Et c’est reparti pour un tour. En septembre 2024, la France se demandait qui allait prendre la suite de Gabriel Attal à Matignon, après les législatives issues de la dissolution. En septembre 2025, la France se demande qui sera nommé à Matignon après la censure, presque certaine, de François Bayrou lors du vote de confiance le 8 septembre. Comme en 2024, Emmanuel Macron laisse planer le doute d’un gouvernement ouvert au Parti socialiste. Si l’année dernière, le nom de Bernard Cazeneuve avait un temps été considéré comme une option crédible, il n’en avait rien été. Cette fois, pas de nom, mais une volonté affichée du Président d’ « élargir » à tous les partis, hors RN et LFI. Volonté qui se transforme en cacophonie quand, au même moment, François Bayrou affirme vouloir réformer l’AME en réduisant le panier de soins, tendant ainsi la main au RN.
Le PS « à la disposition » d’Emmanuel Macron pour discuter des conditions de sa participation à un gouvernement
Au Parti socialiste, cette main tendue n’est pas passée inaperçue. Hier, Olivier Faure, premier secrétaire du PS, s’est dit « à la disposition » du Président pour discuter des « conditions » dans lesquelles le parti pourrait entrer au gouvernement, sur LCI. Il a ensuite précisé : « Nous ne voulons pas d’un gouvernement qui serait en même temps de droite et de gauche ». Le socialiste appelle à un gouvernement de gauche où la majorité serait trouvée « projet par projet », en s’engageant à ne pas recourir au 49.3. Un projet ambitieux et une stratégie décriée par la France Insoumise, qui mise plutôt sur une destitution d’Emmanuel Macron.
Pour autant, les socialistes ne démordent pas de leur projet. Le sénateur socialiste de l’Oise, et proche de Boris Vallaud, Alexandre Ouizille le détaille ainsi : « Nous avons élaboré un contre-budget socialiste [présenté ce week-end lors de leurs universités d’été à Blois, ndlr]. Maintenant, nous rentrons en discussion avec la gauche pour construire ensemble l’alternative. On rassemble ceux qui ne sont pas dans un scénario ‘dissolution ou destitution’mais qui veulent trouver une solution maintenant pour les Français ». En une phrase, le sénateur parle d’ « inverser le scénario de l’année dernière ». « Le Président donne la main à la gauche et elle a la responsabilité de trouver les conditions de la non-censure avec le bloc central avec une méthode : le non-recours au 49.3. Si Emmanuel Macron est dans une logique de piéger les socialistes et de les lier avec le bloc central dans un même gouvernement, cela n’existe pas », veut-il croire.
Un gouvernement, mais avec qui ?
Dit comme cela, tout semble clair, bien que la tâche soit ardue. La question qui se pose immédiatement est celle du périmètre d’un tel gouvernement. Jusqu’où souhaitent aller les roses, alors que Bruno Retailleau, patron des LR, exclut de travailler avec eux ? « Il est hors de question qu’on siège avec Bruno Retailleau dans un gouvernement », tranche Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat. L’élu du Nord souhaite un périmètre qui s’étende jusqu’aux « déçus du macronisme », comme le député Sacha Houlié, qui a récemment rejoint Place Publique, aux côtés de Raphaël Glucksmann. Pour un député PS, la ligne est claire : « pas d’union nationale, pas de LR, pas de macronistes ».
Du côté de leurs « partenaires de gauche », les socialistes sont d’accord : les écologistes, les communistes, Place Publique et les radicaux peuvent faire partie de l’aventure. Pas les insoumis, qui tirent à boulets rouges sur le PS depuis que ces derniers se disent prêts à gouverner. Hier, Manuel Bompard, coordinateur de LFI, tweetait à l’issue de la prise de parole d’Olivier Faure : « Olivier Faure déchire le programme du NFP et se met à disposition de Macron pour assurer la continuité du macronisme. Le 10 septembre, on préférera la lutte des classes à la lutte des places ».
Nom du Premier ministre : « On ne va pas rentrer dans le concours de beauté »
Une autre question qui se pose à l’aune de ces réflexions est : qui ? Qui pour entrer à Matignon, alors qu’en 2024, il avait fallu plusieurs jours à la gauche pour se mettre d’accord sur un nom commun. Une option qu’Emmanuel Macron n’avait ensuite même pas envisagée. Cette fois-ci, les socialistes le jurent, les choses ne seront pas pareilles. Ils ne proposeront pas de nom et laisseront Emmanuel Macron trancher. « Cette fois-ci, on ne fait plus l’erreur », assure Patrick Kanner. « On ne va pas rentrer dans le concours de beauté », abonde Alexandre Ouizille. Il refuse les « débats byzantins » autour du casting, qui avaient fait perdre à la gauche beaucoup de sa crédibilité l’année dernière. Les conditions sont claires, détaillées par un député PS : « Nous voulons quelqu’un de gauche. Ça peut être un écologiste, François Ruffin, Clémentine Autain, … Il ou elle doit être en capacité de réunir la gauche ».
