Corse Gerald Darmanin au camping Le Sagone

Visite de Darmanin en Corse : quel sens donner au mot « autonomie » ?

En attendant le déplacement du chef de l’Etat à la fin du mois, Gérald Darmanin était en visite en Corse pour dialoguer avec les élus de l’avenir institutionnel de l’île. L’hypothèse d’une évolution du statut de la collectivité vers « l’autonomie » évoquée par l’exécutif il y a plus d’un an est toujours à l’ordre du jour, reste à s’entendre sur sa signification.
Simon Barbarit

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C’est en éclaireur que Gérald Darmanin a effectué mercredi et jeudi un déplacement en Corse. Le ministre a dialogué de l’avenir institutionnel de l’île avec des maires insulaires et le président autonomiste de l’exécutif, Gilles Simeoni. « Il n’a pas dit grand-chose puisque les annonces seront faites par Emmanuel Macron à la fin du mois », a constaté le sénateur LR de Corse, Jean-Jacques Panunzi, en référence au prochain déplacement d’Emmanuel Macron pour les commémorations des 80 ans de la libération de la Corse.

C’est en pleine campagne présidentielle en mars 2022 que la question Corse s’était invitée dans le débat public. L’agression mortelle d’Yvan Colonna avait conduit à des violences sur fond de revendications indépendantistes. Gérald Darmanin avait alors ouvert la porte « à l’autonomie ».

Après 18 mois de cycles de discussions, Gérald Darmanin est resté volontairement flou sur les pistes que pourrait retenir le gouvernement. « S’il y a évolution institutionnelle, ça n’est pas pour se faire plaisir, c’est parce que nous considérerions collectivement que sans ça, nous ne pouvons pas améliorer la vie des Corses », a-t-il d’abord souligné avant de rappeler les lignes rouges de l’exécutif déjà formulées depuis le début des discussions. il a insisté sur l’importance de conserver « la Corse dans la République » et rejeté la possibilité d’avoir « deux catégories de citoyens sur le territoire national ».

Cet été, l’Assemblée de Corse n’a pas réussi à s’accorder sur un projet unique d’autonomie. Les élus insulaires avaient transmis au gouvernement deux projets, l’un des nationalistes quasi-unis et l’autre de l’opposition de droite. Le texte des nationalistes, adopté par l’Assemblée de Corse où ils occupent 46 des 63 sièges, réclame la « reconnaissance juridique du peuple corse », « un statut de co-officialité de la langue corse » et la reconnaissance du « lien entre le peuple corse et sa terre » via « un statut de résident ». Il demande un pouvoir législatif dans tous les domaines pour l’Assemblée de Corse, sauf ceux relatifs aux pouvoirs régaliens.

Si Gérald Darmanin a surtout insisté, ces jours-ci sur « l’autonomie agricole » et « l’autonomie énergétique », « l’autonomie législative, politique de la Corse » restant « à discuter », Gilles Simeoni s’est montré confiant après son entretien. « Ce qui ressort clairement […] c’est que dans son esprit au moins, le principe d’un statut d’autonomie et d’une solution politique globale est acquis », s’est-il félicité. « Reste maintenant […] à donner un contenu concret à cette notion d’autonomie », a-t-il toutefois ajouté.

« Les nationalistes demandent un pouvoir normatif, mais c’est une façon cachée de se séparer de la France »

Pour Benjamin Morel, maître de conférences en Droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas, le terme « autonomie » est pour le moins ambigu lorsqu’il est question de la Corse. « L’autonomie, c’est un terme symbolique dont on ne sait pas très bien ce qu’il implique juridiquement. Ce sont des fétiches sur lesquels s’arc-boutent les nationalistes, mais ce qu’ils demandent n’est pas réalisable. Le statut de co-officialité de la langue corse conduirait à l’obligation pour tous les fonctionnaires de parler la langue. Quant au statut de résident, il entraînerait une discrimination entre les citoyens français, et ferait sortir la Corse de l’Union européenne ». Le constitutionnaliste rappelle, par ailleurs, qu’actuellement, seule la Nouvelle Calédonie, dispose d’un pouvoir législatif propre.

Le projet défendu par l’opposition minoritaire de droite de l’Assemblée de Corse appelle, de son côté, à un simple « pouvoir d’adaptation » des lois françaises aux spécificités corses, sans gestion autonome de l’éducation et de la santé et sans transfert de la fiscalité. « Chacun reste sur ses positions, mais je suis serein sur les conclusions des discussions », affirme Jean-Jacques Panuzi. Le sénateur LR « n’imagine pas un seul instant que la France veuille se séparer de la Corse ». « Les nationalistes demandent un pouvoir normatif, mais c’est une façon cachée de se séparer de la France. Si chaque collectivité fait ses propres lois, la France va devenir un État fédéral ».

Rappelons que depuis une loi de 1991, la Corse a des compétences renforcées en matière d’éducation, d’audiovisuel, d’action culturelle et d’environnement. L’Assemblée de Corse a aussi le pouvoir d’adopter le Plan d’aménagement et de développement durable corse sans intervention de l’Etat. La loi peut habiliter la collectivité territoriale de Corse à fixer des règles adaptées aux spécificités de l’île, sauf lorsqu’est en cause l’exercice d’une liberté ou d’un droit fondamental.

Quelles seraient implications d’une révision constitutionnelle ?

Promesse d’Emmanuel Macron en 2018, l’inscription de la Corse dans le texte fondamental figurait dans le projet de révision constitutionnelle finalement abandonnée. Un nouvel article 72-5 reconnaissait des « spécificités » à la Corse, tant insulaires et géographiques qu’économiques ou sociales, « des possibilités de différenciation plus étendues que celles permises dans le cadre constitutionnel en vigueur, y compris en matière fiscale », avait noté le Conseil d’Etat. Mais le texte avait déçu les nationalistes car il ne faisait « pas mention d’autonomie ».

« Pourquoi pas inscrire la Corse dans la Constitution, mais ça dépend à quelle place. Certainement pas à l’article 74 », prévient Jean-Jacques Panuzi. L’article 74 régit les collectivités d’outre-mer (COM), la Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna. Elles sont soumises à un régime de spécialité législative et d’autonomie. Par exemple, la Polynésie française est entièrement compétente en matière économique et sociale, d’enseignement scolaire, de santé, d’équipement et d’environnement. A noter que la Nouvelle Calédonie fait figure de collectivité à part dans la Constitution. Un titre entier lui est consacré.

« Ca ouvre une boîte de pandore aux revendications d’autres collectivités ultramarines »

« Mais Emmanuel Macron n’a pas les moyens actuellement d’accéder à ces revendications (nationalistes) », estime Benjamin Morel. « Quelle serait la méthode ? S’il choisit de passer par un projet de loi constitutionnel spécifique à la Corse avec un article lui conférant un pouvoir d’adaptation et de dérogation aux normes, ça ouvre une boîte de pandore aux revendications d’autres collectivités ultramarines. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’il aurait la majorité des trois cinquièmes du Parlement réuni en Congrès. Reste la possibilité d’inscrire la Corse dans un projet de loi constitutionnel plus large, qui engloberait l’inscription du droit à l’IVG, de la protection de l’environnement, et l’élargissement du référendum de l’article 11 à l’immigration. Dans ce cas obtenir une majorité serait encore plus improbable ».

A l’issue de leurs échanges avec le ministre, les maires de la majorité territoriale et de l’opposition, se sont eux montrés globalement optimistes sur l’aboutissement d’une révision de la Constitution issue d’un « compromis politique institutionnel ».

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