Le Rassemblement national est-il devenu le parti numéro un de la jeunesse ? D’une partie d’entre elle au moins, sur fond d’abstention toujours massive. Selon un dossier du Monde révélant les chiffres des instituts Ipsos et IFOP, 29 % des 25-34 ans voteraient désormais pour Marine Le Pen contre 23 % en 2017. La présidente du RN devenant de facto la candidate favorite de cette classe d’âge, Emmanuel Macron chutant de 29 % à 20 %. Mais chez les « primo votants », les 18-24 ans, la tendance s’inverse : le chef de l’Etat emporte 29 % des intentions de vote, quand Marine Le Pen n’atteint que 20 %, soit la même hauteur que le reste de la population. Seuls 58 % des plus jeunes citoyens comptent cependant aller voter en 2022.
« Je vis ce décalage en tant que jeune sénateur »
« Le premier parti, c’est l’abstention. C’est un vrai souci que les jeunes ne se sentent pas concernés par la chose publique », constate sans surprise Xavier Iacovelli, 39 ans. Vice-président du groupe RDPI (LREM) au Sénat, il note surtout « l’écroulement des grands partis historiques. Ça montre bien que ce modèle de parti que nous proposent LR et le PS est à bout de souffle ». Selon lui, le symptôme est à chercher du côté de « la radicalité des jeunes qui désertent plutôt les grands partis historiques pour aller vers le RN ou la LFI ». La conclusion n’est pas sans l’inquiéter : « le RN est devenu le premier opposant ». Sénateur centriste et président de la mission d’information sur l’émancipation de la jeunesse, Jean Hingray, 35 ans, se désole : « Je vis ce décalage en tant que jeune sénateur entre la réalité et ce qu’il peut se passer en politique. Le RN ne fait rien en réalité, il ramasse ce désespoir. Les jeunes s’aperçoivent qu’on a tiré le pays vers le bas depuis 20 ans. On ne croit plus à rien… »
Certains nouveaux visages de la Chambre haute battent leur coulpe et tentent tout de même de dresser des ponts entre le monde politique et ces classes d’âge. Plus jeune sénateur du Palais du Luxembourg, le socialiste Rémi Cardon, 26 ans, analyse : « C’est un signalement, il faut agir et travailler énormément pour cette jeunesse qui se sent délaissée. Et j’ai une pensée pour les NIT : ni en formation, ni en emploi dont on parle très peu. Ils sont 1,6 million et c’est la raison pour laquelle il faut trouver des solutions. On n’a pas investi assez dans notre jeunesse que ce soit dans l’Education nationale et dans l’éducation populaire ». Avec son groupe, il a essayé de formuler un « maximum » de propositions en direction des jeunes : RSA jeune, proposition de loi pour une dotation de 5000 euros dès l’âge de 18 ans avec un revenu de base…
« C’est un message qui ne doit être ni ignoré, ni méprisé. Ça me désole qu’ils aient fait le choix d’un parti extrême, alors que je pense que l’on a besoin d’apaisement. Je l’accueille avec beaucoup de réflexion et de remise en cause », réagit la sénatrice LR cuvée 2020, Alexandra Borchio-Fontimp, 39 ans. « Par la surenchère, les partis extrêmes peuvent donner l’illusion d’être proactifs. Pour les trentenaires on voit bien que ce sont des victimes de la crise. Ils ont cette attirance car ils sont dans une situation compliquée », estime celle qui préfère mettre en avant les initiatives de son parti en faveur de la jeunesse : ateliers thématiques, rassemblement des organisations de jeunesse etc. Tout comme sa collègue LR du Bas-Rhin élue elle aussi en septembre dernier, Elsa Schalck, 34 ans : « On voit bien qu’il y a une vraie crainte sur l’avenir, une vraie peur. Il y a une difficulté à pouvoir se projeter et cela peut expliquer ce vote RN. Le défi premier des LR est de pouvoir nous adresser aux jeunes, c’est en cela qu’il y a eu les rendez-vous de la Jeunesse à Port-Marly avec plus de 1000 jeunes ». En tant que jeune élue, elle a aussi commencé à expliquer à des écoliers de son département le rôle d’une sénatrice. « Il faut leur traduire le rôle des institutions. L’apprentissage de la citoyenneté doit se faire au fur et à mesure du parcours pour comprendre le rôle des élus », plaide-t-elle face à l’abstention.
