Le feuilleton économico-politique de la rentrée met en scène deux fleurons français : Veolia et Suez. Au Sénat, ce mardi le directeur général de Suez, Bertrand Camus, et le président du conseil d’administration, Philippe Varin ont sans relâche défendu leur groupe : « La France doit éviter la disparition d’un fleuron français », appellent-ils.
Pour comprendre ce qu’il se joue, il faut remonter au 5 octobre dernier, date à laquelle Veolia est parvenu à racheter au groupe Engie les parts qu’il détenait chez Suez : 29,9 %. Un rachat qui s’est effectué sans l’aval de l’État qui a voté contre. Depuis les discussions n’ont pas reprises, pire c’est un duel au grand jour que se livrent les deux groupes. Le Monde publie d’ailleurs, ce jour, une interview du PDG de Veolia, Antoine Frérot, qui lui non plus n’est pas avare de mots : « Le seul obstacle à cette OPA, c’est l’actuel conseil de Suez, et aucun obstacle ne nous arrêtera ».
Si le sujet intéresse les sénateurs aujourd’hui, c’est que l’enjeu est de taille puisque ces entreprises travaillent principalement dans le domaine de la gestion des eaux et du traitement des déchets. « Ce sont des services qui touchent au quotidien les Français », a rappelé le président de la commission de l’aménagement et du développement durable, Jean-François Longeot. Le sénateur a fait part des préoccupations de la commission concernant les effets de ce rapprochement sur l’emploi et le savoir-faire de Suez. Mais aussi au sujet des effets sur les prix et la qualité des services pour les collectivités locales. Le rôle de l’État dans cette opération qui ne cesse de créer la polémique est lui aussi au cœur de ces auditions.
« Notre principal concurrent a lancé, par voie de presse, une opération hostile en vue de racheter en deux temps Suez »
Les représentants de Suez n’ont pas mâché leurs mots devant les sénateurs, condamnant sans cesse la démarche et le « cynisme de Veolia qui n’accorde pas le respect élémentaire aux différentes parties prenantes ».
« Notre principal concurrent a lancé, par voie de presse, une opération hostile en vue de racheter en deux temps Suez », dénonce Philippe Ravin. « Moi, je n’ai jamais testé l’amicalité lancé avec un train à grande vitesse (...) Je ne pense pas que l'agressivité, l’outrance verbale soient aujourd’hui de bons moyens pour pouvoir rapprocher les points de vue. » Et de prévenir : « Tant qu’on n’a pas reçu une offre formelle, tant qu’il n’y a pas de projet industriel, tant qu’on ne sait pas ce qu’il y a vraiment sur les remèdes et sur l’emploi, on ne peut pas avancer ».
Conséquences sur l’emploi : « 4000 à 5000 emplois en France »
Veolia Suez : « Un projet néfaste », dénonce Bertrand Camus (Suez)
Le directeur général du groupe Suez, Bertrand Camus a alerté sur « un projet néfaste » pour l’emploi : « Nous avons fait évaluer par des experts les conséquences sur l’emploi de ce rapprochement que nous estimons de l’ordre de 4000 à 5000 emplois en France sans compter les emplois indirects et près du double au niveau mondial ».
Selon le directeur général du groupe Suez, le rapprochement entre Veolia et Suez aurait aussi des conséquences sur la recherche et le développement entraînant une « fragilisation de l’innovation » qui serait « un vrai gâchis car nous sommes un véritable leader en la matière ».
Auditionnés au Sénat le 15 octobre, les syndicats du groupe relayaient les mêmes craintes : « Les deux groupes ont les mêmes activités et il est impossible que Veolia conserve toutes les activités de Suez. Cela signifie que le groupe va être démantelé, tout va être dispersé. Ce seront les salariés les victimes », affirmait Carole Pregermain, élue Force ouvrière et secrétaire du comité de groupe France de Suez (lire notre article).
« La manière dont ce vote s’est déroulé n’est pas claire »
Veolia Suez : « La manière dont ce vote s’est déroulé n’est pas clair », dénonce Philippe Varin
La question du rôle de l’État est à plusieurs reprises revenue dans les questions des sénateurs, appelant des réponses réservées. « Factuellement, ce que nous pouvons dire, c’est que la manière dont ce vote s’est déroulé n’est pas claire. Ce n’est, je crois, jamais arrivé qu’un conseil d’une société dont l’État détient 23,4 % passe outre l’avis de l’État », a souligné Philippe Varin.
Il a également rappelé la déclaration du Premier ministre, Jean Castex, qui le 3 septembre, avait déclaré que le rapprochement Suez Veolia « faisait sens ». D’après le président du conseil d’administration de Suez, cette sortie, bien que rattrapée par Bruno Le Maire, « a créé un retard à l'allumage » dans leur recherche d’investisseurs pour une offre alternative. « On ne va pas, quand on est un investisseur français, s’opposer à l’État », souligne-t-il.
Dans l’interview accordée au Monde ce mardi, Antoine Frérot reproche aux dirigeants de Suez d’avoir créé « une entité opaque pour rendre inaliénable Suez Eau France ». Devant les sénateurs, Philippe Varin assure, lui, que ce n’est en aucun cas « une pilule empoisonnée » mais simplement « un outil de négociation » face à Veolia, ajoutant aussi que cette fondation pouvait être dissoute à tout moment.
Toujours concernant l’interview du PDG de Veolia, la sénatrice LR Sophie Primas s’est interrogée sur la menace à peine voilée d’Antoine Frérot de faire débarquer le conseil d'administration de Suez avec le concours des actionnaires. Quelle est la résistance du conseil d’administration du groupe ? « C’est un conseil qui partage la même boussole », assure Philippe Varin.
Les représentants de Suez sont aussi venus avec une question : « Pourquoi Engie n’a-t-il pas organisé un processus de vente robuste au regard de ces enjeux ? ». Cette question, les sénateurs pourront la poser demain au président d’Engie, Jean-Pierre Clamadieu, qui sera lui aussi auditionné par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.