Budget de la Sécu : le Sénat alourdit la taxation des produits les plus sucrés

Les sénateurs ont adopté deux amendements au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2024) pour détourner les consommateurs des produits les plus sucrés. Le premier alourdit la « taxe soda », le second prévoit la création d’une taxe sur les produits alimentaires transformés qui contiennent des sucrés ajoutés. Ils n’ont pas eu le soutien du gouvernement, attaché à la préservation du pouvoir d’achat.
Guillaume Jacquot

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Le débat sur les taxes comportementales est un classique de chaque examen de projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Le débat autour de cette fiscalité, censée décourager les Français de produits dont la consommation excessive entraîne un danger pour la santé, a occupé une large partie des débats au Sénat sur le PLFSS 2024, dans la soirée du 15 novembre.

Quelques amendements ont été adoptés dans l’hémicycle, malgré l’opposition du gouvernement et de la commission des affaires sociales. En introduction des débats, le président de cette dernière, Philippe Mouiller (LR) a mis en garde sur les conséquences de tels amendements sur les foyers les plus modestes. « Ayez en tête qu’en votant les taxes, vous aurez un impact direct sur le pouvoir d’achat, dans un contexte qui est extrêmement compliqué. »

Un droit d’accise triplé

À l’initiative du sénateur Xavier Iacovelli, soutenu par ses collègues du groupe macroniste RDPI (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants), le Sénat a majorité de droite et du centre a alourdi la « taxe soda ». Depuis 2018, une taxe est en effet modulée en fonction de la quantité de sucre ajouté dans une boisson.

Alertant contre la progression de l’obésité et du diabète en France, le sénateur des Hauts-de-Seine a estimé que cet outil fiscal était encore « mal utilisé ». Le barème qu’il a introduit, sur proposition de deux députés MoDem et RN, et sur inspiration du modèle britannique, accroît nettement la taxation sur les boissons les plus sucrées. Par exemple, une boisson qui contient entre 50 et 80 grammes de sucre par litre se verrait appliquer une taxe de 21 centimes, soit environ le triple du montant actuel. Parallèlement, la taxe disparaîtrait lorsque le sucre est présent en quantité très faible.

« Le pouvoir d’achat doit se concentrer ce qui nous nourrit, pas ce qui nous fait grossir »

Le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, s’est dit défavorable à cette disposition, de peur de mettre en place une « fiscalité punitive », selon ses mots. « Il y a aussi une préoccupation qu’il faut partager ici : c’est la question du pouvoir d’achat ». La mesure aurait donc de fortes probabilités d’être retoquée dans la perspective d’une nouvelle lecture à l’Assemblée nationale tranchée par voie de 49.3. Le ministre a également souligné qu’il était en attente d’un rapport d’évaluation sur les effets de la taxe réformée en 2018.

« Sauf que là on parle de sodas, on ne parle pas de pâtes, de riz ou de produits de première nécessité. Le pouvoir d’achat doit se concentrer ce qui nous nourrit, pas ce qui nous fait grossir », a objecté le sénateur Xavier Iacovelli.

Par la suite, les sénateurs ont également adopté un autre amendement, là encore contre l’avis du gouvernement. Présenté par François Bonhomme (LR) et plusieurs de ses collègues, et également dans une version identique par Xavier Iacovelli (RDPI), il vise à taxer les produits alimentaires transformés contenant des sucres ajoutés, en fonction de la quantité de ces derniers. « Il est avéré qu’une surconsommation d’aliments industriels, notamment de produits ultra-transformés, favorise la survenance de maladies chroniques », a justifié le sénateur François Bonhomme. Ce mécanisme doit inciter les industriels à « proposer des produits plus vertueux s’inscrivant dans le cadre d’une alimentation saine ».

Le gouvernement a exprimé une nouvelle fois sa désapprobation. « Souvent, on veut faire jouer à la fiscalité un rôle qu’elle ne peut pas jouer », a estimé Thomas Cazenave, selon qui cette solution « évite le vrai débat sur la politique préventive ». « Si la taxe comportementale fonctionne pour le tabac, je ne vois pas pourquoi elle ne fonctionnerait pas sur d’autres produits », a ensuite relancé Véronique Guillotin (RDSE).

Pas d’évolution de la fiscalité applicable à l’alcool

Toutes les propositions d’évolution de la fiscalité comportementale sur des boissons alcoolisées ont en revanche été balayées, au terme d’échanges passionnés. Plusieurs sénateurs sont montés au créneau notamment pour défendre la filière viticole, « confrontée à des difficultés majeures », selon leurs termes. Daniel Laurent, sénateur de la Charente-Maritime, et viticulteur de profession, a fait valoir qu’il était plus « judicieux d’investir dans des campagnes de sensibilisation ».

Le sénateur Bernard Jomier a estimé que ce discours sur la situation économique « amènerait à ne jamais rien faire ». « Je trouve que la filière viticole en demande beaucoup, parce que vous ne pouvez pas contester que le coût pour les finances publiques de l’alcool en France est très élevé […] On en est au stade où Santé Publique France ne peut plus faire de campagne de prévention digne de ce nom, parce que le chef de l’État s’y oppose et que les arbitrages remontent à l’Élysée ! » a-t-il dénoncé. Une référence à une action de sensibilisation qui a fait polémique en septembre, sur les réseaux sociaux. On pouvait, entre autres, lire sur les visuels ce type de recommandation : « Boire aussi de l’eau si on consomme de l’alcool, c’est la base. »

Le tabac à chauffer et la publicité pour les jeux d’argent également dans le viseur du Sénat

Les sénateurs ont également revu la taxation du tabac à chauffer, à travers l’adoption d’un amendement socialiste. La commission des affaires sociales a donné son feu vert. Comme l’an dernier, Bernard Jomier et ses collègues ont dénoncé l’existence de plusieurs catégories fiscales pour ce type de produits, rejouant un débat qui les avait déjà opposés au gouvernement l’an dernier.

Dans ce dernier PLFSS avant les Jeux olympiques de 2024, les sénateurs ont également appelé à l’instauration d’une taxe sur les publicités de jeux d’argent et de hasard. Les groupes PS, RDSE et écologiste ont réussi à faire adopter un amendement dans ce sens, contre l’avis de la commission et du gouvernement. « 40 % du chiffre d’affaires des opérateurs de jeux d’argent provient de personnes ayant une pratique excessive du jeu », a mis en exergue ce dernier. Le produit de la taxe devrait servir à financer la prévention.

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