Il ne s’agit que de pistes de travail, sensibles politiquement, mais le sujet est sur la table. Charge au futur gouvernement de Michel Barnier de s’en saisir ou non, dans un contexte budgétaire très dégradé. L’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) ont rendu public ces derniers jours leur rapport sur le dispositif des affections de longue durée (ALD).
Leur mission s’inscrit dans le mouvement des revues de dépenses publiques, demandées par le gouvernement démissionnaire il y a plusieurs mois. Les deux corps d’inspection se sont penchés sur l’état du système des ALD. Actuellement, 13,7 millions de personnes sont reconnues en affection de longue durée (environ 20 % de la population). Le dispositif est une protection pour les patients, atteints de diabète, de malades cardiovasculaires, de nombreux cancers ou encore de maladies psychiatriques de longue durée, contre les restes à charge élevés, et donc le renoncement aux soins. Les assurés reconnus en ALD sont dispensés du ticket modérateur, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas à s’acquitter de la part qui reste à leur charge (hors participation forfaire et franchise médicale), une fois que l’Assurance maladie a remboursé sa part.
Le coût global pour l’Assurance maladie devrait augmenter de 2 à 3 milliards d’euros d’ici la fin de la décennie
C’est l’un des mécanismes au cœur de notre système de santé, apparus dès la création de la Sécurité sociale en 1945. Au total, 29 types de pathologies, listés par décret, sont concernés par ce type de couverture. Certaines, qui ne sont pas couvertes, peuvent également être requalifiées en ALD si par exemple elles nécessitent un traitement chronique ou coûteux.
Le rapport IGF-Igas alerte toutefois sur la trajectoire des dépenses, alors que la population vieillit et que les maladies chroniques se développent en parallèle. Dans ces conditions, la « soutenabilité financière n’est pas assurée », selon les auteurs de la mission. En 2021, le coût de l’ALD s’élevait à 12,3 milliards d’euros. D’après les projections, le dispositif pourrait coûter près de 15 ou de 16 milliards d’euros à l’horizon 2030, avec un nombre de bénéficiaires évalué à 16 millions.
Un dispositif « peu contrôlé par l’Assurance maladie »
Les auteurs tirent un certain nombre de constats, en particulier celui d’un régime qui « a été très peu modifié depuis 1986 ». Ils soulignent que la reconnaissance d’une ALD « n’est pas toujours conditionnée à la sévérité de la pathologie et au coût du traitement » et ajoutent que le dispositif « est peu contrôlé par l’Assurance maladie, dans un contexte de ressources médicales raréfiées ».
Sur demande du gouvernement de Gabriel Attal, les deux corps d’inspection ont imaginé quelques pistes d’économies à court et moyen terme, tout en précisant qu’elles étaient « limitées sauf à dénaturer le dispositif ALD ». Certaines peuvent être mises en œuvre dès 2025.
L’évolution des franchises sur les transports de patients pourrait par exemple rapporter entre 90 et 123 millions d’euros chaque année. Cet axe était d’ailleurs dans le débat public au mois de mars. La mission formule aussi l’idée de mettre fin à l’exonération du ticket modérateur sur certains actes et produits, ce serait le cas des médicaments « à service médical rendu faible », des cures thermales ou encore des médicaments non spécifiques à la pathologie reconnue comme ALD. Cette mesure pourrait dégager 148 millions d’euros. Autre piste : assujettir totalement ou partiellement les indemnités journalières des patients en ALD à l’impôt sur le revenu, pour un gain attendu de 300 à 600 millions.
Il est aussi proposé de recentrer les critères de sévérité « sur les situations médicales les plus graves et les traitements les plus coûteux ». Ce volet serait susceptible de générer 360 millions d’euros « à moyen terme ».
