Paris : session of questions to the government at the Senate
JEANNE ACCORSINI/SIPA

« Vexations », échanges « pas fluides », négos avec le PS : pourquoi la relation entre le Sénat et le gouvernement Lecornu s’est détériorée

Depuis « un mauvais départ », le courant passe mal entre la majorité LR-centriste du Sénat et le gouvernement. Discussions avec le PS au détriment des LR, députés invités à Matignon sans les sénateurs, qui aimeraient « être dans la boucle »… Les causes de fâcheries se multiplient. Pour tenter de retisser des liens dégradés, Sébastien Lecornu invite les présidents de groupe du Sénat à Matignon ce mercredi, avant de se rendre en conférence des présidents.
François Vignal

Temps de lecture :

10 min

Publié le

Mis à jour le

« Il y a quelque chose qui ne va pas ». L’histoire pourrait être anecdotique. Mais elle illustre comment les relations se sont dégradées entre la majorité sénatoriale de droite et du centre et le gouvernement, avec l’arrivée de Sébastien Lecornu à Matignon. Tout a en effet dérapé depuis le gouvernement Lecornu II et le départ tonitruant des LR de l’équipe gouvernementale.

Une réunion était prévue, ce mardi, à 17h15, à Matignon, entre les présidents de groupes du Sénat du socle commun et le premier ministre. Mais celle-ci a été organisée « dans une relative indifférence » de l’agenda du Sénat. « C’était en fin d’après-midi, en pleine séance. Extraordinaire ! » s’étonne une source sénatoriale, qui confie que « ça a un peu agacé pas mal de présidents qui étaient conviés ». Finalement, certains ont fait savoir que ce n’était « pas possible ». La réunion a finalement été calée ce mercredi matin, à 10 heures. Ouf. L’épisode étonne un conseiller ministériel. « Si l’Elysée ou Matignon demandent à tout le monde avant, ils ne font pas de réunion. C’est Matignon… » Comprendre, les sénateurs sont priés de venir. Reste que si l’organisation d’une simple réunion prend cette tournure, on comprend pourquoi la mécanique s’enraille sur le reste.

« Mauvais départ », « relation limitée », « mépris »

Mais pourquoi y a-t-il de l’eau dans le gaz, du moins de la friture, entre le Sénat et le gouvernement ? C’est un peu l’histoire d’un couple, où l’un des deux membres de sentirait trahi, l’un reprochant à l’autre d’aller voir ailleurs… après que le premier a décidé de claquer la porte.

« Il y a eu un mauvais départ bien sûr. Ça a été illustré par la déclaration de politique générale (DPG). C’est vrai qu’il y a un dialogue qui est limité », constate un président de groupe. « On a tous entendu la DPG du premier ministre, qui s’adressait uniquement à un parti, le Parti socialiste », confirme le sénateur LR de l’Oise, Olivier Paccaud, qui rappelle que les LR, « dans les négociations pour la composition de Lecornu I », avaient demandé « très clairement une feuille de route ». « Il devait y figurer des points importants, comme l’allocation sociale unique, des mesures sur l’immigration, avec l’AME et la politique des visas qui devaient revenir à l’Intérieur. Et bien aucun de ces trois exemples n’a été évoqué dans la DPG. A partir de là, comment voulez-vous avoir confiance en quelqu’un qui ne s’adresse pas à vous, qui vous ignore, vous méprise ? On est partis sur de mauvaises bases, c’est évident », lâche le sénateur LR.

Résultat, c’est compliqué. Une forme d’incompréhension, mêlée de déception et de rapport de force politique, irrigue la perception des sénateurs. « Entre le Sénat et le gouvernement, pour l’instant, la relation est limitée. On voit quand même des ministres, heureusement. Mais ce n’est pas fluide », confie un cadre de la majorité sénatoriale.

« Sur l’avenir de la décentralisation, pour l’instant, il y a beaucoup plus de terre promise que de terrain gagné »

Pourtant, après les gouvernements Barnier puis Bayrou, où LR était l’un des acteurs essentiels du socle commun, il y avait de quoi espérer pour les sénateurs. « Sébastien Lecornu a été sénateur, certes pas longtemps. Il a de très bonnes relations avec Gérard Larcher. Et il est convaincu de la nécessité de la décentralisation, qui est l’un de nos thèmes. Il avait convenu aussi avec nous qu’il fallait essentiellement appuyer sur les économies de dépenses publiques, plutôt que les recettes fiscales nouvelles », souligne le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse.