« Quand vous êtes jeunes, dans les partis traditionnels, vous n’êtes bons qu’à coller des affiches et à fermer votre gueule ! »
Reste que certains ne croient plus du tout aux partis traditionnels. Jean Hingray ne s’en cache pas. « Le RN fait confiance aux jeunes ! C’est un réel souci qu’on a dans les partis traditionnels, j’en ai fait l’expérience amère… », confie-t-il alors que Jordan Bardella, numéro deux du RN à 25 ans est pressenti pour succéder à Marine Le Pen. « Quand vous êtes jeunes, dans les partis traditionnels, vous n’êtes bons qu’à coller des affiches et à fermer votre gueule ! Il n’y a plus de lien avec la population plus généralement », poursuit-il. Son pronostic pour 2022 est sans appel : victoire de Marine Le Pen. « Montebourg vient de déclarer qu’il voit Marine Le Pen gagner, moi aussi ! Je suis réaliste, ça fait 20 ans qu’on prend les gens pour des imbéciles dans ce pays ! Le RN n’a rien à faire pour ramasser la monnaie ! » Rémi Cardon en convient, les solutions politiques « ne sont pas forcément adaptées à l’urgence sociale ». Face à l’abstention, lui, préconise de renouveler les méthodes de campagne. « J’étais président d’une association qui s’appelait ‘Je m’exprime’qui tentait d’animer la vie politique au niveau local avec notamment des speed meetings ».
Pas de quoi convaincre un autre parlementaire, qui s’esclaffe à propos de son propre groupe politique au Sénat : « Ce sont des malfaiteurs qui se mettent ensemble ! » Du pain béni pour le Rassemblement national, qui semble avoir transformé l’essai avec sa stratégie de « normalisation » d’impulsion mariniste tendance Philippot. « Marine Le Pen a réussi à banaliser, à dédiaboliser, le FN devenu RN, et les jeunes ont une mémoire historique assez courte – parce que, de fait, ils sont jeunes. Ils ont un monde qui s’ouvre devant eux, ils pensent plus au futur qu’au passé. Globalement, ils en ont même une image plus favorable que leurs aînés. Ils découvrent une Marine Le Pen qui, grosso modo, n’apparaît, ni plus ni moins malhonnête ou dangereuse que les autres et qui, par ailleurs, est une femme […] Aujourd’hui, Marine Le Pen suscite de l’indifférence ou apparaît comme une candidate crédible. Sauf, bien sûr, pour la jeunesse politisée et engagée à gauche », décrypte ainsi la sociologue Anne Muxel au Monde.
« Macron ne sera pas le candidat d’En Marche »
Ce que ne dément pas Bruno Gollnisch, membre du bureau national du RN. « Désormais vous avez des gens aussi divers que Zemmour, Elisabeth Lévy et Gilles-William Goldnadel, ça continue à nous dédouaner ! Ils disent parfois des choses plus radicales que nous ! » Sans non plus admettre une véritable stratégie de « dédiabolisation » qu’il a toujours refusée en interne. « Nous étions diabolisés. Mais nous étions des gens parfaitement normaux. Concernant la dédiabolisation, il n’était pas nécessaire qu’elle résulte de notre part. Il suffisait qu’elle résulte de façon naturelle. Nos constats ont progressé et les gens sont rattrapés par les réalités », veut-il croire. Le vieux compagnon de route de Jean-Marie Le Pen, n’observe pas moins la pondération de Marine Le Pen par rapport à son père. « Ce n’est pas une opposante virulente. Elle a raison sur les erreurs nombreuses du gouvernement dans la gestion de la pandémie, mais elle est relativement modérée ». Et semble recevoir sur ce point, malgré les fâcheries familiales, l’assentiment du « Menhir » en personne. « Je m’en entretenais avec Jean-Marie Le Pen ce matin et nous étions d’accord : bien que nous sommes critiques sur le gouvernement, nous n’aurions probablement pas mieux fait », souffle Bruno Gollnisch.
Consciente du risque RN, la Macronie phosphore sur la parade, et aimerait reproduire le « coup » de 2017. « Macron incarnait peut-être en 2017 cette volonté de dégagisme. Ce qu’il incarne moins forcément aujourd’hui. Mais malgré tout je note une belle résistance, une progression du chef de l’Etat chez les plus jeunes », se rassure Xavier Iacovelli. Secrétaire Général de Territoires de Progrès, tenant gauche de la majorité, il milite donc pour un « vrai bilan de l’action sociale du gouvernement ». « Macron ne sera pas le candidat d’En Marche mais d’une grande coalition. Cela doit aller au-delà avec des personnalités non encartées. Les partis ne sont pas indispensables aux yeux des citoyens… », renchérit-il. Comme un air de déjà-vu.