Pharmacie

Bruxelles propose une réforme pour lutter contre les pénuries de médicaments : « La crise du covid a ouvert tous les possibles »

Pour réduire les ruptures de stock sur les médicaments dans l’UE, la Commission européenne entend imposer certaines obligations aux fabricants. Interrogée par Public Sénat, la sénatrice Sonia de la Provôté, qui préside la commission d’enquête parlementaire mise en place sur les pénuries de médicaments en France, salue un premier jalon, qui doit beaucoup aux initiatives prises pendant la pandémie de covid-19.
Romain David

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Bruxelles va s’attaquer aux pénuries de médicaments. La Commission européenne annonce une réforme pour contraindre les entreprises pharmaceutiques à mettre en place des plans de prévention pour prévenir les ruptures de stock. Depuis plusieurs années, les vingt-sept – et notamment la France – sont régulièrement touchés par ce phénomène, devenu particulièrement prégnant depuis la crise sanitaire déclenchée par le Covid-19. « Les entreprises devront signaler les potentielles pénuries plus tôt et avoir des plans de prévention pour leurs médicaments », a expliqué la commissaire européenne à la Santé, Stella Kyriakides, lors d’une conférence de presse ce mercredi 26 avril.

En France, une personne sur trois aurait déjà été confrontée à une pénurie de médicaments, selon une enquête BVA pour France Assos Santé, l’Union nationale des associations de patients français. Ce phénomène a tendance à prendre de l’ampleur depuis plusieurs années. À l’hiver 2022-2023, ce sont quelque 3 000 molécules qui ont été touchées par des ruptures d’approvisionnement, rapporte l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Les pénuries ont touché des médicaments très régulièrement prescrits, comme l’amoxicilline et le paracétamol. Ces dernières semaines, ce sont les pilules abortives qui ont été frappées, si bien que la sénatrice PS Laurence Rossignol a adressé un courrier d’alerte à François Braun, le ministre de la Santé.

Une liste européenne des médicaments essentiels

Le Sénat s’est saisi du sujet depuis plusieurs semaines, à l’initiative du groupe communiste, avec la création le 1er février d’une commission d’enquête dédiée à ces pénuries de médicaments. « Cette réforme était très attendue », salue auprès de Public Sénat Sonia de la Provôté, sénatrice centriste du Calvados et présidente de cette commission d’enquête. « La crise du covid a ouvert tous les possibles, et a montré, avec les vaccins, qu’il était possible de traiter à une échelle européenne la question du prix, de la commande et de la distribution ».

Dans les tuyaux depuis de longs mois, la réforme annoncée par Bruxelles prévoit la mise en place d’une liste de médicaments essentiels, sur la base desquels les fabricants seront tenus de constituer des stocks de secours. « Elle est en cours de constitution », glisse Sonia de la Provôté. « Il s’agit de cibler à la fois les médicaments à risque critique de rupture de stock. Par exemple, parce que la production fait l’objet d’un monopole. Mais aussi ceux qui sont susceptibles d’être fortement consommés pendant une épidémie, comme les antipyrétiques pour lutter contre la fièvre. Bien sûr, cette liste devra ensuite être réajustée au niveau national, selon les besoins et les capacités industriels de chaque pays. »

« Retrouver une souveraineté totale en matière de médicaments paraît compliqué »

Alors que le gouvernement entend muscler la souveraineté française en matière de santé, en rapatriant des chaînes de production qui, pour la plupart, ont été délocalisées en Chine et en Inde, les premiers travaux de la commission d’enquête tendent à montrer le caractère quasi-utopiste de cette ambition. « De très nombreuses unités entrent en jeu dans la fabrication d’un médicament. On parle de l’élaboration des molécules et des excipients, puis de la forme pharmaceutique du médicament. Enfin il y a l’emballage, la mise sous blister, les boîtes en carton et, bien sûr, les notices », détaille Sonia de la Provôté. « Retrouver une souveraineté totale en la matière paraît compliqué. Il faut plutôt travailler sur la sécurisation des différentes chaînes de production ».

Débats sur le prix du médicament

L’ambition affichée par Bruxelles est également de faire baisser le prix du médicament, de réduire les délais de mise sur le marché – là encore sur le modèle de ce qui a été fait avec les vaccins pendant la pandémie de covid-19 -, et d’accélérer sur la mise à disposition des génériques. La Commission européenne prévoit ainsi de réduire de 10 à 8 ans la durée d’exclusivité commerciale sur un médicament, avec des possibilités de dérogations si les industriels souscrivent à certaines exigences, comme lancer leurs nouvelles molécules dans l’ensemble des États membres.

En France, le prix des médicaments est fixé par le comité économique des produits de santé (CEPS), mais ce mécanisme fait débat. Durant les auditions de la commission d‘enquête sénatoriale, les représentants des principaux laboratoires et entreprises pharmaceutiques actifs en France ont ainsi dénoncé des prix trop bas, ce qui menacerait selon eux l’attractivité du marché Français et favoriserait les pénuries.

« Ce sujet ressort à chaque fois que les pénuries de médicament reviennent dans l’actualité », constate Sonia de la Provôté. « Au Sénat, nous sommes en train de réaliser une analyse fine de la situation, car selon nos interlocuteurs, les réponses et les chiffres fournis ne sont pas les mêmes », explique l’élue. « Concentrer les prix bas uniquement sur les médicaments matures et indispensables trahit une défaillance des systèmes de santé. Derrière, les coûts de l’innovation s’envolent à des niveaux insupportables. Avoir un traitement par thérapie génique pour une maladie rare à 3 millions d’euros par patient pose un problème éthique car derrière ce sont des vies qui sont en jeu ».

Lutter contre la résistance grandissante aux antibiotiques

Autre problématique à laquelle veut s’attaquer cette réforme : l’antibiorésistance. « C’est une réalité et une urgence », souligne la présidente la commission d’enquête. « Il s’agit d’un phénomène mondial, mais singulièrement européen, parce que nous sommes dans une zone du monde ou l’antibiothérapie est très ancienne ».

Or, les laboratoires rechignent à développer de nouveaux antibiotiques, ces produits étant généralement peu rentables. Pour leur forcer la main, Bruxelles imagine un système de bons d’exclusivité transférables. Les entreprises travaillant au développement d’un nouvel antibiotique auront la possibilité de rallonger la durée d’exclusivité de vente d’une molécule plus lucrative, ou bien de revendre leur bon d’exclusivité à un autre fabriquant. Bref, un levier économique pour favoriser le développement de l’offre de soin, ce qui fait polémique. « Pour l’instant, rien de meilleur n’a été proposé sur le sujet », relève Sonia de la Provôté.

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