Violences lors de la manifestation des antivax : « Une radicalité politique typique de la droite extrême », pointe Pascal Perrineau

Violences lors de la manifestation des antivax : « Une radicalité politique typique de la droite extrême », pointe Pascal Perrineau

Interrogé par Public Sénat, le politologue Pascal Perrineau fait le lien entre la baisse de la mobilisation des antivax et la radicalisation du mouvement. Ce week-end à Paris, des journalistes ont été violemment pris à partie durant la manifestation, tandis qu’un cliché laissant croire que des participants ont fait un salut nazi a été signalé par le ministre de l’Intérieur.
Romain David

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Un samedi de protestation et une double polémique. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a demandé à la préfecture de police de Paris d’effectuer un signalement à la justice après la diffusion sur les réseaux sociaux d’une photographie d’un groupe de militants d’extrême droite effectuant ce qui semble être un salut nazi. Le cliché aurait été pris à Paris samedi, durant la manifestation contre le passe vaccinal à l’appel des « Patriotes », le parti lancé par Florian Philippot. Sur Twitter, l’ancien bras droit de Marine Le Pen a dénoncé une manipulation, évoquant, vidéo à l’appui, « un clapping », c’est-à-dire des applaudissements les bras levés au ciel, tels qu’on peut les voir pratiqués par certains supporters pendant une rencontre sportive, pour encourager leur équipe ou, au contraire, intimider le camp adverse. « S’il y avait eu 200 saluts nazis, je l’aurais su », a-t-il encore défendu sur BFMTV.

À chaque fois néanmoins, vidéo ou photo, les militants impliqués apparaissent derrière une banderole où s’étale en lettres rouges et noires une citation généralement attribuée à l’écrivain antisémite Charles Maurras : « Les libertés ne s’octroient pas, elles se prennent ». Toujours en marge de cette manifestation, une équipe de l’AFP - deux journalistes et deux agents de protection - a été violemment prise à partie par une cinquantaine de personnes. L’agence a indiqué porter plainte pour « violences volontaires en réunion », « menaces de mort » et « entrave à la liberté d’expression ».

Interrogé par Public Sénat, le politologue Pascal Perrineau, professeur des universités à Sciences Po, ancien directeur du CEVIPOF et spécialiste en sociologie électorale et de l’extrême droite, nous livre son analyse de la séquence de ce week-end.

Les violences qui ont émaillé le rassemblement de dimanche, réunissant des opposants au passe vaccinal et des antivax, sont-elles à considérer comme de détestables épiphénomènes, c’est-à-dire le fait d’individus plus ou moins isolés tels qu’on peut en voir en marge de certaines manifestations, ou au contraire, sont-elles révélatrices d’une certaine évolution du mouvement ?

« Le mouvement devient de plus en plus minoritaire, marginal dans les enquêtes d’opinion. Les Français qui pouvaient le soutenir au début s’en éloignent de plus en plus, effrayés par le côté jusqu’au-boutiste des antivax. Il ne reste donc plus que le noyau dur, de plus en plus radicalisé. Ils savent pertinemment que 800 personnes qui défilent à Paris, tout le monde s’en moque. En revanche, s’il y a de la casse, on en parlera au 20 Heures !

Par ailleurs, autour des Patriotes de Florian Philippot gravitent des gens de la droite ultra qui ne croient qu’au recours à la violence. On verra bien s’ils avaient le bras levé ou s’ils applaudissaient, mais il est certain que ce genre de polémique participe d’une radicalité politique typique de la droite extrême.

Faut-il voir un lien entre la radicalisation du mouvement et la montée des violences à l’égard des élus ? À Saint-Pierre-et-Miquelon, lundi 10 janvier, un député LREM s’est vu jeter des algues au visage devant son domicile par des opposants à la vaccination.

Le lien direct entre ces deux phénomènes est difficile à démontrer, mais ils sont à replacer dans un contexte général de crise des moyens d’expression de la démocratie, dont le mouvement des Gilets Jaunes a été l’une des manifestations. Désormais, toute la société française connaît un phénomène de brutalisation. Avec cette idée qu’au-delà des urnes, on peut aussi s’exprimer, se faire entendre en agressant les forces de l’ordre, en insultant les politiques, en cassant des permanences de parlementaires.

