« Désormais chaque minute compte pour endiguer la propagation de la souche anglaise ». À Marseille dimanche soir, le maire Benoît Payan s’est fait grave pour évoquer la situation de quatre arrondissements de la cité phocéenne, placés sous haute surveillance. Au moins huit cas liés au variant anglais du virus - 40 à 70 % plus transmissible que le coronavirus « classique » - ont été identifiés au sein d’un cluster familial. « Il y a une réalité virale à Marseille qui est inquiétante », a alerté l’édile socialiste lors d’un point presse, un peu moins de trois heures avant la mise en œuvre du couvre-feu avancé à 18 heures dans les Bouches-du-Rhône.
Selon les sénateurs contactés, la situation est bel et bien « préoccupante ». « On a un taux d’incidence supérieur à 200 », relève le sénateur des Bouches-du-Rhône Jérémy Bacchi (CRCE), membre du Printemps marseillais, le collectif de gauche qui a emporté la mairie de Marseille aux dernières municipales. Son collègue des Républicains, Patrick Boré, n’est pas plus serein. « La situation m’inquiète, bien sûr. Ce n’est pas une joie quand on apprend que ce virus mute », réagit le pharmacien de formation. Une équipe de « 40 marins-pompiers » a été mobilisée dès samedi soir pour tester cinq adresses, notamment via des tests de surfaces qui ont révélé des « traces de covid-19 dans l’environnement ». Des résultats sont en cours pour une trentaine de personnes testées, mais deux d’entre elles ont déjà été isolées car positives au covid-19. Jérémy Bacchi explique : « Le bataillon des marins-pompiers fait un certain nombre de prélèvements sur des bâtiments de Marseille pour voir si le virus s’y fixe et comment il circule. Je m’inquiète particulièrement que ce variant soit capable de se fixer sur du mobilier urbain pendant plusieurs heures ». Le sénateur écologiste Guy Benarroche (EST), lui, n’est pas paniqué par l’arrivée du variant - « le virus prendra d’autres formes, il faudra s’y adapter » - mais plutôt par la situation dans les lieux de propagation. « Dans certaines écoles, ils n’ont pas pu séparer les classes en deux. Dans les transports et sur les lieux de travail, rien n’est fait en dehors de la distanciation et des masques… », déplore-t-il.
Des nouvelles mesures de restriction en question
Pour faire face à la situation, Benoît Payan a lancé un appel aux services de l’Etat. « Je veux que le gouvernement intensifie les contrôles aux aéroports et je demande aux ministres de mettre en place des mesures drastiques concernant les entrées et les sorties du territoire », a déclaré l’élu. Le préfet des Bouches-du-Rhône, Christophe Mirmand, lui a répondu dimanche soir dans un communiqué assurant « que tous les moyens étaient mis en œuvre pour garantir la sécurité sanitaire lors des entrées sur le territoire national et précise que les passagers testés positifs (moins de 0,5 % des personnes contrôlées) se voient notifier un arrêté préfectoral portant mise à l’isolement ».
Les sénateurs s’interrogent quant à eux sur la pertinence de l’abaissement du couvre-feu à 18 heures. « Nous avons eu une réunion avec le préfet vendredi soir », relate Jérémy Bacchi. « Les élus locaux y ont fait part de leurs fortes inquiétudes ». Trois points leur semblaient « surprenants ». D’une part, « nous ne disposons pas d’éléments chiffrés permettant d’affirmer que l’abaissement à 18 heures est une mesure efficace face au covid-19. D’autant que par cette période hivernale, les Marseillais ne vont pas pique-niquer le soir sur la plage », souligne Jérémy Bacchi. D’autre part, « cela entraîne des phénomènes de concentration de la population dans des horaires plus réduits. Beaucoup de Marseillais vont par exemple faire leurs courses le samedi. Cela donne un effet entonnoir dans les supermarchés le week-end ». Enfin, l’élu regrette que les individus soient réduits à l’état de « salariés » avec un couvre-feu « qui contraint exclusivement les Français à travailler » et peut entraîner des conséquences dramatiques sur le plan psychologique. Avant de prendre de nouvelles mesures, il exhorte donc les autorités à les justifier, preuves à l’appui. « Donnons-nous des chiffres fiables qui prouvent que la mesure sera efficace ».
