Accès aux soins : le Sénat ferme la porte à la régulation de l’installation des médecins

Après un débat nourri, au premier jour de l’examen de la proposition de loi Valletoux sur l’accès aux soins, le Sénat a repoussé des amendements de tous bords visant à limiter l’installation de médecins et de spécialistes dans les zones déjà bien pourvues.
Guillaume Jacquot

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La commission des affaires sociales du Sénat ne voulait pas envoyer de signal négatif aux médecins, ni aux étudiants en médecine. Elle a été entendue par une majorité dans l’hémicycle. Dès les premières heures d’examen de la proposition de loi du député Frédéric Valletoux (Horizons) sur l’accès aux soins ce 24 octobre, des sénateurs de différentes tendances ont tenté de juguler les installations de médecins dans les territoires déjà bien pourvus. Que ce soit par le biais d’une autorisation des Agences régionales de santé, ou par celle d’un conventionnement sélectif à l’Assurance maladie, les propositions de régulation de l’installation des médecins ou des spécialistes n’ont pas été retenues par le Sénat, comme ce fut déjà le cas à l’Assemblée nationale en juin.

Écologistes, communistes ou encore quelques centristes ont tenté, sans succès, de reprendre une proposition transpartisane de leurs collègues députés, visant à flécher les installations de praticiens vers les déserts médicaux. Dans les territoires déjà bien garnis, l’installation d’un médecin ou d’un chirurgien-dentiste n’aurait pu être autorisée qu’à la condition de la cession d’activité d’un confrère de la même spécialité. « La puissance publique doit reprendre son rôle et organiser les choses », a ainsi encouragé la sénatrice communiste Céline Brulin.

Le rappel de la promesse présidentielle

Une partie des socialistes et des Indépendants ont également proposé, une solution régulièrement débattue au Parlement, pour décourager les médecins de s’installer dans les zones déjà suffisamment dotées : le conventionnement sélectif. Dans ce système, un conventionnement d’un médecin avec l’Assurance maladie ne serait possible dans une zone surdotée que si l’un de ses confrères arrête au même moment. L’écologiste Anne Souyris a d’ailleurs rappelé que le conventionnement sélectif figurait au programme d’Emmanuel Macron.

Une fraction du groupe LR, emmenée par Stéphane Sautarel, a également soutenu le principe d’un conventionnement sélectif, mais dans le cadre d’une expérimentation, et en renvoyant à une concertation la définition des zones déséquilibrées en matière d’offre de soins. « Il est crucial que l’État joue enfin son rôle de régulateur. Les mesures incitatives ne fonctionnent pas », s’est exclamée la sénatrice Florence Blatrix Contat. Cet amendement en faveur d’une expérimentation a été rejeté par 124 voix, contre 188. L’écart s’est révélé encore plus important pour les autres amendements.

Au nom de la commission, la rapporteure Corinne Imbert (LR) a souligné que 85 % du territoire se situait en « zone sous-dense », c’est-à-dire en situation de manque flagrant de médecins. « Réguler l’installation ne résoudra aucune de ces difficultés », a-t-elle mis en garde, redoutant par ailleurs que le Sénat n’adresse un « signal de défiance » aux futurs médecins. La sénatrice a rappelé que la médecine générale avait notamment été choisie en 42e position sur les 44 spécialités qui s’offraient aux étudiants de médecine. Sans compter que l’adoption de tels amendements aurait « encore aggravé », selon elle, les tensions autour de la négociation conventionnelle, entre médecins et Assurance maladie.

Un dispositif « contreproductif » selon le ministre de la Santé

Comme Aurélien Rousseau avant elle, lors de la discussion générale, Agnès Firmin-Le Bodo a également pressé les sénateurs de ne pas s’engager dans cette voie. « L’enjeu qui est le nôtre, c’est bien de restaurer la confiance avec la médecine libérale. Les solutions ne marcheront que si nous les construisons avec les premiers concernés », a encouragé la ministre chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.

« Si cela peut sembler un remède attractif à court terme, créer des rigidités et des contraintes serait, je le crois, après avoir beaucoup hésité moi aussi sur cette question, contreproductif et ne ferait que détourner encore plus de l’exercice de la médecine et en particulier de la médecine générale », avait averti plus tôt dans la journée le ministre de la Santé Aurélien Rousseau.

« Nous ne savons plus quoi dire à nos concitoyens »

En face, plusieurs sénateurs ont relayé le désarroi voire la grande souffrance de leurs territoires, face au manque de médecins. « Nous ne savons plus quoi dire à nos concitoyens », s’est inquiétée la sénatrice PS Monique Lubin. D’autres ont exprimé leur lassitude, face à l’empilement des aides incitatives des collectivités locales à destination des médecins, ou à la multiplication des lois sur l’organisation du système de santé. « C’est le septième texte relatif à l’accès aux soins que nous examinons en moins de 15 ans. Cela montre que l’on se préoccupe du sujet. Cela montre aussi, et surtout, que les mesures que l’on a adoptées ne sont pas efficaces », s’est agacé le centriste Hervé Maurey.

Comme l’automne dernier, les arguments en faveur d’une préservation de la liberté d’installation l’ont finalement emporté. « La pénurie en elle-même détruit la possibilité de distribuer », a fait valoir la sénatrice centriste Elisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Pour convaincre les plus indécis, le médecin Bernard Jomier (apparenté PS) a souligné que la contrainte n’aurait pesé que sur l’exercice libérale et non l’exercice salarié. « On pourra se faire salarié, il y a de la place partout. Ça ne fonctionne donc pas. »

De l’organisation de la permanence des soins, au renforcement de la coordination entre professionnels, à la lutte contre l’intérim médical, d’autres dispositions sensibles attendent encore les sénateurs, qui ont jusqu’à vendredi pour examiner la proposition de loi.

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