Violences intrafamiliales : l’exécutif va privilégier « des équipes dédiées » au sein des tribunaux plutôt qu’une « juridiction spécialisée »
Demande de longue date des associations et des élus de gauche, la mise en place d’une juridiction spécialisée dans les violences intrafamiliales, selon le modèle espagnol, ne devrait pas voir le jour. L’exécutif a dépêché une mission d’information parlementaire sur ce sujet. De retour d’un déplacement en Espagne, sa co-rapporteure, la sénatrice centriste, Dominique Vérien, préconise à la place « des équipes dédiées » au sein des juridictions.

Violences intrafamiliales : l’exécutif va privilégier « des équipes dédiées » au sein des tribunaux plutôt qu’une « juridiction spécialisée »

Demande de longue date des associations et des élus de gauche, la mise en place d’une juridiction spécialisée dans les violences intrafamiliales, selon le modèle espagnol, ne devrait pas voir le jour. L’exécutif a dépêché une mission d’information parlementaire sur ce sujet. De retour d’un déplacement en Espagne, sa co-rapporteure, la sénatrice centriste, Dominique Vérien, préconise à la place « des équipes dédiées » au sein des juridictions.
Simon Barbarit

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« On ne sait pas encore comment ça va s’appeler. Équipe dédiée aux violences intrafamiliales ? Pôle spécialisé dans les violences intrafamiliales ? Il faut encore qu’on trouve le nom », reconnaît la sénatrice centriste, Dominique Vérien qui pilote depuis quelques mois, avec la députée (Renaissance) Émilie Chandler, une mission d’information sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales.

La mission avait notamment la lourde tâche de trancher sur l’opportunité de créer en France, une juridiction spécialisée sur les violences intrafamiliales. Si pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait pris l’engagement « de mettre en place un pôle juridictionnel spécialisé », le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti s’est lui montré, à plusieurs reprises plus que réservé sur cette question.

« On s’est retrouvé coincés avec la proposition de loi d’Aurélien Pradié »

Lors de l’examen de la loi Lopmi, puis lors du vote du budget de la justice, le garde des Sceaux s’est opposé par deux fois à un amendement en ce sens de la sénatrice socialiste, Marie-Pierre de la Gontrie, indiquant qu’il préférait attendre les conclusions du rapport parlementaire. Le 1er décembre, Éric Dupond-Moretti allait même jusqu’à qualifier de « danger » et « d’hérésie » la proposition de loi du député LR, Aurélien Pradié créant une juridiction spécialisée dans les violences intrafamiliales (lire notre article).

« On s’est retrouvé coincés avec la proposition de loi d’Aurélien Pradié qui parle de juridiction alors, qu’en fait, il ne s’agit que d’un juge aux violences intrafamiliales qui se retrouverait à gérer tout un contentieux de masse », regrette Dominique Vérien.

La mission parlementaire est de retour d’un déplacement à Madrid et la sénatrice centriste estime que le modèle espagnol, la référence dans la lutte contre les violences faites aux femmes, serait difficilement transposable en France. « A Madrid, vous avez un tribunal qui, à tous les étages, traite de violences intrafamiliales, avec des procureurs, magistrats, policiers, psychologues, médecins légistes… Et comme ils n’ont pas les moyens de multiplier ce modèle, dans les autres juridictions vous avez un procureur et un juge dédiés, mais ils ne traitent pas que d’affaires de violences intrafamiliales. Il faut aussi rappeler que la justice espagnole prend en charge les intervenants sociaux, les psychologues, ce qui n’est pas le cas en France ».

« Coordination entre civil et pénal »

La mission d’information propose en lieu et place d’une juridiction spécialisée de s’inspirer des bonnes pratiques françaises « afin de définir une trame unique dans le traitement des violences intrafamiliales. « Il n’y aura pas de bâtiment dédié, mais au sein de chaque juridiction, une équipe rassemblant un procureur, un juge pénal, un juge aux affaires familiales, éventuellement un juge pour enfant. La nécessité de cette coordination entre civil et pénal, entre le procureur et le juge aux affaires familiales, est apparue lors de notre déplacement en Espagne », souligne Dominique Vérien.

La mission d’information va remettre ses premières conclusions à Élisabeth Borne le 2 mars en vue d’une série d’annonces prévues par la Première ministre le 8 mars, date de la journée internationale des droits des femmes.

« Pour que les femmes n’errent plus dans le labyrinthe de la justice »

Mais du côté de la gauche du Sénat, on veut toujours croire en un arbitrage de Matignon en faveur d’une juridiction spécialisée. « Ce que je sais, c’est que le ministre de la Justice y est peu favorable et que la ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes est pour », rappelle la sénatrice socialiste, Laurence Rossignol.

En effet, la semaine dernière, lors de l’adoption au Sénat d’une proposition créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, Laurence Rossignol avait interpellé Isabelle Rome sur l’urgence de la création « d’une juridiction spécialisée en matière de violences intrafamiliales, conjugales et sexuelles ».

« Cette notion de justice spécialisée est fondamentale. Je maintiendrais toujours que ces violences ne sont pas des infractions comme les autres et qu’elles nécessitent un traitement et une prise en charge spécifique », avait répondu la ministre.

On notera ici qu’Isabelle Rome parle de « justice spécialisée » mais non de « juridiction spécialisée ». On peut alors imaginer que ses propos pourraient s’accorder avec les préconisations de la mission d’information. « Ce que j’attends, c’est une coordination fonctionnelle et institutionnalisée entre le juge aux affaires familiales, le juge pour enfant et le parquet dans les affaires de violences sur les mères et les enfants. Pour que les femmes n’errent plus dans le labyrinthe de la justice », demande Laurence Rossignol qui précise qu’elle n’a pas pris connaissance du rapport de sa collègue Dominique Vérien.

La sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie aimerait graver dans le marbre de la loi la création d’une juridiction spécialisée. « Il existe des équipes spécialisées dans certaines juridictions comme à Bobigny par exemple, mais elles dépendent de l’implication des magistrats et sont amenées à disparaître lors de mutations ».

« Sur les 300 postes de magistrats créés chaque année jusqu’en 2027, il en faudrait au moins 100 dédiés aux violences intrafamiliales »

La sénatrice de Paris hésite pourtant à déposer un nouvel amendement visant à créer une juridiction spécialisée lors de l’examen du projet de loi de programmation et d’orientation de la Justice qui devrait arriver au Sénat au début de l’été. « Si l’on crée une juridiction, il faut définir ses compétences et dans quelle condition elle est saisie, et donc ça passe par loi. Si on parle de pôles dédiés dans les juridictions, c’est de l’ordre réglementaire et on n’a plus la main », explique-t-elle. La sénatrice craint également qu’on lui oppose l’article 40 de la Constitution qui limite le pouvoir d’initiative des parlementaires en matière financière, « même si Éric Dupond-Moretti a dit lors d’une audition qu’une juridiction spécialisée avait un impact financier limité », ajoute-t-elle.

Pour mémoire, le projet de loi de programmation et d’orientation de la Justice prévoit de faire passer son budget de 9,6 à 11 milliards d’ici la fin du quinquennat. « Ce que nous préconisons va nécessiter des moyens, en tout cas des moyens humains », tempère Dominique Vérien. « Sur les 300 postes de magistrats créés chaque année jusqu’en 2027, il en faudrait au moins 100 dédiés aux violences intrafamiliales. Mais ce sont des vases communicants. A Orléans, 25 % des affaires sont des violences intrafamiliales. La création d’un pôle délié déchargerait les autres magistrats ».

 

 

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