Comme pour un nouveau reconfinement ? « Je n’y suis pas opposé, mais que l’ARS nous prouve son efficacité par les chiffres. On demande des éléments factuels, mais aujourd’hui, on nous répond à chaque fois ‘c’est un pari’ », insiste-t-il. Ce lundi matin, l’hypothèse a laissé place à une situation comme seule la cité phocéenne sait en produire. L’éphémère maire écologiste de la ville - depuis devenue première adjointe - a évoqué la possibilité d’un reconfinement dans la ville sur BFMTV. « Pour en avoir discuté avec les professionnels, moi je pense qu’un couvre-feu 18h-20h n'apportera pas forcément quelque chose de plus : pourquoi pas un reconfinement pour protéger les Marseillaises et les Marseillais, mais un réel reconfinement pour que ce virus arrête de circuler ? », s’est interrogée Michèle Rubirola, arguant de sa qualité de médecin. Avant d’être désavouée dans la foulée par la mairie qui faisait savoir dans les médias que cet avis ne reflétait pas la position de la municipalité. La deuxième adjointe à la mairie de Marseille, Samia Ghali, a elle aussi soutenu l’idée d’un nouveau confinement local, selon le Parisien. « Ce n’est pas absurde », pense pour sa part Guy Benarroche. « L’hypothèse n’est pas à l’ordre du jour », a conclu la préfecture des Bouches-du-Rhône. Interrogé par France 2, le préfet Christophe Mirmand a indiqué préférer se mobiliser sur l’intensification des enquêtes autour du ou des foyers épidémiques. « Il faut densifier l’organisation des tests pour identifier le plus vite possible les foyers de contamination, puis tester tous les cas contacts et isoler très rapidement toutes les personnes porteuses du virus », a-t-il expliqué. « Le confinement comme le couvre-feu à 18h, ce sont des demi-mesures pour éviter la forte tension dans les hôpitaux », tranche le sénateur Patrick Boré (LR). Comprendre : pas la solution magique pour éviter la propagation du virus.
La vaccination, « processus numéro un »
Alors que faire ? Dans une si rare union, presque tous les élus locaux, de la droite à la gauche, plaident pour accélérer la vaccination. « Je ne dévie pas d’un iota de ce que dit le président de la région Renaud Muselier (LR), Martine Vassal (LR) et même le maire de Marseille, il faut vacciner ! », presse Patrick Boré. « On peut confiner cent fois, il en ressortira toujours un réservoir humain et c’est normal que le virus mute. Peut-être faut-il imposer des conditions plus strictes de déplacements à Marseille mais cela ne peut servir qu’à désengorger les hôpitaux. Il n’y a que la vaccination qui peut fonctionner sur le long terme », estime-t-il. D’autant que selon les informations de Guy Benarroche, pour le moment, « il y a très peu de lits de réanimation occupés » à Marseille. « On pense que la vaccination est le processus numéro un, il faut vacciner plus vite », résume ce dernier. « Cela nous paraît plus important que de restreindre la circulation. Des tas d’élus locaux sont prêts à tout mettre en œuvre pour vacciner. Mais on se rend compte que le plan de vaccination n’y est pas ». Il rapporte une anecdote issue de la réunion de vendredi soir dernier avec le préfet : « Il nous dit que l’on va aussi vite que l’on peut, que nous n’avons pas le choix du nombre de doses. Je suis bien d’accord avec lui mais quand on voit les stratégies vaccinales plus rapides dans d’autres pays… Par exemple, sur le cas de l’Allemagne, le préfet répond qu’ils ont vacciné trop vite qu’ils vont être en pénurie de vaccins. Peut-être, mais je pense il est quand même préférable d’avoir vacciné un plus grand nombre de personnes plus rapidement. Il semble évident qu’il y a une défaillance de la politique vaccinale à ce niveau-là… »
Jérémy Bacchi va dans le même sens : « La vraie question est de savoir quand on aura une campagne de vaccination massive. On a des capacités de vaccination de 50 000 à 100 000 personnes par semaine grâce aux moyens mis à disposition par la mairie, la région, les élus locaux… » Mais « avons-nous suffisamment de doses de vaccins pour vacciner rien que la population qui rentre dans les critères ? », interroge-t-il en visant le gouvernement. Patrick Boré aimerait aussi disposer « d’une communication plus claire du gouvernement. Surtout du ministre de la Santé. » Il tacle : « Olivier Véran c’est un bon marin, il sait tirer les bords ! ». À ce jour, le maire de Marseille a indiqué disposer de « 15 000 doses » de vaccins. Ce qui, selon ses mots, n’est pas « suffisant ».