Justement, on se souvient des dégradations en marge des samedis de manifestation des Gilets Jaunes, des journalistes malmenés… Est-on encore dans la même mouvance avec les antivax, c’est-à-dire un ras-le-bol général qui s’agrippe à l’actualité, à l’évènementiel ? D’un côté la hausse des taxes sur le carburant, de l’autre l’instauration d’une obligation vaccinale qui ne dirait pas son nom.

Je pense qu’il s’agit de deux choses différentes. Certes, il y a un contexte général de mauvaise humeur des Français, de colère. Mais en ce qui concerne la vaccination, il y a toujours eu un important mouvement d’opposition en France, plus large que dans les autres pays européens, et très actif, notamment sur les réseaux.

Je pense également que la stratégie adoptée par le pouvoir pour gérer ce phénomène n’a fait que jeter de l’huile sur le feu. Quand Emmanuel Macron parle d’une fraction de Français comme des emmerdeurs, cela n’est pas de nature à calmer les inquiétudes et les tensions.

Vous avez été en 2019 l’un des cinq garants du « Grand Débat » national mis en place pour trouver une issue à la crise des Gilets Jaunes. Deux ans plus tard, devant les dérapages de ce week-end ou encore les agressions d’élus, on a un peu l’impression de revenir au point de départ. Comment l’expliquer ?

Les deux dernières grandes tentatives de démocratie participative ont été instrumentalisées par le gouvernement. Les espoirs soulevés par le Grand Débat et la Convention citoyenne pour le Climat ont été déçus. On n’a pas réussi à calmer de manière durable la volonté d’action directe d’une certaine frange de la population. Il est inévitable que tout cela resurgisse deux ans plus tard, à la faveur d’une crise, en l’occurrence celle du covid-19.

Florian Philippot est devenu l’un des principaux visages politiques du mouvement anti-passe et antivax. Candidat à l’élection présidentielle, il subit dans les sondages la concurrence de personnalités comme Nicolas Dupont-Aignan ou François Asselineau, peut-il espérer capitaliser en surfant sur la protestation ?

Pour lui, c’est une manière d’exister médiatiquement, c’est certain. Mais cela a surtout pour conséquence de le marginaliser de plus en plus. On le voit bien dans les sondages où il ne dépasse guère la barre des 1 %. Pour Florian Philippot, la situation est d’autant plus paradoxale qu’il a été le principal artisan de la dédiabolisation du Front national (devenu le RN en 2018, ndlr), et le visage de la culture de gouvernement de l’extrême droite.

Avec la présidentielle qui arrive, faut-il s’attendre à voir ce type de violences se multiplier ? On se souvient de l’invasion de l’Arc de Triomphe par des Gilets Jaunes en 2018. Peut-on imaginer en France un événement comparable à l’assaut du Capitole à Washington en janvier 2021, par les partisans de Donald Trump contestant la victoire de Joe Biden ?

Il ne faut pas fantasmer. La France n’est pas les Etats-Unis. La mouvance Trump, et par extension la mouvance complotiste, a noyauté le parti républicain. Il ne s’est rien passé de comparable dans le champ politique français. Certainement, il y a une fachosphère très active sur le Net qui peut rêver d’une telle chose, mais cela nécessite des moyens d’action qu’ils n’ont pas. Je rappelle qu’aux Etats-Unis une partie de la population est armée, ils ont aussi cette culture des milices locales que nous n’avons pas.

La question de la montée des violences au sein du débat d’opinions, ou pour reprendre votre expression cette « crise des moyens d’expression de la démocratie », est-elle suffisamment prise en compte, selon vous, par les candidats à la présidentielle ?

Ici et là, plusieurs nous disent qu’ils seraient bien de réactiver la démocratie consultative ou participative, avec des propositions autour du référendum chez Valérie Pécresse, du RIC tel qu’il était porté par les Gilets Jaunes (référendum d’initiative citoyenne, ndlr) du côté d’Anne Hidalgo, et une VIe République pour Jean-Luc Mélenchon. Mais tout cela relève de la question constitutionnelle, et l’on voit bien que les institutions ne font pas vraiment partie des sujets prioritaires de cette présidentielle pour les Français. C’est certainement la raison pour laquelle le sujet n’est pas davantage traité par les postulants à l’investiture suprême. »

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