Office Francais de l’Immigration et de l’Integration a Nice
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Sondages : les Français veulent-ils vraiment un durcissement de la politique d’immigration ?

Au cours de l’examen du projet de loi immigration, l’argument principal de la majorité présidentielle, des LR et des RN tenait à cette phrase : « C’est ce que veulent les Français ». Ils ont ainsi affirmé que la population souhaitait un durcissement de la politique d’immigration. Mais est-ce vraiment un marqueur politique fort dans l’opinion publique française ou seulement un argument politique ?
Mathilde Nutarelli

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« C’est ce que veulent les Français ». C’est l’argument brandi, ces derniers jours, par la majorité présidentielle dont Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti, mais aussi par Éric Ciotti et les élus du Rassemblement National à propos du projet de loi immigration, adopté dans la douleur ce mardi par l’Assemblée nationale et le Sénat. Et c’est vrai que, ces derniers jours, les sondages sur le texte ont fleuri. Selon le dernier en date, réalisé par Elabe pour BFMTV, 70 % des Français se disent satisfaits que la loi ait été votée. Pourtant, les récents baromètres d’opinion ne placent pas l’immigration au sommet de leurs priorités : celui d’octobre 2023 produit par Odoxa pour Public Sénat place l’immigration en cinquième place, après le pouvoir d’achat, la santé, la sécurité et le système de protection sociale. Mais alors, comment comprendre cet argument ? Les Français veulent-ils vraiment un durcissement de la politique d’immigration, ou n’est-ce qu’un effet d’optique créé par les sondages et un moment politique et médiatique particulier ?

L’utilisation des sondages comme arguments politiques, une pratique courante

L’utilisation des sondages, surtout quand ils sont à son avantage, n’est pas une pratique nouvelle dans le monde politique. Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean Jaurès, rappelle d’ailleurs que lors de la réforme des retraites au printemps dernier, la « très grande majorité des Français était opposée à la réforme, donc le gouvernement n’a pas utilisé les sondages comme il l’a fait aujourd’hui ». « C’est une instrumentalisation tous azimuts » des sondages de la part du monde politique, décrit Virginie Matin, docteure en science politique et professeure chercheuse à la Kedge Business School. Une fois cela dit, comment comprendre les récents sondages qui nourrissent le débat public ?

« Il peut toujours y avoir un biais sur certaines questions très précises dans le débat public »

Pour comprendre l’importance des questions d’immigration dans l’opinion publique, il ne faut pas regarder seulement le résultat à un sondage donné, dans un contexte particulier, mais plutôt les tendances qui se dessinent dans le temps. Ainsi, si l’immigration n’est pas en tête des préoccupations des Français dans les enquêtes d’opinion, c’est un sujet qui a une « importance spécifique », et sur lequel « les marqueurs d’opinion se raidissent » au cours du temps, explique Erwan Lestrohan, directeur conseil chez Odoxa. « L’immigration est un sujet qui est très sensible à l’actualité, et est donc exacerbé dans la période actuelle, après le 7 octobre, les émeutes de juin dernier, Crépol et l’assassinat de Dominique Bernard. Quand l’immigration est sur le devant de la scène, les débats sont très polarisés et cela réinstalle le clivage droite gauche » analyse le sondeur. Le baromètre d’octobre 2023 met en effet en exergue que l’immigration a pris six points dans le classement des priorités des Français depuis septembre dernier et que 67 % de ceux qui ont entendu parler du projet de loi estiment qu’il permettra de mieux contrôler l’immigration.

Antoine Bristielle partage cette analyse : « Il peut toujours y avoir un biais sur certaines questions très précises dans le débat public, comme sur le contenu du projet de loi immigration ou le port de l’abaya. Forcer des personnes à se prononcer sur des sujets sur lesquels ils ne se sont jamais prononcés avant, qui arrivent de but en blanc dans le débat public, ce n’est pas forcément représentatif. Mais ce que l’on voit sur le sujet de l’immigration, c’est qu’il peut y avoir des opinions très dures. En France, il y a une tendance de long terme de durcissement de l’opinion à ce sujet, détectée aussi bien par les enquêtes d’opinion que par les centres de recherche scientifique ».

La France, un pays de plus en plus tolérant sur le long terme

Ce qui surprend, en regardant les études d’opinion sur l’immigration dans le détail, c’est la complexité du phénomène. Hugo Touzet, sociologue, explique qu’en regardant sur une période qui démarre dans les années 1990, la population française est globalement plus tolérante envers l’autre et a fortiori l’étranger. « Sur le long terme, on a tendance à plus d’acceptation de l’immigration », détaille Antoine Bristielle, « mais on partait de très loin. On est de moins en moins conservateurs sur un sujet sur lequel on l’est beaucoup au départ. Et puis c’est un sujet qui vient de plus en plus sur le terrain. Il peut peser davantage dans le choix électoral ».

Par ailleurs, la tolérance envers l’immigration varie selon les catégories d’âge : les plus jeunes sont ainsi plus ouverts sur ces questions que leurs aînés. La perception de l’immigration par les Français est donc plus complexe que la réponse à un sondage portant sur le projet de loi récemment adopté.

Pour autant, les scores très élevés enregistrés par le Rassemblement national aux dernières élections présidentielle et législatives, alors que le parti fait de la lutte contre l’immigration un axe central de son programme, permet de voir que la tendance de fond est contrebalancée par une adhésion à ces idées dans les urnes. « Marine Le Pen n’arrive pas par hasard deux fois en tête de l’élection présidentielle s’il n’y a pas quelque chose dans l’opinion », résume Virginie Martin.

L’utilisation des sondages : une manière d’influencer les représentations

Mais alors, que faire de ces sondages, s’ils sont difficiles à lire et à interpréter ? Ils permettent de comparer dans le temps les tendances de l’opinion publique. Mais aujourd’hui, ils servent plutôt à « mettre à l’agenda un problème politique », souligne Hugo Touzet. « Ils sont un outil intéressant, mais en ce moment ils deviennent le seul outil. On oublie d’autres éléments intéressants pour éclairer le débat public, comme les travaux des chercheurs et chercheuses », regrette-t-il. Finalement, ces sondages tels qu’ils sont utilisés aujourd’hui traduisent les représentations présentes dans la société, ainsi que celles que le personnel politique veut faire passer. « Ils sont le reflet de l’inconscient collectif, à la fois le résultat d’une représentation et le moyen de l’accentuer dans un sens ou dans l’autre », explique Virginie Martin. « Dire que le projet de loi immigration c’est la préoccupation des Français, c’est masquer qu’on fait des choix politiques », résume Hugo Touzet.

Parce que ce qui est intéressant et complexe avec ce qui est présenté comme l’opinion publique, c’est qu’elle peut changer. « Quand il y a des débats publics ou politiques sur les sujets d’immigration, les positions des Français peuvent évoluer », détaille Erwan Lestrohan. Jusqu’à devenir l’un des déterminants du vote, pour certains électeurs, en particulier à droite et à l’extrême droite.

Les sondages, outil puissant dans une démocratie où l’information et l’opinion circulent à grande vitesse, se montrent donc utiles. Aux hommes politiques, pour imposer leurs représentations et prendre le pouls de l’opinion publique et aux citoyens, pour exprimer leur ressenti.

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