Coup de poker ou aveux de faiblesse ? En annonçant qu’il engagerait la responsabilité de son gouvernement devant l’Assemblée nationale le 8 septembre, le Premier ministre, François Bayrou a bouleversé le jeu politique. Cette initiative, rarissime sous la Ve République, prévue par l’article 49 alinéa 1 de la Constitution, vise à replacer le débat sur l’urgence budgétaire, mais traduit surtout la fragilité d’un Premier ministre dépourvu de majorité. Craignant d’être censuré à l’automne lors du débat sur le budget, François Bayrou a pris les devants, lundi 25 août 2025, en annonçant vouloir lier son destin à la trajectoire budgétaire qu’il souhaite dessiner pour la France. Une façon pour lui de « recentrer » le débat autour de la gravité de la situation et de prendre les Français pour témoins afin de mettre les partis face à leurs responsabilités. À treize jours du scrutin à l’Assemblée nationale, les oppositions affûtent déjà leurs armes.
Un rapport de force défavorable
Si, comme attendu, François Bayrou échoue à obtenir la confiance, il devra présenter sa démission et celle de son gouvernement au président de la République. Les premières réactions laissent peu de place au doute, de La France insoumise au Rassemblement national, en passant par les socialistes, les communistes et les écologistes, tous ont annoncé leur refus de voter la confiance. François Bayrou s’avance donc vers une défaite quasi certaine. Si elle se confirmait, il deviendrait le premier chef de gouvernement de la Ve République renversé par un vote de confiance, un précédent lourd de conséquences pour la stabilité institutionnelle.
Emmanuel Macron se retrouverait alors face à un choix crucial, désigner le septième locataire de Matignon sous sa présidence. Deux pistes se dessinent, confier la charge à une personnalité issue de son camp, comme Sébastien Lecornu, actuel ministre des Armées, ou opter pour un profil capable de dialoguer avec la gauche, afin d’éviter une nouvelle paralysie institutionnelle. Le chef de l’État pourrait aussi opter pour un gouvernement dit « technique », composé de hauts fonctionnaires, chargé de gérer les affaires courantes sans réformes profondes. Mais, dans un Parlement éclaté en trois blocs irréconciliables, chaque nouveau Premier ministre risquerait de se retrouver aussitôt exposé à une motion de censure.
François Bayrou sauve sa place ?
« Tout peut bouger en 11 jours », a lancé François Bayrou ce jeudi lors des journées du MEDEF. Le scénario d’un maintien à Matignon paraît improbable, mais pas totalement exclu. Pour obtenir la confiance, François Bayrou doit dépasser les votes contre, les abstentions n’étant pas comptabilisées. Si le Rassemblement Nationale, au lieu de voter contre, décidait de s’abstenir, François Bayrou pourrait franchir l’obstacle. Mais il lui faudrait alors céder sur certains points budgétaires, par exemple la remise en cause de l’aide médicale d’État ou la réduction de la contribution française à l’Union européenne, thèmes chers au RN. Dans ce cas, il poursuivrait son travail sur la loi de finances, mais resterait vulnérable à une motion de censure lors des débats budgétaires de l’automne.
La tentation de la dissolution
Le rejet de François Bayrou pourrait relancer le spectre d’élections législatives anticipées. Depuis le 7 juillet, Emmanuel Macron dispose à nouveau du pouvoir de dissoudre l’Assemblée, en vertu de l’article 12 de la Constitution. Ce retour aux urnes est réclamé par La France insoumise et le Rassemblement national, chacun espérant transformer son poids politique en majorité. Certains au sein de la majorité n’écartent pas non plus ce scénario, Gérald Darmanin, ministre de la justice jugeant sur le plateau de France 2, ce mardi 26 août, « qu’il ne faut pas écarter » cette hypothèse.
Le président de la République a pourtant écarté ce scénario dans Paris Match, affirmant « La dissolution, je l’ai faite, je m’en suis expliqué […]. Maintenant, on a un Parlement qui reflète les fractures du pays. C’est aux responsables politiques de savoir travailler ensemble. » Mais rien n’exclut un revirement, comme ce fut le cas en 2024, lorsque l’Élysée avait finalement dissous après avoir dit l’inverse quelques mois plus tôt. Une dissolution permettrait une clarification mais au prix du risque de renforcer les extrêmes. Reste à savoir qui arrivera en tête de ces nouvelles législatives, et si une réelle majorité parlementaire pourrait émerger cette fois-ci. Rien n’assure que les partis de gauche s’entendent sur un programme commun. Boris Vallaud, président du groupe socialiste, a d’ailleurs jugé mardi dans Libération qu’un nouvel accord avec LFI, semblable à celui du Nouveau Front populaire en 2024, « ne paraît pas concevable ».
La démission d’Emmanuel Macron
Au-delà du sort de son premier ministre, c’est le chef de l’État qui pourrait se retrouver sous pression. Les appels à la démission d’Emmanuel Macron pourraient se multiplier, en particulier avec l’arrivée du mouvement de blocage du 10 septembre, « Bloquons tout ». La France insoumise prévoit déjà de déposer, le 23 septembre, une motion de destitution, sur le fondement de l’article 68 de la Constitution. Si cette procédure reste quasi impossible à aboutir, elle témoigne du climat politique tendu. Dans l’opposition, Marine Le Pen évoque depuis des mois l’éventualité d’une présidentielle anticipée. Emmanuel Macron, de son côté, répète qu’il « exercera (son mandat) jusqu’à son terme » en 2027.