Budget 2024 : le Sénat réduit d’un tiers les moyens alloués à l’aide médicale d’État

Tirant les conséquences de son vote de novembre sur le projet de loi immigration, qui a transformé l'AME en une aide médicale d'urgence, la majorité sénatoriale de droite et du centre a diminué ce 5 décembre 2023 les moyens dédiés à cette politique dans le Budget 2024. Adopté par 180 voix contre 160, l'amendement a toutefois réuni une majorité moins importante qu'attendu.
Guillaume Jacquot

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« C’est un amendement de cohérence », a précisé le rapporteur de la commission des finances Vincent Delahaye (Union centriste). Un mois après avoir supprimé l’aide médicale d’État (AME) dans le projet de loi immigration, au profit du dispositif plus restreint de « l’aide médicale d’urgence », le Sénat à majorité de droite et du centre en a tiré les conclusions ce 5 décembre 2023, au moment des débats financiers sur la mission santé du budget de l’État. Ils ont réduit de 410 millions les moyens affectés au financement de l’AME, soit environ un tiers de son montant annuel (1,2 milliard d’euros).

Alors que l’AME a entretemps été rétablie à l’Assemblée nationale lors des débats en commission des lois, la majorité sénatoriale est restée sur sa ligne. « L’AME constitue en Europe une exception difficile à justifier dans un contexte d’augmentation continue et non maîtrisée de la charge budgétaire qu’elle représente », a déploré Vincent Delahaye, épinglant la hausse du nombre de ses bénéficiaires de 11 % entre la fin 2021 et la fin du premier trimestre 2023. Le parlementaire de l’Essonne a aussi souligné le faible impact des mesures de régulation mises en place ces dernières années.

Un amendement qui fait moins le plein de voix par rapport au vote du projet de loi immigration

« Loin des caricatures, dans un débat budgétaire, il est légitime de vouloir marquer une différence entre le niveau de prestations accessibles aux assurés sociaux, du régime général, qui cotisent pour bénéficier d’une couverture maladie, et celui accessible aux étrangers en situation irrégulière », a également motivé le sénateur Philippe Mouiller (LR), président de la commission des affaires sociales. L’amendement de réduction des dépenses, déposé par la commission des finances, a été adopté par 180 voix contre 160, lors d’un scrutin public, permettant les délégations de votes.

L’écart est beaucoup plus faible qu’au moment du vote sur la transformation de l’AME en AMU le 7 novembre dernier, adopté par 194 voix contre 140 (en tenant compte des rectifications de vote). L’écart est passé de 54 à 20 voix. Plusieurs centristes ont notamment pris leurs distances avec cet amendement, et notamment Élisabeth Doineau, la rapporteure générale de la commission des affaires sociales.

L’ombre du rapport Evin- Stefanini plane sur les débats

La sénatrice de Mayenne s’est notamment appuyée dans son expression sur le rapport transpartisan de l’ancien ministre socialiste Claude Evin et du préfet Patrick Stefanini (figure de LR), remis la veille. Très attendues, les conclusions de cette mission commandée par le gouvernement, sont beaucoup revenues dans les discours des opposants à l’amendement de la majorité sénatoriale. Claude Evin et Patrick Stefanini relèvent que l’AME est « un dispositif sanitaire utile », « globalement maîtrisé » et « qui ne génère pas de consommations de soins faisant apparaître des atypismes, abus ou fraudes structurelles ». Les deux auteurs considèrent en outre que l’aide médicale d’urgence, voulue par le Sénat, entraînerait « une complexification générale », notamment pour apprécier ce qui relève de l’urgence ou non.

Également par « cohérence » avec sa lignée exprimée depuis plusieurs années, le gouvernement s’est dit défavorable à la diminution budgétaire voulue par la droite et le centre. « Réduire les crédits de l’AME ne constitue pas une mesure efficace de la maîtrise des risques sanitaires et financiers », a opposé Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé. L’ancienne députée Horizons a également fait valoir, toujours sur la base du rapport Evin-Stefanini, que l’AME n’était « pas un facteur d’attractivité des candidats à l’immigration ».

Agacement de la gauche face à l’amendement de la commission des finances

Autre argument évoqué : la réduction des moyens de l’AME, comme le préconise le Sénat, « mettrait en difficulté la prise en charge des bénéficiaires dès le 1er janvier 2024, et occasionnerait un report non maîtrisé vers les urgences », a-t-elle ajouté.

Le gouvernement ne ferme cependant pas la porte à des adaptations de l’AME, tels que le préconisent Claude Evin et Patrick Stefanini. Ces propositions seront « instruites dans les semaines à venir », a répété Agnès Firmin-Le Bodo, promettant une action par la voie réglementaire ou un nouveau texte législatif.

La gauche sénatoriale – tout comme le groupe des sénateurs macronistes du RDPI – n’a par ailleurs pas apprécié cet amendement tirant un peu trop prématurément les conséquences d’un projet de loi immigration, toujours en cours d’examen à l’Assemblée nationale. « Votre amendement n’est pas en cohérence avec la loi. C’est très choquant que la commission des finances nous propose un amendement qui est insincère sur le plan budgétaire », a dénoncé le sénateur PS Bernard Jomier.

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