De celle que l’on n’attendait pas à celle que l’on attendait plus. Avec seulement 4,8 % des suffrages exprimées, selon notre estimation Ipsos-Sopra Steria, France 2, France Inter, Public Sénat et LCP-AN, l’aventure présidentielle de Valérie Pécresse s’arrête ce dimanche soir sur le score le plus bas jamais réalisé par la droite à une élection présidentielle sous la Ve République. L’irrésistible érosion des intentions de vote à son égard dans les sondages depuis janvier ne laissait plus guère d’espoir aux LR de se qualifier pour le second tour. Mais nul n’imaginait un score aussi bas.
Désormais, c’est la question de la stratégie à adopter pour le 24 avril, entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, qui devrait agiter les élus. Avec, en ligne de mire, la question des législatives et, en filigrane, celle de la survie d’un parti qui n’a jamais vraiment réussi à se remettre de la défaite de 2017, et qui se voit devancé par les deux forces d’extrême droite, le Rassemblement national de Marine Le Pen, et Reconquête ! d’Éric Zemmour. Difficile à présent d’imaginer qu’après son braquage surprise au congrès d’investiture des LR, il y a seulement quatre mois, la présidente de la région Île-de-France s’était exclamée : « La droite est de retour ! ». Récit d’une lente déroute.
La victoire surprise
Valérie Pécresse est partie tôt dans cette campagne. En juillet 2021, forte de sa réélection à la tête de la région Île-de-France, elle annonce dans un entretien au Figaro sa candidature à l’investiture suprême. Elle fait immédiatement valoir « un devoir d’unité » et la possibilité de participer à une primaire de la droite. Cette ancienne chiraquienne opère alors un rapprochement vers sa famille politique, qu’elle avait quitté en 2019, fustigeant la ligne droitière de Laurent Wauquiez, pour lancer son propre mouvement, Soyons libres. Jouer la carte du collectif est une manière pour Valérie Pécresse de cornériser Xavier Bertrand, présenté comme le mieux placé pour porter les couleurs de la droite à la présidentielle, mais qui refuse dans un premier temps de se soumettre à un vote en interne. Stratégie payante dans un parti où les rancœurs peuvent avoir la vie dure : elle se qualifie pour le second tour, juste derrière le député des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti. Deux jours plus tard, la ligne plus libérale de la candidate l’emporte sur celle, identitaire et sécuritaire, de son adversaire, à 60,95 % des voix contre 39,05 %. Les dirigeants du parti peuvent souffler : le score, suffisamment net, a valeur de clarification. Ils peuvent espérer aussi : un sondage Elabe la donne à 20 % au premier tour, à jeu égal avec Emmanuel Macron (23 %).
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À bout de bras
Dans les jours qui suivent le congrès, les LR affichent leur unité autour de Valérie Pécresse. Une photo de famille qui fera même rêver Ségolène Royal, et qui vise surtout à faire oublier les tensions internes qui ont suivi, cinq ans plus tôt, la victoire de François Fillon, prié par ses concurrents d’amender un programme jugé trop austère. L’objectif est de ne pas reproduire les erreurs du passé et de faire bloc derrière la candidate. À une dissonance près : un coup de griffe d’Éric Ciotti, 24 heures seulement après l’élection de Valérie Pécresse. Le député estime devant les caméras que ses idées, celles « d’une droite qui entend se faire respecter », ne sont pas suffisamment reprises par la candidate. L’incident est vite balayé, et les deux se sont souvent affichés côte à côte durant la campagne, mais il trahit l’inconfort idéologique dans lequel se trouve Valérie Pécresse, contrainte de faire le trait d’union entre un centre droit et une droite libérale dont elle-même est issue, mais qui pourraient se laisser séduire par Emmanuel Macron, d’une part, et, d’autre part, une ligne plus radicale dont certains représentants, comme Éric Ciotti et François-Xavier Bellamy, assument une certaine proximité idéologique avec Éric Zemmour.
La machine se grippe
Le raté du grand meeting de début de campagne, le 13 février au Zénith de Paris, est souvent considéré comme le moment clef de sa déroute électorale, l’instant où la campagne va commencer à s’engluer, sous les critiques de forme… et de fond. Mais à y regarder d’un peu plus près, les ennuis avaient déjà débuté depuis quelques semaines pour Valérie Pécresse. En janvier, elle a commencé à marquer le pas dans les enquêtes d’opinion, perdant deux à trois points par rapport à décembre. Plus d’un mois après l’effet de souffle du congrès, et dans la foulée de la trêve des confiseurs, cet affaissement n’a rien de bien inquiétant. Mais le tir doit être corrigé rapidement, si la candidate ne veut pas voir sa dynamique s’inverser.
Pour relancer la machine, la droite espère notamment un soutien public de Nicolas Sarkozy. Officiellement « retiré » de la vie politique, l’ancien chef de l’Etat conserve une influence considérable sur sa famille politique et reste très populaire parmi les militants. Mais il se dit aussi qu’il porte un regard particulièrement critique sur la campagne de son ancienne ministre, s’agace de ne pas être suffisamment cité dans ses prises de parole, et n’a pas vraiment apprécié qu’elle reprenne à son compte, début janvier, la fameuse métaphore du Kärcher. Le 12 février, Valérie Pécresse se rend rue de Miromesnil, dans les bureaux de Nicolas Sarkozy. Une rencontre très médiatisée, à l’issue de laquelle la candidate espère (enfin) obtenir l’adoubement de l’ancien locataire de l’Elysée. En vain. Nicolas Sarkozy reste silencieux.
