Attendre le nom de l’éventuel nouveau premier ministre est peut-être peine perdue. Car un remaniement sert-il encore à quelque chose ? Beaucoup seront tentés de répondre que la grande opération qui joue avec les nerfs de quelques journalistes et des ministres ne sert, au fond, à rien, ou presque, alors qu’Elisabeth Borne a été reçue ce lundi après-midi à l’Elysée, et que le nom du ministre de l’Education nationale, Gabriel Attal, revient avec insistance pour prendre sa succession.
« Les gens s’en foutent complètement »
Un point semble acquis : les Français n’attendent pas, fébriles, derrière leur téléviseur, leur poste de radio ou l’écran de leur téléphone portable un « push » leur annonçant l’hypothétique délivrance. « Je pense que les gens s’en foutent complètement », lâche avec franchise Gaspard Gantzer, l’ancien conseiller communication de François Hollande à l’Elysée, « ou alors, il faut faire entrer des personnalités très identifiées ».
« Ça n’a aucun impact dans l’opinion. Pour les gens, c’est dérisoire », confirme le communicant Philippe Moreau Chevrolet. « Pour que ça ait de l’importance, il faudrait un vrai poids politique et ce n’est pas le choix de l’Elysée. Et il n’y a plus aucun homme politique avec du poids autour d’Emmanuel Macron. C’est le problème de la macronie », ajoute le dirigeant de MCBG Conseil.
« Ce n’est plus le grand moment du quinquennat, comme c’était le cas avant »
« Ce n’est plus le grand moment du quinquennat, comme c’était le cas avant. Cette perte d’importance du remaniement est substantielle de la perte de pouvoir du premier ministre et des ministres, au profit de l’Elysée », remarque encore ce spécialiste de communication politique, selon qui « on a des ministres et des premiers ministres qui deviennent des porte-parole. Il faut un exécutant compétent et qui peut parler dans les médias ».
Pour Philippe Moreau Chevrolet, le dernier remaniement d’ampleur serait « le changement entre Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls, sous François Hollande, qui serait le dernier remaniement avec un vrai sens politique. Pour le coup, c’est un virage à droite assumé. C’était le début de la fronde et le début de la fin de Hollande. Emmanuel Macron, qui était à l’Elysée, ne doit pas avoir envie de revivre cette période, où c’était catastrophique depuis la présidence. Mais il en a tiré profit personnellement ».
« Politiquement et médiatiquement, ça ne va pas changer grand-chose pour les Français »
Gaspard Gantzer rappelle cependant qu’« un remaniement a deux fonctions : d’un point de vue organisationnel, mettre les meilleures personnes aux postes qui leur conviennent le mieux, un peu comme si on constituait une équipe de foot, et une fonction d’incarnation vis-à-vis de l’extérieur. La première fonction est toujours remplie, même si elle a moins d’importance sous Emmanuel Macron, car tout est centralisé à l’Elysée. Quant à l’incarnation, le Président ne semble pas vouloir trop donner de pouvoir à des gens qui lui feraient de l’ombre. Ça réduit donc l’impact du remaniement ».
L’ancien communicant de l’Elysée ajoute qu’un remaniement « sert aussi à se débarrasser des brebis galeuses, de virer ou de rappeler à l’ordre les ministres récalcitrants, et d’ambiancer les médias ». Donc remanier « a quand même un intérêt managérial. Mais politiquement et médiatiquement, ça ne va pas changer grand-chose pour les Français », résume Gaspard Gantzer.
« Coup d’épée dans l’eau »
Le sénateur LR Philippe Bas a vécu aussi ces questionnements de l’intérieur, en tant que secrétaire général de l’Elysée, sous Jacques Chirac, de 2002 à 2005. Un remaniement a-t-il encore une importance ? « Je vais vous faire une réponse de Normand – normal pour un sénateur de la Manche – mais ça dépend. Ce qui est certain, c’est que régulièrement, il faut des ajustements dans une équipe gouvernementale. Mais si la question est un changement de premier ministre, elle est d’une tout autre ampleur. Sauf qu’à l’heure actuelle, chacun sait bien que le Président est son propre premier ministre et son premier ministre est son instrument », selon Philippe Bas. Pour l’ancien président de la commission des lois, ce qui compte, c’est avant tout l’objectif :
Philippe Bas rappelle au passage la lettre de la Constitution et la situation politique pour expliquer ce que serait un remaniement utile, à ses yeux. « Le Président a été élu pour présider et pas pour gouverner. La preuve : les Français ne lui ont pas donné de majorité à l’Assemblée en juin 2022. Le fait pour le Président de vouloir continuer à gouverner dans ce contexte relève d’une forme d’abus. Car il n’a pas mandat pour cela. Donc soit il veut continuer à le faire comme il le fait avec Elisabeth Borne ou un autre premier ministre, et rien n’aura changé. Soit il cherche, avec une autre majorité, un premier ministre qui, comme dans tout régime de gouvernement parlementaire, ne lui sera pas subordonné. Le gouvernement n’est pas subordonné au Président. Le premier ministre détermine et conduit la politique de la Nation et est responsable devant l’Assemblée nationale ».
Face à ce constat, Philippe Bas pense que « son objectif est de continuer à gouverner sans majorité, ce qui serait un coup d’épée dans l’eau, et non d’aider un gouvernement indépendant de lui, qui s’appuierait sur un contrat de coalition à l’Assemblée, et qui serait soutenu par le Sénat dans ce cas ». Mais le sénateur LR de la Manche le reconnaît, cela reviendrait « à créer de lui-même une forme de cohabitation ». Emmanuel Macron n’est pas disruptif à ce point.