Dans une tribune publiée le 28 mars dans le quotidien Libération, la délégation aux droits des femmes du Sénat appelait à la « responsabilité collective » dans la lutte contre les violences intrafamiliales dont le confinement a exposé les victimes à des dangers encore plus graves. « Citoyens, voisins, amis, parents, collègues, tous concernés, tous acteurs, tous mobilisés, tous vigilants » concluaient les élus.
« On n’a pas le recul suffisant pour établir l’ampleur de ce qui s’est passé pendant ce confinement »
Le problème, c’est quand matière de violences sexuelles intrafamiliales, « la spécificité c’est la loi du silence qui pèse sur les victimes que ce soient les enfants ou les femmes victimes de viols conjugaux. Ce sont des victimes qui révèlent très rarement les faits immédiatement après qu’ils soient commis » souligne maître Carine Durrieu-Diebolt, avocate spécialisée dans la défense des femmes victimes de violences sexuelles, auditionnée en visioconférence par la délégation aux droits des femmes du Sénat, ce jeudi.
« Je n’ai pas encore eu de victimes de faits commis pendant le confinement qui m’aient contacté en urgence » (…) On n’a pas le recul suffisant pour établir l’ampleur de ce qui s’est passé pendant ce confinement (…) Je n’ai pas eu non plus d’alertes par des voisins. Ce sont des violences sexuelles qui sont commises sans bruit, sans coup porté. Ce ne sont pas des violences pour lesquelles on va avoir des voisins qui vont être alertés et qui vont pouvoir appeler la police » ajoute-elle.
On comprend alors que l’augmentation de 48% des interventions à domicile des forces de l’ordre pendant le confinement, annoncée par Christophe Castaner le 16 avril dernier devant le Sénat, ne prend pas en compte les violences intrafamiliales.
Le 114 : « Un moyen extrêmement efficace »
Même s’il est encore trop tôt pour évaluer l’impact du confinement sur les violences sexuelles intrafamiliales, Carine Durrieu-Diebolt considère que le numéro 114, à l’origine dédié aux personnes malentendantes, mais qui a permis également, pendant le confinement, à une victime de donner l’alerte par SMS, « est un moyen extrêmement efficace pour alerter les autorités ». « Il pourrait être pérennisé par la suite » préconise-t-elle. Devant le Sénat, le ministre de l’Intérieur avait d’ailleurs évoqué cette possibilité.
Toujours en ce qui concerne les moyens d’alerte, Carine Durrieu-Diebolt se félicite de la mise en place en 2018 de la plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes. « D’après mes clientes, c’est très efficace parce que c’est très rapide. Elles ont vraiment le sentiment d’avoir une écoute formée et spécialisée dans ce domaine-là qui ne minimise absolument pas les faits qu’elles évoquent (…) Des mineurs peuvent également contacter les policiers, des témoins, des voisins ou des proches peuvent également contacter les policiers pour avoir des renseignements ou signaler des faits » rapporte-elle. Néanmoins, cette « plateforme est très peu connue du public (…) lorsque j’informe mes clientes de ces possibilités, elles ne les connaissent jamais » regrette-elle.
La suspension des droits du père :« Un principe de précaution »
Devant les sénateurs et sénatrices de la délégation, l’avocate a évoqué les mesures en faveur des victimes de violences sexuelles qu’elle souhaiterait voir mise en œuvre. « Il est absolument nécessaire de persévérer dans la formation des policiers car c’est la première écoute juridique des victimes. De la même manière, il faut plus de moyens humain. C’est déterminant ».
Le risque de déperdition des preuves est plus fort en matière de violences sexuelles intrafamiliales, car les victimes peuvent mettre du temps à porter plainte, c’est la raison pour laquelle Carine Durrieu-Diebolt regrette que l’accès aux unités médico-judiciaires soit subordonné au dépôt de plainte et à une réquisition du parquet. « Si la victime ne dépose pas plainte immédiatement, elle ne va pas pouvoir conserver les preuves. Il me semble indispensable de permettre rapidement aux victimes de venir dans des unités médico- judiciaires pour faire des constatations matérielles sans plainte. Il faut aller au rythme de la victime. Il lui faut du temps pour déposer plainte » rappelle-t-elle.
Sans pour autant bafouer le principe du secret d’enquête, Carine Durrieu-Diebolt demande que la victime soit informée des suites de sa plainte pendant la durée de l’enquête préliminaire. Elle demande également à ce que soient mieux protégés les enfants pendant la période d’enquête en faisant prévaloir « un principe de précaution » qui conduirait à suspendre les droits du père.
Enfin, Carine Durrieu-Diebolt demande à ce que les victimes bénéficient de l’aide juridictionnelle dès le stade de l’enquête y compris pendant la confrontation avec l’agresseur.