Son mutisme public à l’égard de Valérie Pécresse, officieusement brisé dans la presse par quelques propos rapportés – et peu amènes – sur la candidate, va devenir l’un des principaux feuilletons de la campagne. Début avril, l’équipe de Valérie Pécresse tente de faire taire la rumeur selon laquelle il pourrait finalement soutenir Emmanuel Macron, en l’invitant au meeting de la porte de Versailles, une salle emblématique des campagnes présidentielles de l’ancien maire de Neuilly-sur-Seine. Nicolas Sarkozy dernier décline. Son nom, cité sur la scène par un soutien de la candidate, sera spontanément sifflé par l’assistance.
En parallèle, les défections - qui avaient commencé à l’automne avec les sudistes Renaud Muselier et Christian Estrosi -, se poursuivent, la plupart du temps en faveur d’Emmanuel Macron. Il s’agit d’anciennes figures de la chiraquie ou de la sarkozie : Éric Woerth, Catherine Vautrin, Natacha Bouchart ou encore Nora Berra. Suivront Jean-Pierre Raffarin et Martine Vassal. Mais aussi Guillaume Peltier et Sébastien Meurant, partis chez Éric Zemmour.
Le meeting du Zénith
Derrière son pupitre, devant 6 000 militants chauffés à banc, Valérie Pécresse a-t-elle conscience, en ce dimanche 13 février, que sa campagne est sur le point de marquer un tournant, dont elle ne se remettra jamais vraiment ? Dans la grande salle du Zénith, à Paris, la démonstration de force est réussie : il a fallu ouvrir au dernier moment un autre espace pour pouvoir accueillir tous les participants, les principaux ténors du parti sont au premier rang, et BMF TV a même installé un plateau dans la fosse. Mais la prestation de Valérie Pécresse, seule en scène au milieu d’un décor bleu-blanc-rouge aux allures de rampe de lancement, éclipse le reste. Et le décollage attendu vire rapidement au crash. Le ton sentencieux de la candidate, le côté rébarbatif de sa prise de parole, qui balaye l’ensemble de ses propositions sans véritable ligne conductrice, mais surtout ses silences, accentués à la télévision en raison d’un problème de retransmission du son, soulèvent une certaine gêne. Sur les réseaux sociaux, les détournements se multiplient.
Et puis, quelques heures plus tard, arrive la polémique : deux formules empruntées au champ lexical de l’extrême droite, « Français de papier » et « grand remplacement », ne passent pas. Même dans l’entourage de la candidate. Xavier Bertrand et Jean-François Copé, notamment, demandent une clarification. Le faux pas du Zénith devient une très encombrante casserole dans la campagne de Valérie Pécresse. Surtout, il est presque aussitôt sanctionné dans les sondages par un décrochage de trois points. Les 18 réunions publiques qui suivront en région ne permettront pas d’arrêter l’hémorragie.
Fin de partie
À la fin du mois février, le déclenchement de la guerre en Ukraine propulse Emmanuel Macron à des niveaux stratosphériques pour un président sortant : jusqu’à plus de 33 % des intentions de vote au premier tour dans certains sondages. Valérie Pécresse est distancée par Marine Le Pen, au coude à coude avec Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon. Mais le 10 mars, un débat musclé avec le fondateur de Reconquête sur TF1, lui laisse espérer une embellie. Les semaines suivantes, elle enchaîne avec une série de conférences de presse pour détailler les différents volets de son programme. Celle qui a souvent été raillée pour son côté « bon élève » mise avant tout sur le « sérieux » de son projet d’alternance pour imposer sa présidentialité. Mais ces rendez-vous techniques, aux allures de catalogue, ont du mal à imprimer. Aux premiers rangs, les soutiens se font plus rares. Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat, chargé de plancher sur les « 100 premiers jours » de la candidate à l’Elysée, fait partie des indéboulonnables.
Emmanuel Macron la prive encore un peu plus d’oxygène en présentant le 17 mars un projet de réélection dont de nombreuses mesures – retraite à 65 ans, réforme du RSA, suppression de la redevance audiovisuelle, éducation – s’inspirent plus ou moins de la copie des LR. Valérie Pécresse dénonce un « mauvais plagiat », tente de se concentrer sur les questions de sécurité et d’immigration, également sur sa proposition de hausse des salaires, pour se différencier du président sortant. Testée positive au covid-19 le 24 mars, elle est contrainte de suspendre durant cinq jours sa campagne. De quoi donner raison à un célèbre adage chiraquien sur la multiplication des emmerdes…
Fin mars, la candidate passe sous le seuil symbolique des 10 %, à la quatrième, voire la cinquième place dans certaines enquêtes. Au sein des LR, plus grand monde ne s’imagine qu’elle peut encore accéder au second tour, et l’on commence à s’interroger sur la stratégie à adopter face au duel Macron-Le Pen. Plus réussi que celui du Zénith, le dernier grand meeting parisien de Valérie Pécresse, le 3 avril, avait des allures de baroud d’honneur, même si elle appelait encore ses électeurs « à renverser la table ». Une semaine plus tard, c’est la droite qui est à la renverse.