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Violences après la mort de Nahel : entre Macron et les banlieues, un rendez-vous manqué

Après trois nuits de violences urbaines dans plusieurs villes de France déclenchées par la mort du jeune Nahel, tué par un policier lors d’un refus d’obtempérer, les appels à l’apaisement et le dispositif de sécurité restent sans effets. Au-delà de sa réponse sécuritaire, l’exécutif est attendu sur la politique de la ville et la cohésion sociale, un angle mort de son précédent quinquennat pour les sénateurs.
Simon Barbarit

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« Rendez-nous Borloo ! » L’ancien sénateur LR et actuel maire de Pavillons-sous-Bois en Seine-Saint-Denis, Philippe Dallier n’a pas beaucoup dormi cette nuit. Son département a été lourdement touché par les pillages et les dégradations de cette troisième nuit d’émeutes. Les violences en réaction à la mort du jeune Nahel, tué par un policier, lors d’un refus d’obtempérer, s’étendent dans de nombreuses villes de France, sans que les pouvoirs publics n’arrivent, pour le moment, à les contenir.

« Depuis 2017, on ne peut pas dire que la politique de la ville ait été une priorité »

La droite et l’extrême droite ont appelé, jeudi, l’exécutif à décréter l’état d’urgence. Mais sur le long terme la réponse sécuritaire pourra difficilement faire l’impasse sur des actions en direction des quartiers prioritaires. « Attention, je ne défends pas la politique de l’excuse. La mort dramatique d’un jeune homme ne peut pas tout justifier. Ceci étant dit, depuis 2017, on ne peut pas dire que la politique de la ville ait été une priorité. Il va falloir prendre des décisions fortes en la matière comme sur le régalien », insiste Philippe Dallier, qui en 2018 avait remis, avec les parlementaires de son département, un rapport d’enquête parlementaire sur les actions de l’Etat en Seine-Saint-Denis.

Au Sénat et dans les territoires on se souvient de la manière avec laquelle le chef de l’Etat avait balayé en mai 2018 le plan Borloo. L’ancien ministre de la Ville avait élaboré en concertation avec des élus locaux de tous bords « 19 programmes robustes, structurants, innovants » pour « faire revenir la République » dans les quartiers face au « repli identitaire et communautaire ».

Contre toute attente, Emmanuel Macron avait pris ses distances avec les propositions de Jean-Louis Borloo, estimant que « ça n’aurait aucun sens que deux mâles blancs ne vivant pas dans ces quartiers s’échangent un rapport ». A la place, ses mesures basées sur des renforts d’effectifs de police, des « testings » dans les 120 plus grandes entreprises de France pour détecter les cas de discrimination à l’embauche ou des places supplémentaires pour les stages de troisième, avaient plus que déçu les élus.

« Il y a une responsabilité majeure du pouvoir en place, qui a sous-estimé le problème culturel dans les banlieues »

Marc-Philippe Daubresse, l’ancien ministre de la Ville et sénateur du Nord, proche de Jean-Louis Borloo, n’hésite pas à parler « d’humiliation » pour son « ami » et pointe « le narcissisme » du chef de l’Etat. « On a un problème majeur qui nécessite de reprendre complètement la politique de la ville et toute une série de choses liées à la fois à la réussite éducative, à l’égalité des chances, à la laïcité et qui sont complètement bafouées. Dernièrement, Jean-Louis Borloo a écrit « un essai qui s’appelle l’Alarme. Il appelle à changer la gouvernance du pays, en allant du bas vers le haut et à un consensus politique sur la politique de la ville, le logement, l’éducation, la sécurité et la justice. En 100 pages, tout était dit, et M. Macron ne l’a pas retenu. Il y a une responsabilité majeure du pouvoir en place, qui a sous-estimé le problème culturel dans les banlieues. Il n’y a plus de respect de l’autorité. Les références de ces populations de plus en plus jeunes sont des réseaux sociaux. Ils s’imaginent que ce qu’ils font, ce n’est pas grave ».

« Il faut faire confiance aux territoires pour être force de propositions »

Début 2021, à un an de la fin du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, un comité interministériel de la Ville, en faveur des quartiers prioritaires, durement touché par la crise sanitaire et économique, se tenait à Grigny dans l’Essonne. Le Premier ministre de l’époque, Jean Castex annonçait qu’1 % du plan de relance de 100 milliards d’euros, soit 1,1 milliard d’euros allait être consacré aux quartiers prioritaires. « Le fameux milliard dont nous n’avons pas eu l’évaluation », se souvient la sénatrice centriste, Valérie Létard qui déplore toujours un problème de gouvernance dans la politique de la ville. « L’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) a porté ses fruits sur le bâti. Mais la politique de la ville comporte également un volet solidarité, un volet d’accompagnement des populations. Vous avez des quartiers qui ne bénéficient pas de l’Anru mais sont éligibles aux contrats de ville. Or pour en bénéficier, il faut répondre à des appels à projets. Pourquoi ne pas déléguer ces enveloppes aux collectivités avec un contrôle de l’Etat déconcentré ? Les problématiques ne sont les mêmes d’un quartier à un autre, il faut faire confiance aux territoires pour être force de propositions sur l’éducation, la sécurité, la culture, le sport. Avec les appels à projets, les financements sont remis en question chaque année, c’est difficile dans ces conditions d’avoir des professionnels aguerris, de financer des associations », préconise-t-elle.

« L’heure n’est pas à l’état d’urgence mais à un plan d’urgence pour la cohésion sociale du pays »

« Les banlieues, ça ne parle pas à Emmanuel Macron et d’une façon générale, c’est quelqu’un qui ne pense pas les territoires, c’est ce qui avait conduit à la crise des gilets jaunes », note le sénateur communiste des Hauts-de-Seine, Pierre Ouzoulias avant d’ajouter. « Au-delà de la question du racisme, et du rapport à la police, ces gens qui pillent et détruisent des services publics, gardent en tête qu’ils habitent dans des territoires de relégation, des zones de non-droits, droits qu’on accorde aux autres ».

Pour Rémi Cardon, sénateur socialiste de la Somme, « l’heure n’est pas à l’état d’urgence mais à un plan d’urgence pour la cohésion sociale du pays ». « En avril dernier, après la réforme des retraites, le Président a promis 100 jours d’apaisement, je m’attendais à une grande loi de programmation pour la cohésion sociale et on a eu un projet de loi de programmation militaire, un projet de loi sur l’espace numérique… Des réponses politiques décorrélées au problème structurel de la France : l’injustice sociale qui est génératrice de tensions dans ce pays. A Amiens, je discute avec des acteurs associatifs qui me disent qu’ils sont découragés de courir après les appels à projets, alors que ce sont ces corps intermédiaires qui structurent le vivre ensemble dans les quartiers. Il faut rebondir avec une réforme de fond sur la justice sociale ».

Ce vendredi, à l’issue d’une réunion de la cellule interministérielle de crise, Emmanuel Macron n’a pas esquissé de geste en ce sens. Concentré sur une réponse de fermeté, il a pointé du doigt la responsabilité des parents des jeunes émeutiers « intoxiqués » aux jeux vidéo, selon lui.

La Première ministre, Elisabeth Borne a annoncé, ce vendredi, qu’un nouveau  comité interministériel des villes aura lieu prochainement pour annoncer des mesures en faveur des quartiers.

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