Ce soir de vendredi 13 décembre 2024, François Bayrou a forcé sa chance pour succéder à Michel Barnier. Le matin même, le patron du Modem était pourtant disqualifié après un long entretien avec Emmanuel Macron, décrit par de nombreux commentateurs comme plutôt houleux, et au cours duquel le président lui avait part de son choix de nommer Sébastien Lecornu. « Alors, je vous quitte », avait prévenu ce soutien de poids lors de la campagne présidentielle 2017.
« Himalaya »
Un rapport de force payant pour François Bayrou qui se retrouva sur le perron de Matignon quelques heures plus tard pour une passation de pouvoir. « Je n’ignore rien de l’Himalaya qui se dresse devant nous, de difficultés de toute nature ». Le ton était donné pour les mois à venir. A intervalle régulier, vote de confiance de janvier, conférence de presse du 15 avril, celle du 15 juillet, vidéos postées au mois d’août depuis Matignon sur la chaine youtube « FB direct » … François Bayrou n’a cessé d’alerter sur la « gravité », « le danger mortel » de la situation financière du pays. Son projet de budget en faveur d’un plan d’économie de près de 44 milliards présenté à la mi-juillet n’était que le remède à ce constat. Mais l’ordonnance a été jugée mal calibrée et n’a pas emporté l’adhésion des Français ni des responsables politiques de l’opposition, ni même parfois de son propre camp. Malgré des vidéos explicatives postées cet été dans lesquelles il s’est affiché comme un chef de gouvernement au travail, certaines mesures sont restées trop urticantes comme la suppression de deux jours fériés ou le gel des prestations sociales.
Si le constat de la nécessité d’une reprise en main des finances publiques a pu être aisément partagé, c’est bien la question d’un juste partage de l’effort qui semble insoluble pour un gouvernement sans majorité.
Nommé deux jours avant Noël, le gouvernement de François Bayrou ne comportait pas de surprise, hormis le retour de Manuel Valls, nommé ministre d’Etat en charge des Outre-mer. Et conservait les équilibres du socle commun, LR, Modem, macronistes, mais toujours minoritaires à l’Assemblée et condamné à trouver des alliés texte par texte.
L’échec du conclave
Dès ses premiers pas, il évite une première motion de censure, sept autres suivront jusqu’en juillet. Soucieux de ne pas reproduire les erreurs de son prédécesseur qui face à une Assemblée fracturée, avait multiplié, en vain, les concessions au RN, François Bayrou fait preuve d’habileté pour diviser le NFP. Après des jours de négociations, le PS avait fini par obtenir de la part du Premier ministre, certaines garanties pour ne pas voter cette première censure : l’abandon des 4 000 suppressions de postes prévues à l’Education nationale, l’abandon du projet d’allongement des jours de carence et une concertation autour de la réforme des retraites qui devait revenir devant le Parlement quelle que soit son issue.
Ce dernier engagement pris noir sur blanc dans un courrier adressé aux deux présidents de groupe de l’Assemblée et du Sénat, Boris Vallaud et Patrick Kanner ne sera pas tenu. Dès le mois de mars, le Premier ministre avait d’ores et déjà restreint considérablement le champ des négociations en fermant la porte à un retour de l’âge légal de départ à 62 ans. Après quelques semaines supplémentaires laissées aux syndicats et au patronat, et malgré les dénégations du Premier ministre, le conclave se soldera par un échec cuisant. François Bayrou comptait introduire dans le prochain projet budget de la Sécurité sociale les rares compromis sur lesquels les partenaires sociaux étaient parvenus à s’entendre.
