Vote de confiance : « François Bayrou, qui a construit sa carrière politique sur le dialogue, est rattrapé par ses propres contradictions »

Soucieux de faire passer un budget avec 44 milliards d’euros d’économies, François Bayrou tente un mouvement inédit sous la Ve République, en demandant un vote de confiance près de neuf mois après sa nomination et sans majorité. Ses faibles chances de succès laissent désormais planer le spectre d’une nouvelle dissolution.
Romain David

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« Je ne sais si c’est un acte de panache ou un suicide politique. » La réaction, à chaud, est de Patrick Kanner, le président du groupe socialiste au Sénat. L’élu a été « pris de court », comme l’ensemble de la classe politique, par l’annonce hier du Premier ministre François Bayrou, qui entend demander le 8 septembre un vote de confiance aux députés sur sa politique budgétaire. Vingt-quatre heures plus tard, la réponse se précise : en l’absence de majorité à l’Assemblée nationale, l’hostilité affichée des groupes de gauche et du Rassemblement national semble devoir sceller l’avenir politique du Palois. « Voyant se rapprocher le spectre d’une censure, le Premier ministre a pris les devants et décide de partir selon ses conditions », résume auprès de Public Sénat le politologue Olivier Rouquan, enseignant-chercheur en Sciences politiques et chercheur associé au Centre d’Études et de Recherches de Sciences Administratives et Politiques (CERSA).

La levée de boucliers déclenchée par le plan d’économie présenté avant la pause estivale – le gouvernement cherchant à dégager 43,8 milliards d’euros pour respecter sa trajectoire de désendettement – laissait présager une nouvelle censure à l’issue des discussions budgétaires de l’automne. Dans un ultime mouvement, François Bayrou a choisi de jouer son va-tout en appelant à la responsabilité des parlementaires sur un vote supposé acter l’urgence budgétaire. L’objectif : dégager « un accord » sur son diagnostic avant d’entrer dans le détail des mesures.

Un coup de poker institutionnel

Selon l’article 49-1 de la Constitution, « le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres » a la possibilité « d’engager devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale ». Pour rester en place, il doit glaner une majorité de suffrages exprimés.

Mais en quelques heures, la manœuvre s’est changée en un vote « pour » ou « contre » François Bayrou. « On ignore encore de quelle manière il formulera la question de confiance qu’il adressera aux députés à l’issue de son discours de politique générale, le 8 septembre. Il tentera certainement d’éviter un vote binaire sur sa personne, mais les partis d’opposition ne sont pas dans cette logique », pointe le politologue Bruno Cautrès, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).

« En termes de pratique institutionnelle, François Bayrou ose une utilisation inédite de l’article 49.1 de la Constitution. Malgré quelques usages baroques par le passé, cet instrument n’avait encore jamais été utilisé en l’absence de majorité à l’Assemblée. Cela a pour effet de valoriser le ‘je’ du Premier ministre et de renforcer la personnalisation de la fonction », analyse Olivier Rouquan. « Le rôle d’un Premier ministre qui dirige un gouvernement, c’est celui de la responsabilité politique. François Bayrou remet cette notion au centre du jeu ».

 Vous ne pouvez pas entamer un dialogue avec des opposants en commençant par dire : ‘j’ai raison’  

Bruno Cautrès, politologue, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)

Sur le plan politique, en revanche, le calcul s’avère particulièrement hasardeux, même s’il peut être justifié par l’impasse politique dans laquelle se trouve le chef du gouvernement. « Sans doute a-t-il pensé, au moment où il prenait cette décision, qu’il allait pouvoir négocier avec des partis qui se situent dans une forme de réalisme politique », avance Olivier Rouquan.

« Mais il a tellement dramatisé ses annonces budgétaires du 15 juillet qu’il a fermé d’emblée la porte à toute possibilité de négociation », estime Bruno Cautrès. « François Bayrou, qui a construit sa carrière politique sur le dialogue, est rattrapé par ses propres contradictions. Vous ne pouvez pas entamer un dialogue avec des opposants en commençant par dire : ‘j’ai raison’. La CFDT et le PS, ses deux objectifs, avaient déjà été échaudés par le conclave sur les retraites. »

De fait, la fenêtre de tir s’est refermée sitôt les premières déclarations d’Olivier Faure, le patron du PS, jugeant « inimaginable » que les socialistes, avec lesquels François Bayrou avait déjà négocié en début d’année, puissent voter la confiance au Premier ministre. « Sauf à ce qu’il divise par deux son projet de budget, je ne vois pas comment il pourrait ramener le PS ou le RN, non pas vers un vote ‘pour’, mais a minima vers une abstention », glisse Olivier Rouquan. « Tous les acteurs politiques ont 2027 en tête, pour les socialistes la situation devient vraiment compliquée car ils ont déjà aidé à l’adoption du budget 2025 », rappelle Bruno Cautrès.

Quel successeur potentiel ?

La chute probable du gouvernement risque aussi d’augmenter les incertitudes politiques issues de la dissolution. « Les possibilités pour Emmanuel Macron de nommer un chef de gouvernement entraînant des soutiens diminuent un peu plus à chaque fois. À moins de tenter une stratégie nouvelle », explique Olivier Rouquan. En clair : se tourner vers la gauche, arrivée sur le fil en tête des législatives anticipée l’année dernière. « Le choix commence à être vraiment restreint », abonde Bruno Cautrès. « Plus le temps passe, plus la complexité de la situation grandit, et moins la nomination d’une nouvelle personne apparaît susceptible de changer la donne. Si un nouveau Premier ministre est nommé, ce sera le septième en huit ans et demi, soit une durée moyenne de 13-14 mois. On s’éloigne beaucoup du fonctionnement traditionnel de la Ve République »

À ce stade, il est difficile de voir quel parti pourrait tirer son épingle du jeu et profiter du départ de François Bayrou. Bruno Cautrès observe, malgré les péripéties politiques des derniers mois, que « ce sont toujours les mêmes personnalités politiques qui ont les faveurs des Français dans les enquêtes d’opinions : Marine Le Pen, Jordan Bardella, Edouard Philippe et Bruno Retailleau ».

Vers une dissolution et des élections anticipées

Autre option pour le chef de l’Etat : enclencher une nouvelle dissolution. « Cette hypothèse va finir par revenir dans le débat », assure Bruno Cautrès. « Mais cette dissolution apparaîtrait comme imposée par les circonstances. Elle montrerait l’usure de l’exécutif et viendrait encore alimenter un peu plus le désordre institutionnel », nuance Olivier Rouquan. « Quant à l’hypothèse d’une démission, elle n’est pas, pour le moment, la plus probable », balaye le politologue.

Sur France Inter, ce mardi 26 juillet, Jean-Luc Mélenchon, le fondateur de La France insoumise, a annoncé le dépôt d’une procédure de destitution du chef de l’Etat le 23 septembre, « puisqu’il est la cause » de la crise politique et économique, suivant le vœu des insoumis de provoquer une présidentielle anticipée. LFI avait déjà tenté de lancer une telle procédure en octobre 2024, finalement rejetée par la Commission des lois de l’Assemblée nationale. « Plus les conséquences économiques du désordre politique vont se rapprocher, plus l’opinion, notamment les classes moyennes et moyennes supérieures, seront tentées de se retourner contre ceux qui ont joué le jeu de la déstabilisation », avertit Olivier Rouquan.

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