Violences faites aux femmes : faut-il un fichier administratif des auteurs comme le propose Emmanuel Macron ?

Violences faites aux femmes : faut-il un fichier administratif des auteurs comme le propose Emmanuel Macron ?

Emmanuel Macron a proposé la création d’un fichier administratif pour les personnes ayant fait l’objet de plaintes pour violences sexuelles ou conjugales ayant été classé sans suite. Du côté du Sénat, l’opportunité d’un tel fichier ne saute pas aux yeux.
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« Ce sera fait. Ça fait partie de mes engagements ». Sur Franceinfo, Emmanuel Macron s’est montré favorable » à idée émise par Jeanne Pujos Saint-Genez, membre de « Double peine », un collectif qui dénonce les dysfonctionnements dans la prise en charge des plaintes des femmes victimes de violences.

A l’image de ce qu’on appelle communément « les fichés S », le chef de l’Etat a proposé la mise en place d’un nouveau fichier administratif pour les auteurs des violences faites aux femmes (sexuelles ou intrafamiliales). Y seront inscrits « des gens dont on sait qu’ils sont susceptibles d’être violents parce qu’il y a déjà eu des alertes. Très concrètement, si vous avez déjà eu des mains courantes ou des plaintes qui n’ont pas été au bout […] (l’idée) c’est de pouvoir ficher toutes ces personnes pour que quand quelqu’un vient (pour porter plainte contre l’une d’elles), on puisse savoir que c’est une personne qui a déjà des antécédents », a-t-il détaillé.

Début mars, sur LCI, Emmanuel Macron avait déjà évoqué un projet de création d’un fichier « des auteurs de violences conjugales ». Mais n’avait pas précisé s’il s’agissait d’un fichier administratif ou judiciaire, c’est-à-dire regroupant des personnes ayant fait l’objet d’une condamnation définitive, à l’image du fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes : le FIJAISV.

« Ça ressemble un peu à concours Lépine d’entre deux tours balancé entre deux micros »

« Que l’on complète le FIJAISV par les auteurs de violences conjugales aurait du sens. Mais faire un fichier composé de personnes qui ne sont pas condamnées je n’aime pas beaucoup ça. A quoi cela va servir de collecter ces données, quand on sait que bien souvent, les victimes de féminicides sont venues de nombreuses fois au commissariat et à la gendarmerie pour porter plainte. Je suis favorable à plus de moyens dans la protection des femmes, plus d’écoute. Mais cette annonce d’Emmanuel Macron, ça ressemble un peu à concours Lépine d’entre deux tours balancé entre deux micros, déplore la sénatrice centriste Nathalie Goulet.

Invitée à réagir à la proposition de son adversaire, Marine Le Pen l’a jugée « très dangereuse ». « Si une simple main courante peut permettre d’inscrire quelqu’un sur un fichier administratif pour des faits qui ne sont pas liés à un risque terroriste, c’est une très grave remise en cause de notre État de droit », a-t-elle déclaré, lors d’un déplacement dans le Vaucluse.

La création d’un fichier administratif n’est effectivement pas si simple que ça. Le terme fiché S est une facilité de langage. Il s’agit en fait du fichier des personnes recherchées (FPR) qui regroupe plusieurs catégories : « S » (sûreté de l’Etat), « V » (évadés), « T » (débiteurs envers le Trésor), FSPRT, le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation islamiste…

Un rapport du Sénat, révélait qu’en 2018, 580 000 personnes étaient inscrites au fichier des personnes recherchées (FPR), à l’intérieur duquel 29 973 personnes faisaient l’objet d’une fiche S.

« Encore faut-il que les plaintes soient prises »

En 2019, « la proposition de loi dites anticasseurs » portée par la droite sénatoriale préconisait la création d’un fichier national des personnes interdites de manifestations. Un compromis avait émergé de la navette parlementaire, : pas de fichier dédié, mais leur inscription au fichier des personnes recherchées (FPR).

« Un fichier pour les auteurs de violences, c’est une bonne intention mais encore faut-il que les plaintes soient prises. Ce dont on a vraiment besoin, ce sont des moyens et des agents formés à la prise en charge des victimes », relève Marie Mercier, sénatrice LR, rapporteure, en 2020, de la proposition de loi visant à lutter contre les violences conjugales.

La présidente centriste de la délégation aux Droit des femmes, Annick Billon partage l’avis de sa collègue. « Tout ce qui peut protéger et améliorer la protection des femmes est une bonne chose. Mais nous avons voté six lois durant ce quinquennat sans pour autant enrayer le nombre de féminicides. J’aurais préféré que la loi portée par Marlène Schiappa soit plus complète, une loi-cadre assortie d’un budget. La sénatrice rappelle les conclusions d’un rapport de la Haute assemblée sur les femmes dans la ruralité qui avait relevé en octobre dernier que 47 % des féminicides en France ont lieu en milieu rural alors que 31 % de la population y habitent. Il y était fait état des difficultés des victimes à aller porter plainte, dans des territoires loin des services publics, où bien souvent une voiture est indispensable pour se déplacer.

« Ce fichier entraînerait à une forme de traçabilité des hommes violents »

Me Tomasini, avocate au barreau de Paris, spécialiste des violences faites aux femmes, salue quant à elle, l’idée d’un fichier administratif pour les auteurs de violences. « Les plaintes et les mains courantes sont accessibles dans les commissariats et les gendarmeries, mais il y a un manque de coordination. Les plaintes ne sont pas centralisées. Ce fichier entraînerait à une forme de traçabilité car les victimes d’un même auteur peuvent porter plainte à différents endroits. On a toujours du mal à assimiler qu’un homme violent dans son foyer est un dangereux criminel. Tout en respectant la présomption d’innocence, ce fichier serait une forme de marqueur sur le potentiel de dangerosité d’une personne », estime-t-elle.

 

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