Autrement dit, « la feuille de route initiale était bonne, mais le chemin de crête qu’il emprunte pour éviter que son budget soit censuré emprunte des voies qui sont totalement incompatibles avec les LR », ajoute l’ancien ministre, qui pointe « beaucoup de bricolage et beaucoup d’avancées à la godille dans le débat budgétaire ». Pour ne rien arranger, sur un sujet cher aux sénateurs, Marc-Philippe Daubresse remarque que « sur l’avenir de la décentralisation, pour l’instant, il y a beaucoup plus de terre promise que de terrain gagné ».

« Pas de son, pas d’image, pas SMS, pas un mot », dénonce Hervé Marseille

Outre le fond, la forme et la méthode passent mal. En recevant d’abord uniquement les présidents de groupe de l’Assemblée, sans ceux du Sénat, comme avant, Sébastien Lecornu s’est attiré les foudres de Gérard Larcher et des sénateurs. Un président LR du Sénat qui s’était fait entendre, d’abord, lors d’une conférence des présidents du Sénat, mi-octobre, sur le manque de lisibilité du calendrier parlementaire. Gérard Larcher a ensuite tapé du poing sur la table en menaçant de revenir sur la suspension de la réforme des retraites, inspirée des travaux du Sénat, aujourd’hui concédée aux socialistes. L’entourage d’un des présidents de groupe glisse alors :

 Les sénateurs sont énervés, c’est clair. 

Un membre de l'entourage d'un président de groupe du Sénat.

Un malaise relayé sur l’antenne de Public Sénat par Hervé Marseille, président du groupe Union centriste, soit l’un des piliers de la majorité sénatoriale avec LR, et composante, à l’origine, du socle (plus trop) commun. « Depuis la déclaration de politique générale, nous n’avons eu aucun signe du gouvernement, pas de son, pas d’image, pas SMS, pas un mot. Donc aucune visibilité, aucun dialogue », dénonce alors le président de l’UDI.

« Il faut tenir compte aussi de la majorité sénatoriale. Et il faut respecter les deux chambres »

Dernière source de discorde : le renoncement, par Sébastien Lecornu, au gel des pensions de retraite et des minima sociaux, alors que le Sénat défend l’année blanche… Encore un pas vers les socialistes. « C’est un peu plus conflictuel. En tout cas, il y a une incompréhension sur la méthode de Lecornu. J’entends qu’il travaille au jour le jour, mais il ne faut pas oublier que le Parlement est composé de deux chambres. Il faut tenir compte aussi de la majorité sénatoriale. Et il faut respecter les deux chambres. C’est peut-être ce qu’a oublié Sébastien Lecornu entre temps », nous soutient lundi la centriste Elisabeth Doineau, rapporteure générale du budget de la Sécu au Sénat.

Sébastien Lecornu a certes déjà fait des efforts, en recevant les présidents de groupe du socle le lundi 27 octobre. « Il a protesté de sa bonne foi, en affirmant qu’il voulait plus de lisibilité pour le Sénat, de transparence et travailler plus en coordination avec nous », raconte l’un des sénateurs conviés, qui reste clairement sur sa faim pour l’heure : « Il n’y a pas tellement de liaison. C’est pour ça que cette nouvelle réunion, demain, est importante ». Les sénateurs aimeraient être « un peu plus dans la boucle », comme dit l’un des acteurs, qui appelle Sébastien Lecornu à ne pas oublier qui « soutient le gouvernement. Si on ne le soutient pas, qui va le faire ? » Pour Olivier Paccaud, comme beaucoup de LR, il n’y a aujourd’hui plus de doutes : « Nous ne soutenons pas le gouvernement, c’est très clair. Mais ponctuellement, sur les textes qui nous semblent bons, nous répondrons présents ».

