Les sénateurs ont adopté jeudi en première lecture (231 pour, 93 contre) le projet de loi sur « l’orientation et la réussite des étudiants », avec quelques apports. Après les déboires cet été de l’ex-plateforme admission post-bac (APB), le gouvernement veut réformer les règles d’entrée dans l’enseignement supérieur, au cœur du nouveau dispositif Parcoursup. L’exécutif se donne aussi pour objectif de réduire le taux d’échec à l’entrée dans l’université, qui atteint 61% en licence.
Dans sa volonté de rendre le nouveau système « plus juste et conforme aux réalités du terrain », la droite sénatoriale a introduit une modification importante, sous l’impulsion du rapporteur Jacques Grosperrin (LR). Dans les filières du premier cycle de l’enseignement supérieur (licence, DUT, BTS), la création de places supplémentaires devra « prendre en compte les taux de réussite et d’insertion professionnelle observés pour chacune des formations ». Cet ajout a été très décrié par la gauche, qui a tenté, en vain, de le supprimer en séance.
« Du réalisme et du bon sens »
« C’est du réalisme et du bon sens », a insisté le sénateur Jacques Grosperrin (vidéo de tête), alors que 30.000 nouveaux étudiants sont attendus à la rentrée 2018. « Il faut ouvrir prioritairement des places dans les filières qui insèrent et qui préparent aux métiers du futur […] Enfermer dans celles qui ne débouchent sur aucune insertion professionnelle, ce n’est pas instaurer des numerus clausus, comme je l’ai entendu dire, mais mettre toutes les chances de réussite du côté de nos jeunes. »
Les bancs de la gauche ont soutenu des amendements pour effacer cette disposition. Impossible que cette gestion des places ne prépare aux métiers du futur, selon le communiste Pierre Ouzoulias. « Vous imaginez bien qu’aujourd’hui avec la vitesse vertigineuse à laquelle évoluent les métiers, cette nécessité d’avoir un socle de formation commune est d’autant plus impérative. »
Dans son exemple, le sénateur des Hauts-de-Seine a affirmé que « 80% des comptables » dans les années 60 « n’avaient pas fait d’études de comptabilité ». « Ce sont des gens qui avaient poursuivi un parcours qui leur permettait d’avoir une culture générale suffisante pour ensuite s’orienter vers les opportunités que leur offrait le marché de l’emploi », a-t-il expliqué.
Université : « 80% des comptables » dans les années 60 « n’avaient pas fait d’études de comptabilité », selon Pierre Ouzoulias
« L’université n’est pas là pour répondre aux besoins des entreprises »
« Attention, c’est nier vraiment la nature et la valeur même de tout ce qui concerne l’université », a mis en garde la sénatrice socialiste Sylvie Robert. Précisant qu’il n’y avait aucune naïveté dans son propos, la sénatrice d’Ille-et-Vilaine a considéré qu’il s’agissait là d’un problème de vision sur ce que doit être l’université. « L’université n’est pas là pour répondre aux besoins des entreprises, elle est là pour élever le niveau, elle est là pour mettre en place des niveaux de qualification qui permettent aux jeunes de leur donner les outils pour accompagner leur parcours professionnel. »
« L’université n’est pas là pour répondre aux besoins des entreprises », pour Sylvie Robert (PS)
Même gêne également dans du groupe RDSE, notamment chez les sénateurs de l’ex-PRG (Parti radical de gauche). « Une orientation choisie favorise un parcours plus réussi qu’une orientation subie », a déclaré Françoise Laborde. « La ventilation d’étudiants de plus en plus nombreux dans les formations non demandées participera à briser les vocations des candidats qui subiront les effets d’un sous-investissement de l’État dans l’enseignement supérieur. Je ne pense pas qu’une telle politique puisse améliorer la réussite en licence. »
Université : « Une orientation choisie favorise un parcours plus réussi qu’une orientation subie », déclare Françoise Laborde
Dans son amendement, refusé, elle proposait de plutôt conditionner les créations de places aux nombre de vœux observés dans chaque filière l’année précédente, ou de se baser sur le nombre de bacheliers.
Favorable au principe introduit par Jacques Grosperrin, le sénateur (Union centriste) Laurent Lafon a toutefois pointé que les « taux de réussite et d’insertion professionnelle » pouvaient être « assez complexes à quantifier ». « Il y a un problème de définition. Quand est-ce qu’un étudiant est inséré professionnellement ? Parce qu’il a un travail au bout de 6 mois ou parce qu’il a toujours le même travail bout de 3 ou 5 ans ? »
Le texte remanié a été adopté avec les voix de la droite, de l'Union centriste, des Indépendants - République et Territoires et du groupe La République en marche. L'ensemble du groupe socialiste et du groupe CRCE (à majorité communiste) ont voté contre, et la quasi-totalité du RDSE s'est abstenue. Une commission mixte paritaire doit désormais trouver une version commune avec l’Assemblée nationale, qui a adopté sa propre version en décembre.