Des censures et des chantiers en suspens
En l’absence de majorité, le passage de François Bayrou à Matignon a été marqué par pléthore de propositions de lois, rédigées par un député ou un sénateur, qui ont le défaut d’être déposées sans étude d’impact, ni avis du Conseil d’Etat. Mise à part la proposition de loi transpartisane de lutte contre le narcotrafic, votée à l’unanimité des bancs du Sénat, puis à une large majorité à l’Assemblée, la plupart des textes d’origine parlementaire n’ont eu qu’une portée marginale. La technique du « saucissonnage » des sujets, via des textes limités et plus précis n’a pas permis d’éviter les camouflets pour le « socle commun ». Le plus retentissant sera la censure par le Conseil constitutionnel de la disposition phare de la loi Duplomb de réintroduction d’un pesticide néonicotinoïde, l’acétamipride, dont l’usage est interdit en France. Une pétition, rassemblant les signatures de plusieurs millions de personnes contre cette disposition, avait battu le record de participation sur le site de l’Assemblée nationale.
Avec Bruno Retailleau à l’Intérieur et Gérald Darmanin à la Justice, le gouvernement de François Bayrou a tenté d’occuper le terrain de la sécurité et de l’immigration, avec quelques déconvenues là aussi, comme la très large censure du texte de Gabriel Attal visant à réformer la justice des mineurs. Le ministre de l’Intérieur n’a pas obtenu son grand texte sur l’immigration. La proposition de loi de la sénatrice LR Valérie Boyer pour durcir l’accès aux prestations sociales pour les étrangers, sujet porté depuis longtemps par la droite sénatoriale et Bruno Retailleau, quand il présidait le groupe, n’a pas été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Avec le départ annoncé de François Bayrou, de nombreux chantiers restent en suspens. D’abord institutionnels comme la réforme de la proportionnelle chère au Premier ministre, ou encore les réformes constitutionnelles portant sur le statut de la Nouvelle Calédonie ou la Corse. Les propositions de lois Gremillet sur la relance du nucléaire et le sujet des renouvelables et le texte de Laurent Lafon (Union centriste) sur l’audiovisuel public, porté par Rachida Dati, deux textes sensibles et particulièrement attendus par la droite et l’extrême droite ont vu leur examen, stoppés.
Bétharram et le « défaut d’action » de François Bayrou
Au rang des satisfactions, le premier ministre est parvenu à faire adopter, sans encombre, deux projets de loi sur la reconstruction de Mayotte après le passage de l’Ouragan Chido. L’adoption de la proposition de loi Paris Lyon Marseille, sur la réforme du mode de scrutin pour les municipales se sera faite au prix d’un conflit ouvert avec la droite sénatoriale.
Les mois passés à Matignon par François Bayrou auront également été empoisonnés par la polémique Betharram et la désinvolture avec laquelle François Bayrou répondra dans un premier temps aux accusations. Au fil des semaines, il continuera d’endosser la moindre responsabilité politique dans l’affaire des violences physiques et sexuelles au sein de l’établissement Notre-Dame de Bétharram. Un établissement dans lequel ses enfants étaient scolarisés. Même si plusieurs témoins ont affirmé que François Bayrou avait connaissance dès la fin des années 1990 d’accusations d’agressions sexuelles à Betharram à l’époque où il était député et président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques et peu de temps après son passage au ministère de l’Education nationale.
Début juillet, le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale a pointé un « défaut d’action » de François Bayrou alors qu’il était à la tête de l’Education nationale.
Au-delà du bilan, François Bayrou à Matignon c’est aussi un style. Un style parfois déconnecté de l’époque actuelle. A peine nommé à la tête du gouvernement, et alors que Mayotte était balayé par le cyclone Chido, François Bayrou se rendait à Pau en jet pour présider le conseil municipal. Que penser aussi de son anecdote de jeunesse narrée dans l’hémicycle en guise de justification après la polémique sur le supposé « sentiment de submersion » des Français ? François Bayrou s’était lancé dans une digression malheureuse portant sur un « Africain » de son lycée dont les filles étaient amoureuses, « dont nous étions tous, les garçons, vaguement jaloux », confessait-il devant une assistance médusée.
« La politique, ce n’est pas du spectacle, Ce n’est pas une tournée d’adieu », a assuré François Bayrou, sur RTL, ce matin. De là à voir dans cette sortie quasi-programmée de Matignon, un premier acte vers une candidature à la présidentielle de 2027, il n’y a qu’un pas.