« Nous prendrons une décision franche », réplique Philippe Bas, non satisfait de cet « entre-deux »
Le sénateur de la Manche appelle à « assumer par leur nom les choses ». « C’est quand même de l’état d’urgence », constate-t-il. En fonction des informations scientifiques, sa commission prendra « une décision franche », lorsqu’il s’agira d’examiner le projet de loi. « Si on doit poursuivre l’état d’urgence sanitaire, il faut que la situation sanitaire le justifie. »
Dans les rangs de la commission des Lois, il est loin d’être le seul à être interloqué par la méthode. « C’est de l’acrobatie. Ce qu’on craignait arrive. On va prolonger ces dispositions qui restreignent ces libertés publiques dans le droit commun. Là, il y a un vrai problème », s’inquiète la sénatrice écologiste Esther Benabassa. La parlementaire de Paris juge par ailleurs le message envoyé « trompeur ». « Ou on met fin ou on prolonge. C’est toujours le en même temps, c’est très ennuyeux. Déjà que tout le monde se relâche. »
Le socialiste Jérôme Durain craint que l’épisode de l’état d’urgence sécuritaire se répète
« C’est un peu étrange. On ne peut être que méfiant de prime abord », ajoute le socialiste Jérôme Durain, très « circonspect ». Le sénateur de Saône-et-Loire redoute que le précédent du précédent quinquennat, où plusieurs éléments de l’état d’urgence sécuritaire de 1955 ont été intégrés dans le droit commun, ne se reproduise. « Il ne faudrait pas que l’état d’urgence sanitaire soit l’occasion de fragiliser les libertés publiques », met-il en garde, insistant sur les restrictions de manifestation. « À quoi sert l’entre-deux ? Il y a des nécessités juridiques indépassables qui justifient que l’on en garde un bout et qu’on lâche le reste ? »
Le nouveau projet de loi ne permettrait pas d’aller aussi loin que dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Sibeth Ndiaye a ainsi expliqué : « Si nous devions décider, de manière localise, voire de manière générale – ce que nous ne souhaitons pas – d’un reconfinement, le gouvernement devrait à nouveau décréter un état d’urgence sanitaire et passer devant le Parlement. »
D’autres sénateurs pourraient, au contraire, se montrer plutôt ouverts au projet de loi remplaçant pour quatre mois l’état d’urgence sanitaire. Le président (LR) de la commission des Affaires sociales du Sénat, invité de notre matinale, affirme qu’il pourrait soutenir, « dans son principe », le texte. Pour lui, il est nécessaire de poursuivre les règles de distanciation physique et l’obligation du port du masque dans les transports. « On devrait en prendre l’habitude », a souligné ce médecin.