François Bayrou peut-il encore convaincre une partie de l’opposition et ainsi, rester à Matignon ? Trois jours après avoir sollicité, à la surprise générale – au point que certains y voient une stratégie en vue de 2027 – un vote de confiance le 8 septembre prochain, le premier ministre tente de sauver son gouvernement. Dès son annonce, les oppositions ont toutes annoncé qu’elles ne voteraient pas la confiance, semblant scellé l’avenir du Béarnais.
Invité du 20 heures de TF1 mercredi soir, François Bayrou espère encore visiblement trouver un terrain d’entente, alors que les grandes lignes du budget qu’il a présenté le 15 juillet dernier, marqué par 44 milliards d’euros d’effort, sont rejetées par la gauche et le RN. Il invite malgré tous les partis à venir discuter à Matignon, la semaine prochaine. « A partir de lundi, […] je vais recevoir les responsables de partis politiques et de groupes parlementaires », a déclaré le premier ministre, se disant prêt à « ouvrir toutes les négociations nécessaires », mais à la « condition préalable » d’un accord sur « l’importance de l’effort » sur le budget 2026. Autrement dit, les choses peuvent bouger, à condition de garder le même niveau d’économies.
Jordan Bardella confirme le choix du RN « de voter contre la confiance »
La main tendue du premier ministre n’a visiblement pas véritablement changé la donne. Le RN est d’accord sur le principe pour le rencontrer, mais ne semble pas prêt à changer d’avis. « Contrairement à ce que vous avez affirmé devant des millions de Français au 20 heures de TF1, le Rassemblement national n’était pas « en vacances ». Tout le monde peut vérifier que je vous ai bien écrit une lettre précise et détaillée sur vos propositions budgétaires, lettre restée sans réponse », a réagi sur X Marine Le Pen.
« Le RN répond toujours positivement à une invitation à dialoguer, même vaine et extrêmement tardive. Nous nous rendrons donc à Matignon avec Marine Le Pen la semaine prochaine, sans aucune illusion », a assuré le président du RN, Jordan Bardella, mais il prévient : « L’inflexibilité affichée ce soir par le premier ministre sur nos lignes rouges nous conforte dans notre choix de voter contre la confiance au gouvernement le 8 septembre ». « Après avoir dit pendant des années, « ah non, la peste brune, le RN est infréquentable », on est à genoux devant le RN, « vous pouvez venir s’il vous plaît à une petite réunion ». Tout ça n’est pas très cohérent, il est au bout du rouleau », raille le député Sébastien Chenu, vice-président du RN, invité de TF1.
« Le PS était prêt à négocier, avant l’histoire de la confiance »
Si pour le locataire de Matignon, dont le bail pourrait s’arrêter rapidement, rien ne semble à espérer du côté de l’extrême droite, quid de la gauche ? Sans surprise, il ne doit rien attendre de LFI, qui n’ira pas au rendez-vous, son coordinateur, Manuel Bompard, « n’ayant nullement l’intention de participer à l’opération de sauvetage » de François Bayrou.
Ses quelques espérances sont plutôt à chercher du côté du Parti socialiste. Encore faudrait-il être invité. « Il n’y a pas d’invitation formelle qui a été lancée, à ma connaissance », souligne en fin de matinée Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat. L’ancien ministre de François Hollande ne comprend pas la stratégie du premier ministre. « Ce tour de table politique aurait pu être imaginé avant, y compris au mois d’août. Chacun sait que nous étions prêts à venir », soutient le sénateur PS du Nord. « Totalement incrédule et sidéré » par le premier ministre, il s’étonne que François Bayrou ne se soit pas montré plus actif avant d’annoncer le vote de confiance. « Quand vous voulez obtenir l’abstention, vous prenez les dispositions pour y parvenir », dit-il.
Surtout que le PS est le plus ouvert pour parler. Il l’a déjà fait lors du dernier budget, avec un accord de non-censure à la clef. « Nous, on était prêts à aller à la négociation, mais dans le timing qu’on avait imaginé. On commence l’été, on avance à nos universités d’été à Blois », avant d’« engager les négociations avant la présentation du budget en Conseil des ministres », assure Patrick Kanner, « mais là, il met tout parterre, sans même prévenir ses ministres ». Il précise : « On était prêt à négocier, avant l’histoire de la confiance, mais le frein sur la pédale, car la lettre du 16 janvier (suite à l’accord, ndlr) est loin d’avoir été respectée. Et surtout, la clef de voûte de la négociation, c’était la réforme de la réforme des retraites. Or pour l’instant, il n’y a pas le début de quoi que ce soit en la matière ».
« On n’est pas là pour repêcher celui qui est en train de couler », prévient Patrick Kanner
Avec la nouvelle donne, les socialistes sont-ils aujourd’hui prêts à venir discuter à Matignon ? « On va en discuter avec Boris Vallaud (président du groupe PS de l’Assemblée, ndlr) et Olivier Faure (premier secrétaire du PS) pour savoir si c’est utile. On n’est pas là pour repêcher celui qui est en train de couler », prévient Patrick Kanner. Il rappelle cependant que « sur le principe, on n’a jamais refusé de rencontrer le premier ministre. Mais le timing, c’est du grand n’importe quoi ».