Une piste avec deux niveaux d’affections de longue durée
« Pérenniser le régime nécessite de clarifier les contours des ALD, adapter la couverture sociale à la gravité des pathologies et des besoins des patients, et de renforcer la prévention », conseille la mission interministérielle. Davantage partisans d’une réforme structurelle, et non d’ajustements de court terme, les inspecteurs proposent deux chemins possibles. Une première idée serait une ALD à deux niveaux (400 à 600 millions d’euros d’économies), un système dans lequel seuls les soins de prévention seraient pris en charge à 100 % pour les affections les moins graves. Seconde piste : une suppression de l’ALD pour la remplacer par un reste à charge maximum universel pour tous les patients, en ALD ou non. Le rapport part d’une hypothèse d’un reste à charge plafonné à 1 000 euros par an : la mesure provoquerait une économie de 800 millions d’euros, mais elle serait défavorable à 82 % des patients en ALD, par rapport à la situation actuelle.
Il faut noter qu’il existe déjà actuellement deux catégories d’affections de longue durée : celles dites « exonérantes », qui permettent au patient d’être exonéré du ticket modérateur. Et celles « non exonérantes », qui n’ouvrent pas droit à la suppression de ce ticket modérateur. Elles permettent toutefois de bénéficier d’un arrêt de travail de plus de 6 mois et de la prise en charge des transports en lien avec votre maladie sous certaines conditions.
Un « cadre budgétaire très contraint », selon la rapporteure de la branche maladie du Sénat
Alors que le déficit de la Sécurité sociale se creuse plus fortement que prévu, à cause de recettes moins bonnes que prévu et de dépenses de santé orientées à la hausse, la sénatrice Corinne Imbert (apparentée LR) ne serait « pas étonnée que ce genre de piste soit mise sur la table ». « Est-ce qu’il faut renoncer à cette réflexion dans un cadre budgétaire très contraint, je ne pense pas. Je crains que l’on n’y échappe pas », réagit la rapporteure de la branche maladie de la Sécurité sociale, au sein de la commission des affaires sociales du Sénat.
La sénatrice anticipe un projet de loi de financement de la Sécurité sociale « très compliqué », avec la possibilité que l’évolution des dépenses de santé (l’Ondam) soit nulle ou presque. « Par devoir de responsabilité, il faut étudier des pistes, et le Parlement ensuite se prononcera », indique-t-elle. Les arbitrages cette année s’annoncent cornéliens. La semaine dernière, les hôpitaux publics ont déjà tiré la sonnette d’alarme. Leur Fédération demande pour 2025 une hausse de 6 % de l’enveloppe allouée aux établissements de santé, soit 6,3 milliards d’euros.
Le gouvernement sortant a soufflé le chaud et le froid sur les ALD
Au printemps, bien avant les pistes du rapport IGF-Igas, les déclarations de l’exécutif avaient déjà fait l’effet d’une bombe. Le 6 mars, Bruno Le Maire s’interrogeait dans les colonnes du Monde : « Comment éviter la dérive sur les dépenses liées aux affections de longue durée, tout en continuant à protéger les patients ? » Trois semaines plus tard, le même ministre avait dû assurer que le gouvernement ne voulait « pas toucher » aux ALD. Le ministre de la Santé Frédéric Valletoux s’est voulu aussi rassurant, tout en préparant la voie à d’éventuelles réformes. « Il n’est pas question de faire des économies sur les ALD. […] Par contre, il est question de revoir la pertinence » et « l’architecture d’un système très ancien quand on sait le progrès médical » dans le traitement des pathologies, avait-il admis le même mois.
La perspective d’un tour de vis sur la prise en charge des affections de longue durée est en tout cas accueillie avec une vive inquiétude dans les associations de patients. Pour France Assos Santé, cette « menace sur les ALD », et celle sur les franchises médicales, seraient « des atteintes graves pour l’accès aux soins des personnes malades ». « La remise en cause de la prise en charge à 100 % aura un impact non seulement sur les personnes malades elles-mêmes, mais également sur l’ensemble de la population, dans la mesure où ces dépenses seront transférées aux usagers et aux complémentaires santé, lesquelles les répercuteront sur le montant des cotisations, elles aussi en hausse constante », a mis en garde l’association.