Gouvernement de gauche : « C’est une option sur la table »
La dernière question qui se pose, et pas des moindres, est la crédibilité de tout ce scénario. D’abord, la probabilité qu’Emmanuel Macron nomme une personnalité de gauche en remplacement de François Bayrou. Le député PS cité plus haut y croit. « Cela est discuté très sérieusement », affirme-t-il, « c’est une option sur la table ». Pour un autre élu de gauche, ancien du PS, c’est l’inverse. « Emmanuel Macron agite le PS pour entuber Faure », analyse-t-il, « l’éventualité d’une nomination de Bernard Cazeneuve ou de Pierre Moscovici bloque les socialistes ».
« Si les macronistes topent sur un accord de non-censure, ça passe »
Mais le doute plane aussi sur la crédibilité d’un tel gouvernement dans le temps. Dans une Assemblée de 577 députés, en considérant que tous les groupes politiques de gauche, sauf la France Insoumise, suivent, cela ne fait que 121 députés. Alors comment résister face à la censure dans ces conditions ? « Si les macronistes topent sur un accord de non-censure, ça passe. Ils savent bien que l’éventail des possibles est en train de se réduire pour Emmanuel Macron », affirme un cadre socialiste. « Dans le contre budget du PS, il y a des choses qui peuvent être acceptables pour des macronistes de gauche », veut croire l’ancien membre du PS cité plus haut.
Le pari est risqué, d’autant que le PS promet de ne pas recourir au 49.3 pour faire adopter ses textes. « Ce n’est pas crédible », pour cet élu membre du groupe GDR à l’Assemblée nationale. « C’est la seule solution », affirme un cadre socialiste, qui croit à la capacité des élus à trouver des compromis. Du compromis, mais pas que : « Il y a des outils institutionnels qui permettent de vivre sans 49.3 et que l’on peut utiliser, comme la seconde délibération », explique-t-il.
Gouvernement PS : une réaction incertaine des autres groupes de gauche hors LFI
Enfin, le dernier présupposé sur lequel repose tout ce scénario est l’assentiment des autres partis de gauche, hormis LFI. L’attitude de ces derniers envers un hypothétique gouvernement de « gauche minoritaire » n’effraie pas Patrick Kanner : « On est terrorisés comme le lapin dans les phares du camion, mais ils sont combien ? », fanfaronne-t-il. Dans une interview à l’Humanité du 2 septembre, Boris Vallaud, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, ne craint pas non plus les ires insoumises : « J’attends de voir si LFI tire un trait de plume sur toutes ces avancées », affirme-t-il.
Pour les autres groupes, cependant, la chose est moins claire. Les roses comptent sur leur soutien, mais si les événements politiques que vit la France depuis un an apportent un enseignement, c’est qu’il ne faut jamais présager de rien. Un membre du groupe GDR l’affirme : Fabien Roussel pourrait adhérer à l’idée d’un gouvernement de gauche d’ « union nationale », mais les groupes GDR et écologiste seraient « divisés ». « Le groupe GDR s’est beaucoup radicalisé avec Bayrou, ils ne seraient pas sur cette ligne », prédit-il.
Une « union sacrée » au Parti socialiste
A la fin, il y a peu de certitudes. La seule, et pas des moindres, c’est que le Parti socialiste est unanime sur l’attitude à tenir. Il y a quelques mois, lors de son congrès, trois « textes d’orientation » s’affrontaient ouvertement sur la stratégie à tenir, notamment à l’encontre de LFI. Aujourd’hui, les roses parlent d’une seule voix. « Au PS, c’est l’union sacrée en ce moment. Tout le monde est aligné sur le chemin », affirme Alexandre Ouizille. Le sénateur décrit le constat partagé d’un moment grave, ainsi qu’une nouvelle méthode de travail et un accord sur la nécessité de ne pas « rentrer dans les stratagèmes macronistes d’inclusion au bloc central ».
Malgré toutes les conjectures et toutes les projections, Emmanuel Macron est le seul à pouvoir répondre à beaucoup de ces questions, au lendemain du 8 septembre.