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Violences après la mort de Nahel : faut-il décréter l’état d’urgence comme le demande LR ?

Après deux nuits de violences urbaines dans plusieurs villes de France déclenchées par la mort du jeune Nahel, tué par un policier lors d’un refus d’obtempérer, Les Républicains demandent le déclenchement de l’Etat d’urgence. Quelles sont les implications de ce régime d’exception ?
Simon Barbarit

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Ces deux dernières nuits d’émeutes et de violences dans plusieurs quartiers populaires en réaction à la mort du jeune Nahel tué par un policier lors d’un refus d’obtempérer, ne sont pas sans rappeler celles de 2005. Il y a 18 ans à Clichy-sous-Bois, la mort de deux adolescents, Zyed et Bouna, à la suite d’un contrôle de police, avait conduit à plusieurs semaines d’émeutes étendues à de nombreuses banlieues françaises.

Même cause, même effets pour la droite. Dans un communiqué le président de LR, Éric Ciotti demande « le déclenchement sans délai de l’état d’urgence partout où des incidents ont éclaté ». Le président de Reconquête, Éric Zemmour a lui aussi plaidé pour le déclenchement de l’état d’urgence.

Interrogé sur ce point, le ministre de l’Intérieur a balayé à ce stade cette éventualité. « On peut mobiliser énormément de moyens sans avoir besoin de recourir à des outils particuliers de la Constitution », a-t-il déclaré en annonçant « la mobilisation de 40.000 policiers et gendarmes ce soir pour procéder à des interpellations et rétablir l’ordre républicain ».

« Rien n’a été traité dans ces territoires perdus pour la République »

« Eh bien, on jugera sur pièces », répond, Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR. « C’est au gouvernement de nous dire si, pour restaurer l’ordre public, il a besoin de cet outil. Si c’est le cas, ce n’est certainement pas nous qui nous y opposerons ».

Sur LCI, le président du Sénat, Gérard Larcher a temporisé. « Tout va dépendre de l’évaluation qui est en cours Place Beauvau […] « S’il apparaît nécessaire que dans certains périmètres on déclenche une forme d’urgence, il faut être efficace, il faut répondre », a-t-il précisé.

Marc-Philippe Daubresse (LR), rapporteur de nombreux textes relatifs à la sécurité, estime, lui aussi, que le recours à l’état d’urgence est prématuré. « C’est comme un incendie. L’étincelle a été déclenchée par une présomption de violence policière. En 2005, l’exécutif a attendu de voir si le feu s’étendait dans toute la France pour prendre une telle décision ». L’ancien ministre délégué au logement, estime par ailleurs que la réponse ne peut pas être que sécuritaire et en profite pour glisser un tacle à Emmanuel Macron. « Le Président a mis la poussière sous le tapis en rejetant il y a quelques années le plan de Jean-Louis Borloo sur les banlieues. Il n’est pas à l’écoute de certaines préoccupations de la population comme la crise du logement, l’égalité des chances ».

Bruno Retailleau ne ménage pas non plus ses critiques à l’égard de l’exécutif, mais sous l’angle de l’autorité de l’Etat. « Rien n’a été traité dans ces territoires perdus pour la République. On a mis des milliards d’argent public sans s’attaquer aux causes de ce séparatisme, une réponse pénale qui n’est pas assez ferme, une immigration incontrôlée ».

« Il y a une espèce de fascination pour les mesures martiales »

Le recours à ce régime d’exception préconisé par les Républicains a été accueilli froidement par le sénateur centriste, Loïc Hervé, dont le groupe politique forme avec LR la majorité au Sénat. « Il y a une espèce de fascination pour les mesures martiales comme si nous n’avions pas été suffisamment en état d’urgence ces dernières années… C’est irresponsable quand on est un responsable politique qui souhaite de retour au calme. Il faut éviter d’être dans la surenchère. Je ne comprends pas et je combats cet état d’esprit qui consiste à chercher toujours plus de mesures attentatoires aux libertés publiques », a-t-il dénoncé.

Qu’est-ce que l’état d’urgence ?

Contrairement à ce qu’a déclaré Gérald Darmanin, l’état d’urgence n’est pas inscrit dans la Constitution, à l’inverse de l’état de siège, qui accorde des pouvoirs étendus au chef de l’Etat lorsque l’indépendance de la Nation et l’intégrité du territoire sont menacées (article 16).

L’état d’urgence est lui régi par une loi du 3 avril 1955. Cet état d’exception est décrété en Conseil des ministres pour une durée de 12 jours maximum, seul le Parlement est compétent pour le prolonger.

Après plusieurs jours d’émeutes, le 8 novembre 2005, le président Jacques Chirac décrétait l’état d’urgence afin « de donner aux forces de l’ordre des moyens supplémentaires d’action pour assurer la protection de nos concitoyens et de leurs biens ».

Créé en 1955, durant la guerre d’Algérie, l’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».

Il permet notamment à l’Etat de restreindre les droits et libertés fondamentales, liberté de réunion, de circulation, assigner à résidence une personne « s’il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ».

Il y a 18 ans, l’état d’urgence avait été décrété dans 25 départements. Dans certaines communes, les préfets avaient pris des arrêtés interdisant aux mineurs non accompagnés de sortir la nuit et ils avaient instauré des couvre-feux.

Auparavant, le recours à l’état d’urgence avait eu lieu en 1984 en Nouvelle-Calédonie, en 1961 et 1958 et 1955 suites à des évènements (putsch, coup d’Etat, attentats) liés à la guerre d’Algérie.

« Un vieux réflexe pavlovien qui consiste à faire de la surenchère »

Le sénateur socialiste, Jérôme Durain, spécialiste des questions de sécurité, voit « un coup politique » dans la demande de la droite. « Un vieux réflexe pavlovien qui consiste à faire de la surenchère comme l’a fait Valérie Pécresse (la présidente de la région Ile de France) qui a demandé l’arrêt des transports en commun dans les quartiers touchés par les violences. Il y a un dispositif policier majeur annoncé pour ce soir, je ne vois pas ce que l’état d’urgence apporterait ».

La mairie de Clamart a déjà pris un arrêté instaurant un couvre-feu entre 21H et 6H du matin jusqu’au 3 juillet. « Oui, mais la force publique est dans les mains de l’Etat, c’est lui qui peut interdire les rassemblements. En ce sens l’état d’urgence est un outil qui peut être utile », appuie Bruno Retailleau.

Rappelons pour conclure, que ces dernières années, les Français ont vécu sous le régime d’exception permis par la loi de 1955. En 2015, le soir des attentats du 13 novembre, le président Hollande avait décrété l’Etat d’urgence. Il sera prolongé 6 fois jusqu’au 1er novembre 2017. Toutefois, la loi du 20 novembre 2015 apporte des modifications à la loi de 1955, comme la suppression du contrôle de la presse et de la radio. Le ministre de l’Intérieur peut prendre aussi « toute mesure » pour bloquer un site Internet faisant l’apologie ou incitant à des actes terroristes.

Certaines mesures d’exception ont été depuis intégrées dans la loi renforçant la sécurité intérieure et l’action contre le terrorisme de 2017, comme « la mise en place d’un périmètre de protection (fouilles aux abords de grands évènements), la fermeture administrative des lieux de culte, les visites domiciliaires et les saisies (perquisitions administratives), ou encore des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) qui s’apparentent à une assignation à résidence ».

 

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