« J’espère bien que tu en as éborgné, quel kif ». Deux ans et demi après la manifestation contre les mégabassines à Sainte Soline (Deux-Sèvres), de nouvelles vidéos révélées par Mediapart et Libération ravivent le débat sur les violences policières. Ces images, issues des caméras piétons des gendarmes, montrent des tirs tendus de grenades lacrymogènes et explosives, une pratique pourtant interdite, accompagnée d’ordres explicites : « Tendu, tendu, tendu ». Selon Mediapart, ces vidéos étaient détenues par l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). Face à ces révélations, le sénateur écologiste du Rhône, Thomas Dossus, dénonce une situation « extrêmement préoccupante » et accuse le ministère de l’Intérieur de l’époque, dirigé par Gérald Darmanin, d’avoir « minimisé les faits ». « Ça ne m’a pas surpris, c’est ce qu’on a vu sur le terrain », déclare le sénateur, qui s’était rendu sur place lors des événements.
Pour rappel, la manifestation du 25 mars 2023 contre la construction d’une mégabassine, un réservoir géant destiné à l’irrigation agricole avait réuni plusieurs milliers d’opposants. Interdite par la préfecture, elle avait dégénéré : plus de 5 000 grenades tirées en moins de trois heures, 200 manifestants blessés, dont 40 grièvement et deux plongés dans le coma, ainsi que 47 gendarmes, selon Le Monde.
Une procédure judiciaire enclenchée au titre de l’article 40
À la suite des récentes révélations, le ministre de l’Intérieur Laurent Nuñez a demandé l’ouverture d’une enquête administrative par l’inspection générale de la gendarmerie nationale. « Ce sont des gestes de violences qui ne pourraient ne pas être proportionnés », a-t-il reconnu sur France Inter, tout en ajoutant : « Vous ne m’entendrez jamais reprendre ce terme de violences policières. » Selon Libération et Mediapart, le parquet de Rennes a indiqué être sur le point de clore son enquête préliminaire, au cours de laquelle aucun gendarme n’a été auditionné au sujet des images issues des caméras piétons. Déjà en juillet 2023, un rapport de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) dénonçait un usage « disproportionné » de la force. De leur côté, les autorités affirmaient que les gendarmes avaient riposté de manière « adaptée ». Thomas Dossus indique avoir saisi le procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, qui impose à toute autorité publique de signaler un crime ou un délit dont elle a connaissance. Il rappelle avoir déjà été entendu par l’IGGN en 2023, après plusieurs plaintes de manifestants blessés. « Je n’ai eu aucune nouvelle depuis. L’inspection semblait terminée, et aucune infraction n’avait été retenue », déplore-t-il.
Des images accablantes
Pour le sénateur écologiste, les nouvelles vidéos confirment ce que beaucoup dénonçaient dès le début : « Les images parlent d’elles-mêmes. On voit clairement certains gendarmes tirer à hauteur d’homme. » Il évoque une forme « d’enthousiasme » dans l’usage des armes : « L’usage de ces armes est censé être strictement encadré. Là, on voit des tirs répétés, comme s’il s’agissait de faire le plus de dégâts possibles. » S’il précise que « tous les gendarmes ne sont pas concernés », il appelle à sanctionner les actes déviants « pour éviter d’engrener des compagnies entières. »
Du côté de la droite sénatoriale, François Bonhomme, sénateur LR du Tarn-et-Garonne, appelle à la prudence face à ce qu’il considère comme une mise en accusation systématique des forces de l’ordre. « L’Inspection générale est là pour faire son travail », rappelle-t-il. Le sénateur dénonce ce qu’il appelle une « mécanique infernale » alimentée par certains médias : « Le sujet principal, ce n’est pas la défiance, c’est le respect de la police. On inverse un peu l’ordre des choses. » Il estime que la police française dispose d’une doctrine de maintien de l’ordre équilibrée : « On a une police formée, qui fait tout pour établir la confiance. Les personnes interpellées ont aussi des devoirs. » François Bonhomme regrette une vision trop unilatérale du débat : « Les caméras piétons ont été installées pour rétablir un équilibre entre les forces de l’ordre et les citoyens. » Enfin, il appelle à laisser la justice et l’IGGN faire leur travail : « On voudrait avoir la conclusion avant même la démonstration. Il faut attendre les résultats de l’enquête. » Thomas Dossus, lui, insiste : « Il faut que l’enquête avance vite. C’est la moindre des choses pour les manifestants. » Il appelle à remonter la chaîne de commandement et à rechercher les responsabilités parmi « les donneurs d’ordre ».
Vers une commission d’enquête ?
Lors d’une précédente audition de Gérald Darmanin au Sénat, le 5 avril 2023 les échanges avaient déjà été vifs autour du rôle de la Ligue des droits de l’Homme et de la gestion du maintien de l’ordre à Sainte Soline. François Bonhomme, lui, met en garde contre une dérive politisée du sujet : « À la base, il y a une volonté de mise en cause des forces de sécurité. J’y vois une manière d’envenimer les choses. Ce type de journalisme, sous couvert de dénoncer, alimente la défiance. » Aujourd’hui, Thomas Dossus soutient la demande de commission d’enquête parlementaire portée par La France insoumise : « Il faut que justice soit faite ».