« On nous rapproche l’absence de disponibilité dans les premiers jours, voilà la raison », confie un ministre

Du côté du gouvernement, on jure aujourd’hui que « la relation avec le Sénat n’est pas compliquée ». Mais on fait amende honorable sur un point : on veut bien reconnaître « un démarrage peut-être difficile », dans « les premières heures et premiers jours du gouvernement, où on était concentrés sur la menace de censure, et la nécessité d’élargir le plus possible la plateforme de stabilité », confie un ministre, « on nous rapproche l’absence de disponibilité dans les premiers jours, voilà la raison » du malaise. Mais le même ajoute : « Pour qu’un gouvernement puisse travailler, il faut qu’il vive… »

Depuis, le ministre des Relations avec le Parlement, Laurent Panifous, député et ancien socialiste, tente de mettre un peu d’huile dans des rouages qui grincent. Il s’est entretenu longuement avec Gérard Larcher. Il a aussi largement reçu les responsables de la Haute assemblée dans ses bureaux de la rue de Varenne – « l’idée que les sénateurs ne soient pas traités, on s’inscrit en faux », confie une source gouvernementale – autant que les députés, voire plus. Il semble plutôt marquer des points. « Laurent Panifous est un homme de dialogue et de bonne volonté. On peut travailler avec lui », salue l’un des chefs à plume du Sénat. D’autant qu’« il a un bon directeur de cabinet, avec Julien Autret, un fin connaisseur de la procédure parlementaire », glisse-t-on.

« Sébastien Lecornu veut montrer qu’il est attaché au Sénat, il veut faire un geste »

L’opération séduction, ou plutôt reconquête, continue, avec le premier ministre en personne, Sébastien Lecornu, qui se rendra à la conférence des présidents du Sénat, ce mercredi, en fin de journée. Une attention appréciée.

« Il veut montrer qu’il est attaché au Sénat, il veut faire un geste, donc il vient. Voilà… En tous les cas, on ne va pas faire la fine bouche, c’est un geste pour marquer une sympathie, une orientation. C’est bien. Il va pouvoir répondre », salue un membre de la conférence des présidents, qui ajoute cependant, dans une menace à peine voilée : « C’est compliqué de se passer du Sénat. Car il y a le budget et l’après budget quand même. Il y a d’autres textes qui vont venir. Il ne faut pas créer d’antagonisme avec le Sénat. Et en commission mixte paritaire, c’est fifty-fifty… »

« Il n’est jamais trop tard pour bien faire, mais on ne peut pas passer sous silence des choses qu’on a vécues comme des vexations »

« C’est un peu tard » juge en revanche Olivier Paccaud, « car il y a eu des rendez-vous à Matignon qui se sont faits sans les présidents de groupe. On invitait Laurent Wauquiez, mais pas Mathieu Darnaud, président du groupe LR du Sénat. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Mais on ne peut pas passer sous silence des choses qu’on a vécues comme des vexations », pointe le sénateur de l’Oise. Vite, une thérapie collective. Il ne faut jamais oublier, que la politique, c’est aussi beaucoup une affaire de relations humaines.

Partager cet article

Dans la même thématique

SIPA_01221444_000001
4min

Politique

Otages français en Iran : Cécile Kohler et Jacques Paris sont sortis de prison, mais « ils ne sont pas libres », précise l'avocate des familles

Cécile Kohler et Jacques Paris, détenus depuis mai 2022 en Iran suite à des accusations d’espionnage, « sont sortis de la prison d'Evin et sont en route pour l'ambassade de France à Téhéran », a annoncé Emmanuel Macron sur X. Les avocats des familles précisent qu'ils ne sont pas libres et toujours empêchés de regagner la France

Le

« Vexations », échanges « pas fluides », négos avec le PS : pourquoi la relation entre le Sénat et le gouvernement Lecornu s’est détériorée
5min

Politique

« C’est à la fin de la partie qu’on comptera les choses » : sur le budget, les socialistes veulent encore laisser du temps au gouvernement

Les députés mettent en pause l’examen du projet de loi de finances pour étudier le budget de la Sécurité sociale. S’ils ne sont pas allés au bout de la partie recettes, ils ont néanmoins pu adopter un certain nombre de mesures absentes du projet initial. Certaines sont vues par le gouvernement comme des gains concédés aux socialistes, bien que ces derniers se montrent toujours insatisfaits. Pas suffisamment, pourtant, pour interrompre les négociations et l’examen budgétaire.

Le