Face à cette rentrée précipitée, le PS a changé à la dernière minute son programme de son université d’été. De quoi donner un peu de grain à moudre à François Bayrou. « Samedi, on présente nos priorités socialistes. Ce sera une maquette de nos grandes priorités pour la France », explique Patrick Kanner. S’il faut attendre samedi, le patron des sénateurs PS rappelle qu’« il y a des grands principes. Quand en 2012, François Hollande dit que le capital doit être taxé au même niveau que le travail, voilà une chose simple. Ou sur la flat taxe de 30 %, on nous a refusé son passage à 32/33 % ».
« Son sort est déjà acté » soutient Marine Tondelier
Si la porte du PS semble à peine entre-ouverte – et encore – celle des écologistes est carrément fermée. « C’est fou comme François Bayrou a la capacité de tout faire à l’envers. Je suis plutôt ouvert à la discussion, quand on m’invite. Après, on décidera collectivement avec Marine Tondelier et Cyrielle Chatelain (présidente du groupe écologiste de l’Assemblée, ndlr). Mais c’est vrai que je me pose des questions. Qu’est-ce qu’on va aller faire et qu’est-ce qu’on va aller négocier ? » s’interroge en fin de matinée le président du groupe écologiste du Sénat, Guillaume Gontard. « Comment apporter la confiance alors qu’on n’a eu que des textes et lois climaticides ? » demande encore le sénateur de l’Isère, qui évoque la loi Duplomb, ou la volonté de revenir sur le ZAN (zéro artificialisation nette) et les ZFE (zone à faible émission).
« On se prononcera dans la journée, mais pour l’instant, on ne voit pas bien l’intérêt », affirme encore plus franchement, sur France Info, à la mi-journée, Marine Tondelier, la patronne des Ecologistes. « Il dit, c’est moi ou le chaos. Mais ça ne sert à rien de discuter dans ce cas-là, et surtout, il fallait le faire avant », pointe encore la responsable écologiste.
La décision tombe dans l’après-midi. Interrogée par Public Sénat (Audrey Vuétaz et Romain David) à l’université d’été du Medef, Marine Tondelier rejette l’invitation. Les écologistes n’iront pas voir François Bayrou. « Son sort est déjà acté », tranche la secrétaire nationale des Ecologistes…
« On prépare l’après 8 septembre », affirme l’écologiste Guillaume Gontard
La gauche pense en réalité déjà à la suite. « Je sais que nous, on prépare l’après 8 septembre. La gauche, les écologistes, on est déjà au travail, car on a un programme, un collectif, un cap », assure Guillaume Gontard. Reste que la scission est aujourd’hui consommée avec LFI, ce qui change la donne, plus d’un an après la dissolution et l’accord du NFP. « LFI ne souhaite pas participer, ils ont leur propre ligne, mais le programme et les idées qu’on défend restent les mêmes », balaie le sénateur de l’Isère. Comme d’autres, il demande un premier ministre de gauche cette fois, si François Bayrou saute. « Il faudra m’expliquer quelle autre solution on peut avoir. Emmanuel Macron nous a expliqué qu’il ne fallait pas nommer quelqu’un du NFP, car il tomberait dans les quelques semaines qui suivent. Et je constate que les deux choix qu’il a faits sont tombés ou vont tomber » pointe Guillaume Gontard.
Pour compliquer un peu plus la donne pour François Bayrou, même chez les LR, qui font pourtant partie de la majorité relative de François Bayrou, aux côtés de l’ex-majorité présidentielle, certains députés traînent des pieds pour voter la confiance.
Les LR traînent aussi des pieds
Leur décision se mêle aux réflexions sur l’avenir des LR au sein de cette majorité très baroque. « La vraie question, c’est que faisons-nous ensuite ? A mon avis personnel, nous devons au minimum assurer des garanties pour participer au gouvernement, à condition qu’il ne soit pas dirigé par la gauche. Il y a eu quelques coups de canif ces derniers mois qui rendait l’air irrespirable, comme la volonté de la proportionnelle. Ou le texte sur l’allègement du ZAN, sur lequel il est difficile d’avancer, sans parler de la loi Paris-Lyon-Marseille. Si nous devions participer au gouvernement, ce serait au moins en réassurant clairement nos garanties. Et en faisant comprendre que ce n’est pas optionnel, que c’est à prendre ou à laisser » nous explique le sénateur LR des Pyrénées Atlantique, Max Brisson, qui résume : « On ne peut pas y aller à n’importe quel prix ».
Voilà François Bayrou écartelé entre les deux bords de l’échiquier politique. Invité des universités d’été du Medef, à Paris, ce jeudi, François Bayrou a fait pourtant mine d’y croire encore. « Je suis certain que tout peut bouger dans les 11 jours qui viennent, à condition qu’on s’engage, qu’on n’ait peur de rien », a lancé le toujours premier ministre. Même pas peur, même de voir son gouvernement chuter.