« La gauche est grande et belle quand elle parle à tous les Français, quand elle rassemble, quand son destin se confond avec celui de la France ». Le 5 décembre dernier à Evry, Manuel Valls donnait le ton de sa courte campagne pour la primaire de gauche. Le renoncement surprise de François Hollande le conduit à cette évidence : il est désormais le seul candidat capable de rassembler sa famille politique. Et tant pis, s’il y a peu, l’ancien Premier ministre théorisait « les gauches irréconciliables ». Sur France 2, en ce début d’année, il confessait humblement : « bien sûr, que j’ai changé ». Durant les premiers jours de la campagne, ses thèmes de prédilection comme la laïcité ou l’autorité de l’Etat sont mis en sourdine, l’ancien Premier ministre a même la main lourde quand il s’agit de donner des gages de son « changement ». Parmi ses propositions, la suppression de l’article 49.3 de la Constitution, surprend, provoque la raillerie de ses concurrents, mais ne fédère pas. A partir de là, un constat s’impose : le rassemblement, ce sera pour après la victoire. Lors des trois débats précédant le premier tour, Manuel Valls endosse des habits qui lui siéent mieux, ceux d’une gauche régalienne, crédible, efficace et qui n’hésite pas à fixer des interdits.
« Ambiguïtés », et les « risques d'accommodement »
Accusant 5 points de retard sur Benoît Hamon après le premier tour, 36,6% contre 31,90%, Manuel Valls applique les classiques du comportement d’un challenger d’entre deux tours : taper, taper fort sur le vainqueur pressenti pour inverser la tendance. Ces derniers jours ont donc été le théâtre d’un déchirement au sein de la maison PS. Et les interpellations entre les deux camps depuis dimanche sont loin des expressions maitrisées du type « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup » proférées naguère par Martine Aubry à l’encontre du favori de 2011, François Hollande. Ni même des accusations d’Alain Juppé, estimant, avant le débat d’entre deux tours de la primaire de la droite, que les positions de François Fillon sur l’avortement n’était pas claires. Conscient que les reports des voix du premier tour ne lui sont pas favorables Manuel Valls avance en terrain connu pour brocarder son concurrent sur les « ambiguïtés », et les « risques d'accommodement » qu’il entretiendrait sur le communautarisme et la laïcité. En cause, un reportage diffusé France 2 montrant des cafés dans des banlieues françaises où les femmes ne sont pas les bienvenues. Benoît Hamon, élu de Trappes dans les Yvelines, avait été accusé de relativiser la gravité de cette discrimination, en affirmant notamment que « dans les cafés ouvriers, historiquement, il n'y avait pas de femmes ».
« Dérapages inacceptables »
Dans l’entourage de l’ancien Premier ministre, la plus violente des attaques est venue d’un autre élu de banlieue, le député de l’Essonne Malek Boutih. « Benoît Hamon est en résonance avec une frange islamo-gauchiste et fait un appel du pied électoral. C’est une stratégie d’attrape-tout. Pour obtenir un vote, tout est valable » déclare-t-il à 20 minutes. Sous couvert d’anonymat, un ministre, cité dans le journal Libération, va plus loin encore en affirmant que l’ancien ministre de l’Education « est le candidat des Frères musulmans ». Pour le directeur de campagne de Benoît Hamon, le député PS Mathieu Hanotin s’en est trop. Il adresse une lettre ouverte au Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, lui demandant d’intervenir instamment suite à ces « dérapages inacceptables ».
Ce matin, Benoît Hamon dénonce le « poison » distillé par son adversaire, tandis qu’au même moment Manuel Valls maintient son angle d’attaque estimant « il y a un débat à gauche sur la conception de la laïcité »
« Notre différend fondamental avec Benoît Hamon, c’est le revenu universel »
Cités dans le Journal le Monde, plusieurs membres de l’équipe de Valls regrettent les outrances de ces derniers jours sur le terrain de la laïcité et auraient préférer axer la riposte sur les différences économiques et sociales. « Notre différend fondamental avec Benoît Hamon, c’est le revenu universel » explique notamment au quotidien, le directeur de campagne de Manuel Valls et pésident du groupe PS au Sénat, Didier Guillaume.
Ce soir, face à Benoît Hamon, Manuel Valls devra trouver le juste équilibre entre conviction et agressivité. Un débat de la dernière chance, où l’ancien Premier ministre devra dompter son tempérament sanguin et intégrer cette phrase de Nicolas Sarkozy, s’adressant à Ségolène Royal lors du débat d’entre deux tours de la présidentielle de 2007 : « pour être président de la République, il faut être calme ». En réponse, la candidate socialiste faisait valoir « qu’il y a des colères qui sont parfaitement saines ». Certes, mais pas forcément victorieuses…